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Quelques réflexions, à un an de cette douleur qui a pour nom Atenco

Contre la répression... une Autre Campagne

jeudi 10 mai 2007, par SCI Marcos

Mai 2007.

I. D’Atenco à Oaxaca

Jour après jour, ce grand mouvement que nous appelons l’Autre Campagne ne cesse d’être attaqué. La répression et la persécution s’enchaînent aux arrestations et aux morts.

Comme en réponse au son du tocsin, la répression lancée contre le peuple de San Salvador Atenco, le Front des communes pour la défense de la terre et l’Autre Campagne donnait le coup d’envoi à l’accomplissement des menaces contre des organisations, des groupes, des collectifs et des individus, principalement contre ceux et celles qui sont en dehors et au-dessous de la politique institutionnelle.

Oaxaca vint s’ajouter à Atenco, puis ce fut le tour du Yucatán et du San Luis Potosí, mais il n’y a pas qu’eux. En plus des coups, des arrestations et de la torture, l’Autre Campagne subit la calomnie de certains moyens de communication ou le silence d’autres secteurs qui informaient auparavant des mouvements sociaux.

Il ne s’agit pas seulement d’une criminalisation de la lutte sociale. L’attaque ne provient pas non plus uniquement de la dénommée droite réellement existante qui tient les rênes du gouvernement fédéral.

De l’avis des zapatistes, il s’agit de quelque chose qui renoue avec des méthodes anciennes, mais avec un message supplémentaire. En attaquant le mouvement social, on ne cherche pas seulement à le contenir et à le persécuter à cause de ses revendications, on veut aussi et surtout lui signifier qu’au Mexique on ne peut faire de la politique que dans le cadre des institutions, c’est-à-dire au sein des partis politiques.

Pour le dire clairement, nous avons le droit de ne pas être d’accord uniquement dans la mesure où nous acceptons que nos propositions, nos refus et notre rébellion soient médiatisées et capitalisées politiquement par l’une ou l’autre des forces parlementaires.

Autrement dit, les mouvements sociaux fournissent les prisonniers, les morts, les femmes violées et les blessés, et les partis politiques fournissent les députés.

Rares sont les organisations et les mouvements qui ne sont pas tombés dans le piège tendu d’en haut et par en haut, qui voudrait leur faire croire qu’en adhérant à la machine électorale ils obtiendraient la libération de leurs prisonniers et de leurs prisonnières, que l’on ferait preuve d’une attitude plus tolérante envers leurs mobilisations ou que leurs revendications aboutiraient.

Le cas le plus récent est l’Oaxaca, où une partie du mouvement qui a émerveillé le Mexique d’en bas aspire aujourd’hui avec enthousiasme à des postes qu’elle n’obtiendra jamais. Cela n’arrivera pas parce que la politique est un négoce dans lequel les prisonniers et les morts ont un prix, un prix plus ou moins élevé selon leur cote dans la nouvelle Bourse des valeurs de la politique moderne : les moyens de communication.

À savoir : si vos prisonniers et vos morts apparaissent dans les médias et récoltent en outre la sympathie de ce que l’on appelle "l’opinion publique", alors votre répression vaut quelque chose.

Au contraire, si vous ne sortez pas à la télé, à la radio ou dans la presse écrite ou, pire, si vous sortez mais que vous ne récoltez que répulsion et réprobation, alors votre répression n’a aucune valeur aux yeux des professionnels de la politique... Ou alors, si, pour être condamné.

Atenco et Oaxaca en sont deux bons exemples.

Atenco. Quand la télévision répétait jusqu’à l’écœurement les images de la raclée que des habitants d’Atenco administraient à un agent de la police fédérale préventive et que les sondages montraient que "l’opinion publique" se disait "pauvre policier / maudits paysans", les hommes politiques de la gauche parlementaire, les défenseurs des droits humains fondamentaux et l’intelligentsia progressiste jugèrent et condamnèrent ou, dans le meilleur des cas, gardèrent un silence complice et veule. Il est notoire (et soigneusement enregistré par le miroir médiatique et politique d’en haut) que le Parti de la révolution démocratique avait soutenu et applaudit, dans l’État de Mexico, la sanglante messe noire que le gouvernement de cet État (gouverné par le PRI) et le gouvernement fédéral (du PAN) ont orchestrée dans la nuit du 4 mai 2006.

