Il n’y a pas de meilleure preuve de la vigueur du mouvement zapatiste que le surgissement, ces derniers mois, du mouvement pour la création de la commune autonome de Tlalnepantla - à seulement "quinze minutes" de la capitale mexicaine -, qui a été réprimé lâchement dans le sang par le gouvernement de l’État de Morelos. Ces derniers jours venait de se conclure la célébration de la naissance et de l’irruption sur la scène publique de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) à travers le cycle d’événements nommé "20 et 10, le feu et la parole". Cela s’est caractérisé par une suite interminable de journées, conférences, expositions, concerts et rencontres intellectuelles ; beaucoup d’entre elles se convertirent en éloges redondants, et sans la moindre conséquence, de ce mouvement insurgé.
Mais, au-delà de ce que représente ce qui a commencé à se manifester dans des villages et des communautés - surtout indigènes - d’Oaxaca, du Guerrero, du Michoacán et, maintenant, à Tlalnepantla, État de Morelos, il s’agit de la plus profonde assimilation du discours d’autonomie et de résistance hérité du zapatisme. Cet héritage a comme part essentielle la création d’une entité politique qui subvertit le système actuel : la commune autonome. Par cette forme d’organisation sociale, la communauté assume la responsabilité des questions qui la concernent, réaffirme les processus de discussion communautaire et, surtout, retrouve la capacité de décision sur son territoire et sur sa vie comme communauté ; c’est elle qui, collectivement, prend les décisions et a le dernier mot.
Il y a rupture catégorique avec le pouvoir des partis : avec le fait que la sphère du politique est monopolisée, contrainte et assujettie aux partis politiques. C’en est fini de la délégation de la problématique sociale à un appareil central de contrôle, qu’il se nomme gouvernement régional ou fédéral, la communauté prenant la responsabilité de cette tâche. Autonomie signifie à tout moment réappropriation de la vie et les communes autonomes sont un mode d’organisation sociale en construction qui ne convient pas aux intérêts capitalistes et néolibéraux représentés sous les diverses faces de ce système : gouvernement, entrepreneurs et armée. Nous pourrions percevoir dans le futur un mouvement de communes autonomes comme lutte de libération à portée limitée dans l’immédiat, mais dont le potentiel de transformation révolutionnaire est ample s’il parvient à s’étendre, se généraliser et s’approfondir dans son caractère de subversion de la culture capitaliste. En s’articulant, ces espaces maintiennent une coordination et un appui entre les expériences distinctes qui sont en gestation ; en plus de s’intégrer aux autres manifestations de rébellion qui se manifestent dans divers secteurs sociaux : travailleurs manuels, enseignants, paysans, étudiants. C’est seulement ainsi que pourrait être arrêté le gouvernement dans ses tentatives d’en finir avec l’expansion des communes autonomes. C’est une appréciation prétentieuse de la part du ministre de l’intérieur, Santiago Creel Miranda, lorsqu’il affirme qu’"ici [au Mexique], on ne permettra pas que quiconque vienne établir de nouvelles formes de gouvernement, à son gré, pour la satisfaction d’un groupe quelconque qui n’est pas d’accord avec l’autorité constitutionnelle". L’attitude toute-puissante, la disqualification, la criminalisation - jusqu’à l’association au terrorisme - et les menaces des gouvernements régional et fédéral contre la création de communes autonomes mettent seulement en évidence qu’ils ne peuvent accepter, leurs énormes intérêts étant en jeu, les causes véritables qui nourrissent ces projets d’émancipation sociale. Quand un peuple, une communauté ou une personne a assumé son autonomie, il a déterminé que le devenir de sa vie n’appartient qu’à lui seul. L’armée et les diverses polices pourraient, dans l’immédiat, contenir ces aspirations à Tlalnepantla, mais les "caracoles" avancent lentement et avec ténacité, à travers la toile des réseaux de résistance, s’enracinant chaque fois plus profondément au cœur du Mexique insoumis.
Traduction parue dans Le Monde libertaire
d’un éditorial de la revue mexicaine Autonomía
(janvier-février 2004).