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Notes anthropologiques (XII)

samedi 21 avril 2018, par Georges Lapierre

Mexico 2018. Les narcos

Des morts, des morts, des morts innombrables, des morts décapités, des morts démembrés, des morts pendus, des morts tordus, des morts épinglés avec une étiquette à l’orthographe grossière autour du cou, des morts émasculés, des morts écorchés, des morts torturés, des morts après tortures, c’est la danse macabre des squelettes, la danse macabre des calaveras, au son lancinant de la flûte. Et le Mexique contemporain apprend à danser. Alors que le sifflement de la faux passe au-dessus de leur tête, les Mexicains apprennent la danse des banquiers ; ce n’est pas la danse des canards que l’on dansait dans les rades à marins, c’est la danse des dindons. Les premiers pas sont encore hésitants, mais bientôt ils danseront tous, sur un rythme de plus en plus élevé, de plus en plus échevelé, la danse des Maccabées.

En fin de compte, le capitalisme se résume à cela : danser sur un rythme de plus en plus endiablé la danse des Maccabées. Il fait son nid sur des monceaux de cadavres ; nous aussi, nous avons connu l’innommable, mais nous avons la mémoire courte. Cette sénescence rapide est un des bienfaits du capitalisme, nous vivons au futur immédiat et notre mémoire est de plus en plus réduite à l’instant. On en arrive à se demander si le capitaliste ne se nourrit pas de cadavres. Et au Mexique on découvre à tout moment de nouvelles fosses communes avec toujours plus de cadavres et les mères cherchent désespérément leur fille ou leur fils, les femmes, leur mari ou leur frère.

On peut toujours dire que le capitalisme est un système et l’activité capitaliste le moteur d’une certaine forme d’activité sociale reposant sur l’échange marchand, j’avance que le capitalisme est aussi une tournure d’esprit. Cette tournure d’esprit ne naît pas spontanément, elle trouve dans la société marchande ou dans un milieu voué au commerce les éléments qui favoriseront son surgissement et son développement. L’argent n’est qu’un point de vue sur le monde, un point de vue sur l’échange, une simple idée, l’idée que le marchand se fait de l’activité sociale, un simple projet qui l’anime, qui le dépasse le plus souvent mais dans lequel il se trouve engagé, embringué. Ainsi il se trouve emporté par sa propre idée, celle-ci lui en impose, elle a ses propres exigences.

Le marchand ne s’intéresse pas à la marchandise en elle-même, ce qui l’intéresse, c’est le mouvement des marchandises, c’est-à-dire l’argent. L’argent qui disparaît et qui renaît. Le marchand est un visionnaire, il voit au-delà de la marchandise, il ne s’arrête jamais à la marchandise. Ce qui intéresse le marchand, c’est la richesse c’est-à-dire la circulation, le mouvement infini, l’échange sans fin, la mort et la naissance et les marchandises sont faites pour mourir.

Ce n’est pas la peinture de Van Gogh qui intéresse le marchand de tableau, mais l’argent, ce n’est pas la peinture des cyprès flamboyants qui s’élancent dans un ciel d’orage ni des oliviers qui se tordent et griffent la terre jusqu’à la mordre désespérément qui l’intéresse, mais la mort du tableau et sa transformation en argent : que le tableau devienne matière à spéculation ! Que le tableau devienne argent ! Une pure idée matérialisée ! Ce n’est pas l’amapola, ce n’est pas le pavot qui intéresse le marchand de drogue, mais l’argent, le mouvement de la pensée dans le monde, l’idée en mouvement, la pensée en mouvement vers sa réalisation. L’idée qui est son idée, l’idée qu’il a faite sienne. Il n’y a aucune différence entre le marchand d’œuvres d’art et le marchand d’héroïne, tous deux sont des marchands de sable, ou des marchands d’illusions. Ils sont créateurs d’un monde, celui de l’apparence. Pour être homme de la pensée, on ne s’embarrasse pas des vivants, on ne s’embarrasse pas du vivant. Et cette pensée comme une vague surgissant des profondeurs du non-être nous porte au sommet.