Par contre, quand on a commencé à connaître la barbarie des forces de l’ordre, les viols, les coups, les tortures et le caractère injuste et illégal de toute l’opération, les intellectuels, les médias et les hommes politiques ont rapidement endossé un masque d’émotion et d’indignation. Oh ! Pas bien longtemps, parce que les élections approchaient et avec elles la cotation sur le marché des programmes et des principes affichés.

Atenco leur brûlait les doigts. C’était comme un hérisson qui faisait mal, par quelque bout qu’on le prenne, et forçait à se définir et à en tirer les conséquences. Deux mots, définitions et conséquences, qui ne figurent pas dans le lexique de la classe politique moderne (et dernièrement, pas non plus dans celui de l’intelligentsia progressiste).

"Aux urnes !", fut la réponse de la gauche institutionnelle, qui nous invitait, avec son "Souriez, on va gagner", à tout remettre à plus tard, y compris la dignité rebelle, pour que rien ne vienne entacher cette victoire.

Prenant l’histoire du moment à rebrousse-poil, l’Autre Campagne n’a pas souri, a organisé sa rage et son indignation et s’est mobilisée, y compris le jour sanctifié des élections, pour crier "Liberté et justice pour Atenco !"

Alliant mobilisations et défense par la voie légale de nos prisonniers et de nos prisonnières, des centaines de compañeras et de compañeros ont pu être libérés. C’est quelque chose que nous avons parfois tendance à oublier car une telle récompense s’efface devant la douleur des 28 compañeras et compañeros qui sont encore emprisonnés, à Almoloya, à Santiaguito et à Texcoco.

Vient s’ajouter à tout cela l’ignominie de la sentence condamnant à 67 ans de prison nos compañeros Ignacio del Valle, Felipe Álvarez et Héctor Galindo. En ce qui concerne cette condamnation, nous nous en tenons à ce que nous avons déjà dit : ils sortiront bien avant d’avoir purgé leur peine et c’est Vicente Fox, Enrique Peña Nieto et Eduardo Medina Mora qui viendront occuper leur cellule.

Dans l’Oaxaca, il s’est passé quelque chose de semblable. Valsant sur le couteau à double tranchant de la "neutralité" et de "l’objectivité", l’intelligentsia progressiste a réussi l’impossible, grâce aux médias : comparer les actions directes de l’APPO et des groupes proches avec la brutale répression de la PFP et de la police de l’État d’Oaxaca.

Pour ceux d’en haut, une automitrailleuse, un pistolet-mitrailleur ou un hélicoptère, c’est la même chose qu’un lance-pierre, un cocktail Molotov... ou un spray de peinture !

"L’APPO doit faire son autocritique !", ont-ils tous hurlé, tandis que les prisonniers et les prisonnières étaient transférés dans des prisons d’autres États, comme au temps de Porfirio Díaz, et que les disparus, les blessés et les personnes assassinées allaient devoir attendre la période des élections pour cotiser et savoir si la justice allait accorder des postes et des nominations.

Et la période électorale est arrivée. Et avec elle la douce saveur trompeuse des candidatures aux élections. Nombreux sont ceux qui ont mordu à l’hameçon avec un enthousiasme étonnant, s’imaginant que les partis politiques se montreraient sensibles au mouvement social au lieu d’avoir les yeux rivés sur les sondages. Mais la réalité ne cotise pas dans les médias et très vite on a reniflé les espoirs déçus et les gueules de bois morales.

Les morts ne connaissent toujours pas le soulagement qu’apporte le châtiment de leurs bourreaux, les disparus restent disparus et les prisonniers et les prisonnières sont libérés au compte-gouttes ou écopent d’accusations ou de sentences injustes et illégales, ou tout simplement continuent d’augmenter.

Récemment, David Venegas, un de nos compañeros de l’Autre Campagne, également connu comme "El Alebrije", a été arrêté. Fidèle à une pratique désormais habituelle, les policiers ont "saupoudré" de la drogue dans ses poches pour pouvoir le faire condamner. Et maintenant qu’il est en prison, on lui a offert de négocier sa liberté en le menaçant, lui et sa famille, comme il a pu le faire savoir dans une lettre de sa main.

