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Notre-Dame-des-Landes

La ZAD ouvre des pistes
que l’État ferme à coups de grenades

samedi 28 avril 2018, par Barbara Glowczewski, Christophe Laurens, Émilie Hache, Geneviève Pruvost

Mardi 17 avril 2018.

Pour expulser 250 habitants répartis sur une zone agricole de 1 650 hectares de bocage sont mobilisés 2 500 gendarmes mobiles véhiculés en camions, hélicoptères, blindés, munis de tractopelles et de drones, pour un coût de 300 000 à 400 000 euros par jour, avec un usage par centaines chaque jour de grenades de quatre types (lacrymogènes, incapacitantes, de désencerclement et offensives de type GLI F4) et de tirs de flash-balls, causant à ce jour plus de 200 blessés du côté des défenseur·e·s de la ZAD — sans compter l’asphyxie d’un nombre inquantifiable de tritons et de salamandres censés être préservés dans ce biotope unique. Il s’agit bien d’une opération d’écrasement du vivant et cette opération policière à caractère militaire est menée sur le territoire de la France.

Sur les routes des communes aux alentours de la zone (Vigneux, La Paquelais, Notre-Dame-des-Landes, Fay-de-Bretagne, Le Temple-de-Bretagne, Héric), des checkpoints filtrants, des contrôles d’identité, des fouilles de véhicules et de sacs ont été menés. Il ne s’agit donc plus d’un espace public libre de mouvement. Dans des fermes et des lieux de vie qui se trouvent sur la ZAD, et sur lesquels des mesures d’expulsion ne peuvent être entamées à cette date, ont été également constatées des intrusions policières, ainsi que des lancers au cougar de grenades. C’est la deuxième fois que ces communes et la ZAD vivent cet état de siège, après l’opération d’expulsion de 2012. Cette violation du droit de circuler et de se réveiller le matin sans explosifs dans son jardin se déroule en 2018, dans un État dit « de droit ».

Des journalistes se voient par ailleurs interdire l’accès à certaines de ces opérations militaires au motif que la gendarmerie dispose de son propre service d’information et filmerait ce qui doit être filmé. Ces mêmes journalistes, ciblés par des tirs de bombes de toutes sortes, ont été blessés par des gardes mobiles. En raison de la difficulté d’accès au terrain et du matraquage médiatique du gouvernement, il est difficile aux rédactions de rendre compte sereinement de la variété des modes de résistance mis en œuvre par les habitant·e·s et les personnes de tout âge et de tout sexe venues à leur secours. Il est raisonnable de conclure que sur cette portion du département de Loire-Atlantique la liberté de presse n’est pas assurée.

Les équipes médicales sur place témoignent de l’afflux de blessés et du niveau de gravité des blessures possibles, en raison d’un usage disproportionné et illégal d’armes dites non létales (tir tendu ou des balles de flash-ball tirées à bout portant, visant sciemment la tête des personnes et parfois même l’espace même où se trouvent les équipes médicales) : ont été recensées, en plus des blessures légères (coupures, brûlures de premier degré, foulures, éclats de bombes qui n’ont miraculeusement pas touché les artères), des blessures sérieuses nécessitant des points de suture et une surveillance en raison d’impact sur des organes vitaux ; il y a enfin des blessures graves (projectile de flash-ball dans l’œil, dans l’abdomen, membres brisés par des tonfas, oreilles arrachées, blessures à la tête et à la gorge) nécessitant une évacuation par ambulance. Ces évacuations se sont effectuées dans des conditions calamiteuses : pour certains de ces transferts, les gendarmes ont soit lâché le blessé dans la rue à Nantes loin de l’hôpital, sans accomplir leur mission légale d’accompagnement de la personne placée sous leur responsabilité ; soit retardé l’évacuation urgente en bloquant sur zone l’ambulance jusqu’à ce que le blessé atteigne un stade critique. Autant d’atteintes aux droits élémentaires et à l’intégrité physique, qui ne manqueront pas de faire l’objet de poursuites judiciaires. Face à cet acharnement militaire, les équipes médic rencontrées sont unanimes et témoignent de violences possiblement létales : « L’éclat de la grenade est passé à un cheveu d’un organe vital. La personne aurait pu mourir. Les blessés sont des miraculés. »