Celui qui s’arrête à la marchandise est perdu. Celui qui s’arrête à l’apparence est perdu. Le client n’est roi que le temps d’une séduction, une fois pris, il n’est plus qu’un bouffon. Notre temps est celui du mépris, il faut dire que nous y sommes pour quelque chose ! S’accrocher à l’illusoire ! Ne plus chercher à vivre, avoir peur de mourir ! La drogue est la marchandise idéale, elle rend le client accro, il a joué sa vie pour un mirage. Et nous en sommes tous là, nous jouons notre vie pour l’apparence d’un rêve, pour de l’esprit qui s’est matérialisé dans une chose et nous gardons l’illusion de nous en approcher alors même qu’il s’éloigne à tout jamais. Ainsi nous entrons dans le jeu du marchand, marchand d’illusions et marchand de vent. Alors il peut bien nous tenir dans le plus grand mépris, lui qui nous a soumis à sa pensée, à son point de vue sur le monde !

Au Mexique, le capitalisme se fait sournois, il s’insinue, il n’agit pas au grand jour avec perte et fracas comme dans les pays dits du premier monde, où les lois font le jeu du capital sans que nous y trouvions à redire. Dans le premier monde, il est sûr de lui, il est chez lui, les gens ont mordu à son hameçon, les gens ont mordu à ses leurres, il peut y aller bon train. Partir en guerre contre tout ce qui limiterait son expansion, massacrer des populations. Au Mexique, il ne se sent pas encore tout à fait à l’aise, il doit pénétrer dans la tête des gens, la creuser et s’y installer, il doit encore violenter l’esprit des Mexicains, user de la terreur, ce qu’il fait. Et les Mexicains se sentent le plus souvent désarmés face à ce déchaînement de violence. Nous voyons d’ailleurs toutes les forces se conjuguer pour désarmer une possible résistance, pour débiliter une collectivité, pour décomposer une communauté, pour affaiblir un village et le sentiment collectif. C’est dans ce vide social, dans cette vacance ou mollesse de la vie commune que s’engouffre la sauvagerie capitaliste qui, comme une tornade tournoyant sur elle-même, détruit toute velléité de résistance. L’État mexicain se faisant complice de la chose, les habitants doivent trouver en eux-mêmes l’énergie et l’envie de s’opposer à cet envahissement.

Une telle pensée, qui se veut universelle et unique, ne peut être que totalitaire et faire des ravages, soumettre en ayant recours à une violence inouïe tout autre point de vue sur le monde, détruire toute autre forme de pensée qui s’opposerait à son hégémonie. Ce n’est que lorsqu’elle est déjà dominante qu’elle négocie avec la société, dite alors société civile. La Constitution se présente comme un pacte de paix sociale négocié par la classe de la pensée (la bourgeoisie, les marchands, les riches, les spéculateurs), ceux qui investissent leur argent — c’est-à-dire ceux qui s’investissent, qui investissent leur vie et leur temps, qui investissent leur pensée et leur volonté — dans l’échange marchand (dans l’activité sociale de l’échange marchand). Ce pacte social qui lie dans une certaine connivence une partie de la société à l’activité marchande est toujours provisoire, il est toujours à renégocier, donnant toujours plus de liberté et d’espace à l’activité marchande au détriment de la vie commune proprement dite.

L’activité des cartels de la drogue est une activité marchande comme une autre, une activité capitaliste, libérée des entraves constitutionnelles, libérée des entraves de la loi. Il y a un seul esprit capitaliste et cet esprit capitaliste unique conduit à une complicité implicite entre le capitalisme transnational, national et le capitalisme hors la loi. Nous pouvons remarquer par exemple l’importance de l’activité marchande hors la loi qui apporte de l’argent « frais », hors contrôle, nécessaire au développement du capitalisme transnational comme du capitalisme national. La position de l’État dans cette affaire ne peut être qu’ambigüe : d’un côté, il se doit de déclarer la guerre à cette activité marchande jugée et voulue illicite ; de l’autre, en tant qu’expression de la volonté capitaliste, il ne peut que se montrer complice. Nous sommes ainsi amenés à nous interroger sur le rôle, oh combien ambigu, de l’armée mexicaine, qui laisse de vastes régions du Mexique entre les mains des narcos ou qui ouvre le feu sans discernement au cours d’interventions meurtrières [1]. Elle ne protège pas la population, par contre elle est amenée à voir dans chaque Mexicain un suspect potentiel, si bien que l’on peut avancer avec un certain bon sens que l’État mexicain a déclaré la guerre non aux cartels mais bien à la population mexicaine dans son ensemble et parfois à celle qui ose encore lever la tête.