David Venegas n’est pas le seul, il y a aussi le cas de compañeras et de compañeros de Voces Oaxaqueñas Construyendo Autonomía y Libertad (VOCAL - Voix d’Oaxaca construisant autonomie et liberté), composé de groupes et de collectifs de tendance anarchiste et libertaire. David Venegas fait partie de VOCAL, auquel appartiennent aussi, pour ne citer que ceux-là, le collectif Tod@s Somos Pres@s ("Nous sommes tous/tes des prisonniers/nières") ainsi que le Consejo Indígena Popular de Oaxaca-Ricardo Flores Magón (CIPO - Conseil indigène populaire de l’Oaxaca), ce dernier étant membre du Congrès national indigène et participant à l’organisation de la Première Rencontre continentale des peuples indiens. Outre qu’ils sont directement menacés par les autorités locales, ces compañeras et compañeros se voient criminalisés, désignés comme cibles, accusés et persécutés par des organisations politiques soi-disant de gauche, tel le Front populaire révolutionnaire PCM marxiste-léniniste, qui se dit adhérent à l’Autre Campagne quand ça lui chante et qui s’en sépare ou prend ses distances quand ça ne lui convient plus. Les membres de ces organisations n’attendent pas de s’emparer du pouvoir pour persécuter des anarchistes et des libertaires : alliés à ceux qu’ils prétendent combattre, ils persécutent ceux et celles qui ne pensent pas comme eux et qui luttent pour un autre projet de société future.

Oaxaca ne connaît toujours pas la liberté et la justice. Et Ulises Ruiz continue à occuper ses fonctions, d’où il manipule l’ensemble de la machine électorale, s’immisçant dans les partis politiques, y compris au sein de la gauche parlementaire. Je n’invente rien, les faits ont été dénoncés par des gens soupçonnés de "faire le jeu de la droite" et d’"être à la solde de Felipe Calderón", c’est-à-dire de l’intérieur même du PRD.

II. La répression comme spot publicitaire gratuit

Selon l’EZLN, après Atenco et Oaxaca, un nouveau phénomène est apparu.

Il n’y a pas que l’indépendance et la souveraineté qui ont été enterrées avec la destruction de l’État-nation mexicain, mais aussi toute cohésion politique. Alors qu’auparavant le présidentialisme constituait la colonne vertébrale du système politique mexicain, le passage d’un savoir-faire politique à un savoir-faire commercial, qui se soucie plus des hauts et des bas du marché électoral que de gouverner, a débouché sur une situation dans laquelle notre pays ressemble à un archipel à la dérive.

Tel un crocodile blessé à mort, au Mexique l’État national agonisant donne des coups de queue rageurs. Réduit en loques, l’État-nation parvient difficilement à masquer sa véritable nature violente, illégitime et illégale. Affaibli, soumis aux aléas des moyens de communication, il a abandonné toute idée de gouverner et préfère se consacrer à la répression subtile ou sans vergogne, sélective ou de masse, mais toujours maladroite, illégitime et illégale.

En l’absence d’un point de référence permettant une cohésion nationale, de véritables fiefs plus ou moins grands ont surgi, qui sont tantôt un des États, tantôt des régions entières au sein d’un État ou plusieurs régions. Les seigneurs postmodernes qui règnent sur ces fiefs ont transformé en de petits pays ce qui était auparavant des États ou des districts communaux. Ils y ont constitué leurs alliances, non pas avec le crime organisé - dont ils ne sont de fait que le bras politique -, mais avec les grands capitaux mondiaux dont ils dépendent et avec qui ils négocient privilèges et prébendes en échange d’un soutien qui ne se cache même plus.

Encouragés par la façon dont les médias traitent le recours à l’armée fédérale pour combattre le narcotrafic, nos roitelets et vice-rois des États et régions de la République mexicaine testent leurs "réussites" publicitaires. Marcelo Ebrard dans le District fédéral, Peña Nieto dans l’État de Mexico, Marcelo de los Santos dans l’État de San Luis Potosí, par exemple, pour mentionner trois fiefs "gouvernés" par le PRD, le PRI et le PAN, respectivement.

Désormais, la répression ne se cache plus des médias. Au contraire, souvent elle a lieu pour eux.

Visiblement, on peut obtenir plus de minutes d’antenne à la télévision ou à la radio et plus de pages dans les journaux et dans les revues en lançant une répression qu’en se payant un gigantesque panneau publicitaire ou un spot à la radio ou à la télé... Et en plus, sans avoir à payer la pub.

Sur ce point, il n’y a aucune différence entre le PRI et le PAN ou le PRD.