Qui se posterait benoîtement derrière les barricades qui retardent l’arrivée des blindés sur la ZAD ou s’attablerait dans une des nombreuses cantines à prix libre de la ZAD pour demander naïvement ce qu’il en est des violences subies se trouverait assailli par un flot de témoignages dont voici quelques extraits : « Je pique-niquais et on m’a envoyé une bombe lacrymogène » (retraitée, dimanche 15 avril). « Je venais dire bras en l’air, tout seul, sans agressivité, sur la ligne de front des gendarmes répartis le long de la D281 qu’il était encore temps qu’ils aillent voir un médecin complaisant pour se faire une interruption temporaire de travail et quitter leur poste s’ils estimaient que cette mission d’expulsion était injuste et abusive. J’ai reçu au total en deux heures de temps cinquante tirs de bombes lacrymogènes » (jeune homme, non violent, jeudi 13 avril). « J’ai eu une chance folle. J’étais tout seul, je ne faisais rien. Un garde mobile a fait un tir tendu de lacrymo sur moi. J’étais sidéré qu’il le fasse — sans sommation. J’ai failli ne pas bouger, j’y croyais pas » (trentenaire, vendredi 14 avril). « Je ne fais pas souvent de manifestations, je ne suis jamais dans les cortèges de tête. C’est la première fois que je viens à Notre-Dame-des-Landes. Au début, je mettais juste un foulard sur le nez et la bouche pour pouvoir respirer dans les tirs de bombes lacrymo qu’on respirait jusque dans les cuisines des cantines où je donnais un coup de main. Puis on m’a passé un bouclier pour intercepter les bombes et éviter qu’elles me tombent dessus. Puis on m’a passé un masque et des lunettes de piscine pour que je puisse courir et échapper aux flics qui nous coursent. J’ai pas beaucoup dormi ces derniers jours avec les hélicoptères qui tournent toute la nuit et les bombes lacrymo jetées dans notre camping. Je ne sais pas ce que les médias peuvent s’imaginer, en voyant notre dégaine à nous tous. Mais il a bien fallu qu’on s’équipe — juste pour pouvoir se déplacer d’un point à un autre. C’est fou » (femme d’une quarantaine d’années, sur zone depuis dimanche 8 avril).

S’il était possible d’aller voir du côté policier ce qu’il en est du commandement intermédiaire et des ordres reçus par radio, il faudrait enquêter pour élucider une série d’énigmes (en mettant de côté ici l’énigme fondamentale de l’évidence que les États dits démocratiques doivent se doter d’une police armée au XXIe siècle) : y a-t-il des ordres donnés pour agir en dehors du cadre légal du maintien de l’ordre et notamment de l’encadrement serré de l’usage des grenades offensives depuis la mort de Rémi Fraisse ? À quel niveau sont donnés ces ordres et comment sont-ils traduits sur le terrain ? Y a-t-il des fourgons de gendarmes ou des groupes de gendarmes isolés qui prennent l’initiative de faire fi de ce cadre, sachant qu’ils seront couverts par leur hiérarchie et leurs collègues, au nom de la loi du silence et du corporatisme qui rend si difficiles les possibilité d’enquêter sur les violences policières ? S’agit-il d’ordres qui ne laisseront pas de traces dans les archives du fait de leur énoncé oral et implicite ou d’un usage abusif de la broyeuse qui détruit les documents compromettants ? L’objectif de ce déploiement disproportionné et abusif de force n’est-il pas de pousser une partie de défenseur·e·s de la ZAD à faire en retour usage de la force pour se défendre ? C’est une stratégie policière bien connue que de chercher à attiser une violence réactionnelle pour mieux justifier la répression.

Dans quelle mesure juristes, sociologues et historien·ne·s pourront-ils enquêter convenablement sur cette rupture du maintien de l’ordre contemporain en métropole ? Parce que rupture il y a : depuis la dissolution des voltigeurs qui ont causé la mort de Malik Oussekine en 1986, le maintien de l’ordre s’est concentré sur l’objectif de ne pas occasionner de morts à l’occasion de mouvements sociaux et de manifestations d’ampleur. La mort de Rémi Fraisse a révélé l’usage d’armes de nature à provoquer la mort. Des armes de même catégorie sont utilisées à cette heure à Notre-Dames-des-Landes dans de multiples circonstances, en dehors du cadre fixé pour que ne se reproduise pas une telle tragédie. Il semble donc qu’au plus haut niveau de l’État l’éventualité d’un mort lors d’un rassemblement ou d’une confrontation ne soit pas un problème digne de retenir l’attention du sommet de la hiérarchie gouvernementale.