Dans leurs montagnes, le long de leurs fleuves, au bord de leurs lagunes, le long de leurs côtes, dans leurs plaines, sur leurs promontoires, sur leurs presqu’îles, sur leur langue de terre, les habitants doivent faire face à de multiples forces qui convergent vers eux pour les détruire, pour mettre fin à leur mœurs, à leur mode de vie, à ce qui leur donnait une identité propre, à leur culture, et les diluer ainsi, et les noyer dans le vaste monde de l’argent, de la marchandise et de la soumission. Ils doivent s’affronter aux caciques, aux notables et entrepreneurs et hommes d’affaires locaux et régionaux liés aux partis politiques ; ils doivent s’affronter aux entreprises transnationales appuyées par l’État, et à leurs grands projets d’accaparement des ressources d’une région liés, ces projets, à de grands travaux d’infrastructure et de communication ; enfin ils doivent s’affronter aux cartels de la drogue. Et ces trois forces sont liées entre elles par toutes sortes de complicités facilement décelables. Face à l’État, les habitants avaient toujours la possibilité (souvent illusoire) de se placer sur le terrain du droit et jouer la Constitution, et les articles qui les protègent encore, face à la mise en place forcée de projets qui leur sont contraires. Ils sont démunis sur le plan juridique face à la pénétration d’un capitalisme hors la loi et largement toléré par l’État.

Avec la complicité tacite et convenue des gouverneurs, les cartels de la drogue prennent le contrôle de régions entières, quand ce n’est pas des États. J’ai bien connu la ville de Chilapa dans le Guerrero à mi-chemin entre Chilpancingo, la capitale de l’État, et Tlapa, une ville régionale importante. Chilapa était une ville paisible, marquée par une forte présence indienne ; son marché était renommé et agréable, où convergeaient les produits de toute la région avoisinante : légumes, fruits, produits artisanaux, de belles poteries, des paniers ou des ceintures de palmes habilement tressées, des masques de tigres (c’est la région de la danse traditionnelle de los tigrés au cours de laquelle des villages se défient au début de la saison des pluies), on y trouvait aussi des insectes friandises, un genre de grosses punaises vivantes : pincées entre les incisives, il en sort un jus fort piquant au début mais de goût agréable par la suite.

Chilapa est devenu la ville de la peur. Des hommes sont enlevés ou tués, on ne sait pas, ils disparaissent, on dit qu’ils servent d’hommes de main des cartels ou d’esclaves dans les plantations d’amapola, les femmes alors restent seules avec souvent une ribambelle de gosses à nourrir [2]. Des jeunes femmes sont enlevées, elles disparaissent, et leurs familles les recherchent désespérément, on dit qu’elles servent d’esclaves dans les plantations ou d’esclaves sexuelles pour les hommes des cartels. Assis à l’entrée d’un marchand de tacos, dans la soirée, avant le couvre-feu de la peur, on peut voir passer les voitures de grand luxe des narcos qui roulent tranquillement dans la ville.

No nos vamos de nuestro pueblo, como proponen las autoridades municipales. ¿A dónde iremos ? Aquí nos vamos a quedar [3]. (« Non, nous n’allons pas partir, comme nous le proposent les autorités municipales. Où irions-nous ? Nous allons rester ici. ») Ainsi parle Salomón, habitant de Quetzalcoatlán, village nahua de la municipalité de Zitlala dans le Guerrero. Zitlala se trouve à environ 200 kilomètres de Chilpancingo, la route la plus directe passe par Chilapa, mais elle n’est plus empruntée à cause de la violence qui règne dans la région de Chilapa. Quetzalcoatlán est un point stratégique sur la route qui mène d’un côté à Morelos, de l’autre à Puebla et deux bandes de narcos, dit-on, los Ardillos et los Rojos [4], se disputent ce point stratégique. En 2016 les Ardillos venus de Tlaltempanapa, autre village entièrement sous leur domination, ont tué six personnes de Quetzalcoatlán. Les habitants ont alors compris leur douleur et la grande majorité ont fui pour s’employer comme journaliers agricoles dans les États de Sonora et Sinaloa. Ils ne sont pas revenus. Il ne reste plus au village que 62 habitants sur 300 à l’origine. La menace s’est renouvelée en 2017, un an après, bilan : un mort et un blessé. Les tueurs ont été arrêtés par l’armée, qui les a ensuite laissés s’échapper avec la complicité des autorités civiles. La seule solution envisagée par les autorités municipales, qui se trouvent à Zitlala, est le départ des habitants et l’abandon du village ; elles ne s’occupent plus du village, elles le délaissent. Pourtant les habitants s’accrochent, ils ont même des projets.