La légalisation de sociétés de connivence et de l’interruption de grossesse pour raisons médicales ont éclipsé la répression du mouvement social dans la capitale de notre pays, notamment celui du digne quartier de Tepito, où, comme ailleurs, les médias ont fait office de ministère public en qualifiant des personnes honnêtes et travailleuses de "vendeurs de drogue". Tout ça pour permettre de s’emparer par les armes d’un territoire et le livrer à Carlos Slim Helú, à qui on a vite pardonné ses infidélités électorales.

J’en profite pour émettre une annonce commerciale du Foro Abierto Tepito ("Forum ouvert de Tepito") :

"Peuple du Mexique !
"À compter du 14 février infâme, Marcelo Ebrard veut obliger à s’exiler 38 000 habitants et livrer le quartier de Tepito à la voracité de grands capitaux mexicains et étrangers tels que Carlos Slim, Sports Martí et Noria.
"Nous nous battons pour défendre notre travail, nos logements, le quartier.
"Le commerce de Tepito continue de fournir les meilleurs prix de ce pays, de 8 heures à 19 heures, tous les jours de la semaine.

"Non au capital mexicain et étranger qui veut s’emparer du quartier !
"Non au gouvernement de la ville de Mexico qui veut nous expulser de notre communauté !"

(Fin de la plage publicitaire)

La répression a des couleurs changeantes qui "sèment la confusion" chez les observateurs politiques de "gauche". En effet, quand c’est le PRD qui exerce la répression, pour de tels observateurs ce n’est que justice rendue ; mais quand c’est le PRI ou le PAN, c’est un crime... Oh, pas si grave que cela, parce qu’il est facile de fermer les yeux là-dessus au moment de conclure des alliances électorales.

Encore une fois, l’Oaxaca illustre parfaitement la chose.

Je déteste avoir à dire que je l’avais dit, mais je vous l’avais bien dit : la réaction timorée de l’intelligentsia progressiste devant la répression déclenchée par leur futur "leader" et ci-devant candidat à l’élection présidentielle de 2012, à savoir, Marcelo Ebrard, n’est qu’un bon indicateur de la réaction qu’elle aurait eu devant les coups portés par l’exécutif fédéral si le PRD avait rempli ses devoirs électoraux.

Quoi qu’il en soit, nous devons malheureusement envisager qu’un tel engouement médiatique pour le sang versé et la douleur de ceux d’en bas se maintiendra encore un bon moment, avant de s’effacer (comme cela commence à être le cas avec l’utilisation de l’armée dans la lutte contre les stupéfiants).

Il faut donc s’attendre à plus de coups, plus de prisonniers, plus de morts... Et il faut s’y préparer.

III. Ce qui vient : une autre stratégie face à la même répression

Bien que la stratégie adoptée à l’échelle nationale par la répression marche au son et au rythme des moyens de communication, il ne peut en être de même de la stratégie dont le besoin urgent se fait sentir en bas et à gauche pour affronter cette répression, qui ne doit pas suivre ce rythme, pas plus que celui des organisations politiques de gauche qui ne s’intéressent à une telle répression que quand elle les touche de près.

Nous ne pouvons pas mentir aux gens ni nous mentir à nous-mêmes. Nous allons essuyer de nombreux coups, éprouver de la douleur et déplorer de nombreuses absences sur le chemin que nous empruntons, sans compter les silences complices, les incompréhensions et la mesquinerie. Nous devons y être préparés.

Alors, que faire ?

Nous les zapatistes, nous trouvons que ce que fait actuellement le Conseil des ejidos et des communautés opposés au barrage de La Parota (CECOP) est très bien et que c’est quelque chose que nous devrions soutenir sans vaciller. Ses membres nous préviennent que le gouvernement fédéral et le gouvernement local (gouvernement local qui, soit dit en passant, est aux mains du PRD) ont adopté une stratégie de provocation et d’intimidation, en toute illégalité, qui veut notamment effectuer des assemblées factices pour imposer leur projet destructeur.

Les compañeras et compañeros du CECOP nous ont demandés de les soutenir par l’envoi de missions civiles d’observation, afin de neutraliser cette stratégie provocatrice et de garantir la tranquillité d’un peuple qui a déjà obtenu légalement et de façon légitime l’annulation de la construction du barrage en question.

Inutile d’attendre qu’il y ait des morts, des arrestations et des blessés à La Parota pour y retourner et recommencer à les soutenir. Nous devons étayer leur lutte avec ces missions d’observation et renouveler dans les actes le cri "Ils ne sont pas seuls" qui est lancé dans les marches et dans les meetings.