Une autre décision souveraine est présentée par le président de la République, le ministre de l’Intérieur et la préfecture comme allant de soi, alors même qu’elle défie le bon sens : est-il justifié de mobiliser un cinquième des gardes mobiles pour expulser des habitant·e·s qui montent sur le toit et forment des chaînes humaines pour défendre des lieux de vie, des ateliers, des hangars, des potagers, des vergers, des poulaillers, des étables ? Quand l’État concentre ses forces de police les plus sophistiquées sur un même territoire et sur un temps continu (neuf jours aujourd’hui), ce déploiement de force publique n’est pas une simple opération de maintien de l’ordre, elle vise à criminaliser un mode de vie. Les opérations d’expulsion et de destruction n’ont pas touché les fermes et les habitats en dur de la ZAD, mais les habitats légers et un certain type d’agriculture vivrière et semi-marchande. Pourquoi la convention d’occupation précaire que les habitant.es de la ZAD réclament collectivement a minima sur 300 hectares n’est-elle pas acceptée par la préfecture ? L’État a pourtant en main les outils juridiques pour proposer un bail emphytéotique autogéré par une association locale qui permettrait de légaliser ce type d’occupation foncière. Cette opération de légalisation est d’autant plus aisée que l’ensemble des 1 650 hectares de la ZAD appartient à l’État, qui en a seulement concédé l’usage à AGO Vinci. Le ministère de l’Agriculture ne pourra pas arguer du fait qu’il n’a pas connaissance d’une forme juridique adéquate et encore moins qu’il ne dispose guère du recul suffisant : l’expérience est déjà menée avec succès sur le plateau du Larzac sur 6 300 hectares depuis trente-trois ans. Les habitant·e·s de la ZAD souhaitent tout simplement poursuivre les actions menées pour faire de cette zone un lieu d’expérimentation fondé sur l’interdépendance et la coopération d’une diversité de modes de vie avec un large panel d’activités — des charpentiers qui travaillent le bois des forêts du lieu, des boulangers qui pétrissent la farine des céréales cultivées sur place, des éleveurs de vaches laitières, des herboristes qui cultivent et connaissent les plantes sauvages du bocage, des puisatiers qui ont capté l’eau de la zone humide, jusqu’aux poètes·ses et musicien·ne·s qui arpentent les sentiers.

Que l’État opte pour la résolution par les armes du « dossier ZAD », avec le délai d’urgence de présenter des fiches individuelles de projet agricole pour le 23 avril 2018, alors qu’il dispose d’une réponse juridique contractuelle déjà éprouvée, permettant une gestion collective des terres, en dit long. Il s’agit bien de faire passer en force — à coups de blindés et de tractopelles, unis pour un même combat — un modèle de société bétonné, agro-industriel et individualiste qui vacille. Ces normes qui conditionnent tant la consommation que les conditions de travail sont vivement contestées dans toutes les classes sociales, des étudiant·e·s aux ouvrier·e·s, des cadres aux employé·e·s, auprès de toutes les générations, des plus jeunes aux plus âgées qui ont connu la vie d’avant les autoroutes et les supermarchés.

Force est donc de constater que si 2 500 gardes mobiles ont été envoyés moins de trois mois après l’abandon du projet d’aéroport pour assiéger un confetti sur une carte, peuplé de fermes et d’habitats légers, c’est que ces murs d’argile et ces bottes de paille sont des chambres d’écho qui résonnent fortement : elles parlent bien au-delà des cercles militants à des milliers de sympathisant·e·s de toute la France et du monde entier qui convergent, s’interrogent, s’indignent, aspirent à vivre autrement. C’est donc bien pour tenter de tuer dans l’œuf cette demande de plus en plus populaire de changement que depuis neuf jours l’État s’emploie à maintenir à haut niveau l’usage de la force publique.

Geneviève Pruvost (sociologue), Barbara Glowczewski (anthropologue),
Christophe Laurens (architecte), Émilie Hache (philosophe)

Source : zad.nadir.org
25 avril 2018.

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