Nous nous faisons la plupart du temps des idées fausses sur les narcotrafiquants. Les journaux s’attachent au sensationnel et à l’événementiel pour nous offrir le spectacle de l’affrontement, de la guerre et de la terreur, ils cherchent à faire peur à ce brave et naïf lecteur (ou auditeur) et entrent ainsi dans les vues et les jeux du pouvoir ; rares sont les journalistes d’investigation, comme Miroslava Breach (assassinée, il y a maintenant plus d’un an) ou Javier Valdez (assassiné, il va y avoir un an), qui font un travail approfondi et sérieux sur le sujet, tentant de démêler le fil des complicités, qui lie les uns aux autres les hommes de pouvoir dans un État ou dans le pays ; ces journalistes risquent leur vie à tout instant. Quand les cartels de la drogue prennent pied dans une région, ils cherchent généralement à s’attacher le service des journalistes du coin. Refuser d’être acheté comme ce journaliste de Juchitán, c’est encourir un risque très élevé. Le capo [5] a bien pu lui promettre la vie sauve devant une délégation du procureur de la République, qui s’est déplacée à cette occasion ; il ne se veut pas responsable d’une initiative intempestive d’un de ses hommes de main.

Se livrer au narcotrafic c’est seulement une manière de se procurer beaucoup d’argent par des moyens illégaux, le trafic de la drogue n’étant qu’un moyen parmi d’autres comme l’enlèvement, l’accaparement de biens, l’assassinat. Et cet argent est seulement l’instrument du pouvoir, l’instrument d’une pensée, d’une volonté, d’un projet. Et ce projet, qui est toujours le renforcement d’un pouvoir par son exercice, ne se réalise que grâce à l’argent. L’argent est le moyen par lequel une pensée peut se réaliser, il matérialise le pouvoir d’une pensée. Posséder beaucoup d’argent c’est pouvoir imposer son point de vue sur le monde. L’argent est l’instrument d’une volonté de puissance. Ainsi le narco se constitue-t-il toute une clientèle de gens qui ont le sentiment de tout lui devoir, comme autrefois, au temps de l’État providence, le représentant du parti unique dans la région se constituait une troupe de partisans et de fidèles qui avaient le sentiment de lui devoir le peu qu’ils avaient. C’est un homme de pouvoir qui se substitue à un autre homme de pouvoir (quand ce n’est pas la même personne), ce qui explique la complicité intime qui existe encore entre les deux.

Une seule image me vient à l’esprit pour parler du narcotrafic, ou comme il est dit ici avec plus de justesse, du crime organisé, c’est celle de l’eau qui s’infiltre peu à peu, s’insinue dans les brèches déjà existantes, coule ou se coule dans les espaces libérés, dans les conduits, dans toutes les structures du pouvoir déjà existantes, mettant à profit tout un réseau de clientélisme déjà constitué, qui formait il y a peu les cadres de l’ancien régime. Ainsi il pénètre toute une collectivité, toute une société, il gangrène et fragilise tout l’édifice et, quand il finit par déborder et apparaître à la surface, il est trop tard, il a organisé et aménagé l’impuissance des gens.

Cette activité capitaliste repose sur ce que le capitalisme a créé, le besoin d’argent : le besoin d’argent pour survivre et acheter des marchandises et entrer ainsi dans la ronde ou la danse qui le nourrit et le fortifie. C’est entre menaces et argent qu’il recrute ses hommes liges et ses employés. Dans les villages, le besoin d’argent et l’attrait des marchandises se font sentir avec de plus en plus d’acuité. Le jeune peut partir aux États-Unis et revenir avec un petit pactole ; le père, s’embaucher pour un travail temporaire dans une entreprise importante de la région comme la raffinerie de Salina Cruz, par exemple. Des réseaux existent. Ils ont aussi la solution qui consiste à cultiver de l’amapola et à entrer dans le circuit mis en place et contrôlé par un homme de pouvoir, qui aura tissé sa toile dans la région à travers tout un réseau d’obligations. Le jeune s’achètera la moto tout-terrain convoitée et que d’autres, dans le village, convoitent déjà. Le village ferme les yeux, il ne se risque pas à apporter un nouveau prétexte à confrontation à l’intérieur d’une communauté déjà fragilisée et qui a bien du mal à surmonter ses divisions religieuses et politiques pour vivre ensemble. Enfin, le village peut aussi y déceler une solution future à ses propres difficultés. Quoi qu’il en soit, il se trouve pris au piège du non-dit ou de ce qui ne peut être dit. C’est là une première compromission qui peut bien en entraîner d’autres.

