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La guerre qui ne dit pas son nom

mardi 2 décembre 1997, par Luis Hernández Navarro

Rien de ce qui se passe aujourd’hui au Chiapas dans les domaines militaire ou politique n’est le fruit du hasard. Il y a là-bas une guerre, et rien n’est mieux planifié que cette guerre-là. La mise en place par l’EZLN de municipalités autonomes, l’augmentation de l’activité paramilitaire à Chenalhó et l’attentat de Paz y Justicia contre les évêques du diocèse de San Cristóbal n’ont rien de faits spontanés. Ils font partie de la stratégie des combattants, et sont l’expression d’une nouvelle phase de la guerre au Chiapas.

Les contours de cette nouvelle étape ont commencé à se dessiner il y a un an, en décembre 1996, quand le gouvernement fédéral a supprimé (au moins temporairement) la négociation politique comme voie vers une solution au conflit. Son refus d’accepter le projet de réforme constitutionnelle élaboré par la COCOPA, « justifié » par de prétendues objections de technique juridique, avait autant pour but d’écarter l’EZLN de la conjoncture électorale de juillet 1997, que d’éviter l’application des accords de San Andrés.

Cette décision s’appuyait sur la croyance que les zapatistes étaient socialement isolés et contenus militairement, et que le scrutin fédéral les éloignerait des projecteurs de la politique nationale. Dans cette logique, la présence de l’armée et les programmes d’aide devaient suffire à arrêter l’EZLN. Mais elle ne prenait pas en compte la capacité des rebelles à s’imposer à l’échelle régionale, à continuer à construire une autonomie de fait, à gagner de nouvelles régions, à animer la formation de nouveaux acteurs politiques au niveau national, comme le Congrès National Indigène, et à renforcer leurs relations internationales.

La marche des 1 111 zapatistes sur Mexico en septembre dernier a mis en évidence l’existence d’une nouvelle phase dans la guerre chiapanèque. Elle a montré que l’Armée Zapatiste s’était développée, qu’elle était devenue un pouvoir autonome dans plusieurs régions de l’État - et ce, malgré la présence de l’armée -, qu’il existait toujours un important courant d’opinion favorable à sa cause, et que le gouvernement était incapable d’apporter une solution au conflit dans le nouveau contexte né des élections du 6 juillet [1997]. Elle a rendu évidente la rupture de l’équilibre des forces qui existait jusqu’en décembre 1996.

La réponse gouvernementale à cette progression a été de généraliser la « paramilitarisation » de la guerre.

Les groupes paramilitaires qui opèrent dans l’État du Chiapas sont différents des gardes blanches et des escadrons de la mort. Les gardes blanches sont des groupes armés au service de propriétaires terriens ; ils agissent sous leurs ordres. Les escadrons de la mort sont des groupes clandestins qui agissent surtout en milieu urbain, en menaçant et en attaquant des militants populaires et des défenseurs des droits humains ; ils sont en général cimentés par des idéologies anticommunistes, et sont constitués de membres des forces de l’ordre.

Les groupes paramilitaires, par contre, sont un réseau de petites armées irrégulières, dotées de leur propre commandement, et composées d’indiens, de paysans pauvres et d’enseignants, recrutés dans les communautés qui bénéficient des réseaux clientélistes du priisme traditionnel ; ils sont entraînés et financés conjointement par les forces de sécurité publique et les groupes de pouvoir locaux. Leur principal objectif est d’essayer de freiner le développement des formes d’organisation indépendante.

Leur surgissement, au delà des facteurs endogènes, est le résultat d’une décision stratégique du pouvoir. À la différence de l’Armée ou des polices, les paramilitaires n’ont de compte à rendre à personne, ils échappent à tout contrôle public. Ils peuvent agir dans l’impunité la plus totale, et même se présenter comme « victimes ».

Ils sont l’instrument idéal pour faire la guerre que l’Armée ne peut pas faire directement, et essayer ainsi de freiner l’expansion de la rébellion. Ce n’est pas par hasard qu’ils ont surgi dans des régions stratégiques du territoire chiapanèque.

La zone d’opérations de Paz y Justicia, sur les basses terres de Tila, a pour but de bloquer le corridor naturel d’expansion ou de sortie des zapatistes.

L’action des Chinchulines à Bachajón essaye d’établir un point de contention sur le front sud de la zone nord. Et aujourd’hui, le groupe Primera Fuerza, à Chenalhó, vise à rompre l’une des « vertèbres » de l’expansion des zones autonomes zapatistes dans les Altos.

De nouveaux groupes paramilitaires sont d’ores et déjà apparus dans l’État du Chiapas. Plusieurs autres apparaîtront dans les mois qui viennent. Ce sont les nouveaux instruments d’une guerre ancienne. Ils sont l’autre visage d’une guerre que nous n’osons pas appeler par son nom.

Luis Hernández Navarro
La Jornada, Mexico, 2 décembre 1997.

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