Dans un autre village, dans une autre région d’Oaxaca, les jeunes se livrent à la collecte de la résine de pin, qu’ils vendent ensuite à une société de cosmétiques ; ils ont créé une coopérative et ils roulent à moto tout-terrain sur les pistes du coin. Tout est licite, nous avons affaire à une activité capitaliste qui se développe dans le cadre de la loi. Il n’y a pas de risque d’une confrontation entre « pour » et « contre » à l’intérieur du village, il n’y a pas, non plus, de non-dit. Mais la compromission avec l’activité capitaliste, avec le monde du capital, est là tout de même et pèse sur l’esprit du village.

On nous présente les cartels ou les bandes qui se livrent à une activité illégale comme commercer de la drogue ou assassiner son prochain (Cartel de Sinaloa, Jalisco Nueva Generación, los Zetas, etc.) comme s’ils étaient un phénomène de génération spontanée, et, en quelque sorte, un phénomène marginal, à part dans la société mexicaine. C’est inexact, les capos — ou, plutôt, la famille ou les familles — qui se trouvent à la tête d’un cartel, avaient déjà le pied à l’étrier, ils appartenaient déjà à une parentèle importante dans une région, ils avaient déjà un pouvoir local bien établi et c’est ce pouvoir local déjà bien établi qu’ils vont, grâce à leur activité illégale, consolider et agrandir, au point de contrôler une région, un État ou une partie du pays. Leur ambition se heurte, évidemment, à d’autres ambitions tout aussi démesurées, à des alliances de pouvoirs qui leur imposent des limites : à tout un jeu d’alliances stratégiques et politiques, qui est le jeu du pouvoir réel (la réalité du pouvoir) dans un pays comme le Mexique (et partout ailleurs). La véritable politique, la politique qui passionne ceux qui s’y livrent.

S’affronter au narcos, c’est s’affronter au pouvoir réel. Il arrive parfois à ce pouvoir réel, quand il le juge nécessaire, de montrer, au cours d’un simulacre de conciliation, sa gueule effrayante de Gorgone, alors, croyez-moi, on baisse les yeux et on détourne le regard, à moins de ne pas avoir froid aux yeux, d’être zapatiste et de s’organiser pour vivre autrement et pour lutter contre le capitalisme.

¡Viva la ZAD !

(À suivre)

Oaxaca, le 15 avril 2018,
Georges Lapierre

Notes

[1Dans la nuit du 24 au 25 mars 2018, au cours d’un affrontement à Nuevo Laredo (nord-est du Mexique) entre une bande organisée et l’armée, la marine a massacré toute une famille en tirant sur leur voiture depuis un hélicoptère : quatre morts, deux adultes et deux fillettes de quatre et six ans. Ce n’est pas la première fois que des familles ont été ainsi massacrées, le plus souvent parce qu’elles ont été confondues avec des trafiquants. En général, l’armée cherche à occulter de tels faits d’arme ou bien elle prétend que le véhicule se trouvait pris dans un feu croisé et tente de faire porter la responsabilité du carnage à l’ennemi.

[2Les habitants de la Chontale se sont solidarisés dernièrement avec ces femmes et ont envoyé de l’argent pour les aider via le Centre des droits humains José María Morelos y Pavón (Chilapa).

[3« Pobladores de Zitlala resisten a grupos armados », article de Sergio Ocampo Arista paru dans La Jornada du 6 avril 2018.

[4Los Ardillos et los Rojos ; ardilla : écureuil ; rojo : rouge.

[5Le chef local des narcos de Juchitán se trouve actuellement en prison d’où il continue à conduire ses affaires.

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