En plus de ceux et de celles d’Atenco et de l’Oaxaca, c’est par dizaines que l’on compte les prisonniers et les prisonnières qui sont des compañeras et des compañeros de l’Autre Campagne. Pourtant, nous avons la sensation que le fait de les nommer et le suivi de leur situation est un poids qui est presque exclusivement retombé sur les épaules de l’EZLN.

C’est pour nous un devoir et nous nous en acquitterons, mais nous ne voyons aucune raison qui justifierait que la lutte pour la liberté de nos prisonniers et de nos prisonnières doive attendre que l’EZLN se soit prononcée sur l’injustice dont ils sont victimes ou ait fait connaître publiquement leur situation.

Nous pensons donc qu’il y a d’autres tâches urgentes et nécessaires à effectuer :

1. Créer une instance nationale, réellement nationale, contre la répression. Non seulement pour dénoncer cette répression, mais aussi pour la prévenir. Cette instance, qui pourrait porter le nom de Commission ou Front ou Forum national contre la répression, doit être un écho, un amplificateur, contrairement à ce qui s’est passé avec celle créée après la dernière rencontre. Non pas une instance sélective mais un organe qui inclue, qui comprenne tout le monde, pour éviter dès le départ qu’il n’y ait que certains prisonniers et certaines prisonnières qui soient nommés et pour lesquels on se mobilise, comme si certains et certaines étaient plus importants que d’autres. Il ne s’agit pas de supplanter les organisations, les groupes ou les mouvements, mais de créer une instance qui identifie et signale qui, où, comment et pourquoi.

Comme c’est urgent, nous pensons qu’au plus tard la première semaine de juin prochain, dans un mois environ, date à laquelle les délégations de la Commission Sexta mettront fin à leur circuit dans le nord du Mexique et se réuniront à Mexico, la capitale, les organisations, groupes, collectifs familles et individus intéressés devraient se réunir pour former cette instance nationale contre la répression et commencer immédiatement ses activités.

2. Adopter des mesures de sécurité minimales. La répression est quelque chose qui n’arrive qu’aux autres, jusqu’à ce que nous soyons cet autre, cette autre. Nous pensons qu’il est nécessaire d’échanger de façon intense des informations au sein de ce que nous avons appelé les unités organisatrices des travaux [de l’Autre Campagne], mais aussi entre elles. Pour savoir où nous en sommes et ce que nous allons faire. Pas pour s’ingérer dans les décisions ou dans les activités autonomes des uns et des autres, mais pour suivre de près ce qui arrive à tous et à toutes.

3. Prévoir un dispositif pour que les différents groupes et collectifs et les différentes organisations conservent leur cohésion dans le cas où leur direction subirait la répression. Dès les réunions préparatoires et lors de la Première Réunion plénière de l’Autre Campagne, en septembre 2005, nous avions averti les participants en ce sens et nous avions conseillé les groupes, collectifs et organisations de se doter d’une espèce de chaîne d’attributions interne. De sorte que, si une personne effectuant une tâche précise était victime de répression, une autre puisse prendre la relève. Il faut garder à l’esprit que la stratégie répressive de l’État a principalement pour cible les têtes visibles du mouvement ou les membres organisateurs. C’est pourquoi prévoir la relève est urgent et nécessaire, pensons-nous.

Sans doute ne faut-il pas trop tenir compte de ce que nous disons ici. Après tout, les zapatistes ne savent rien de la répression, c’est bien connu. Mais quand même, si quelqu’un, va-t-en savoir, c’est une probabilité, un suppositoire, s’il y avait quelqu’un pour nous prêter une oreille attentive, voilà ce que nous trouvons qu’il est urgent de faire.

IV. Une réaffirmation

La déléguée Cinq et Un Quart, également connue sous le nom de "la Lupita", la commandante Hortensia et le compañero Amos sont déjà sur leur chemin de retour dans le Sud-Est mexicain.

Elles s’en reviennent contentes et il s’en revient content parce qu’ils ont apporté le cœur devenu parole de nos peuples et qu’ils ont transmis aux prisonnières et aux prisonniers que nous sommes et nous serons avec eux et avec elles.

Peut-être qu’ils seront arrêtés par un barrage de l’armée, comme à l’aller, ou que la police ministérielle ou celle de l’État voudra les extorquer et que leur voyage deviendra plus hasardeux. Mais peut-être pas, peut-être qu’ils parviendront à bon port sans contretemps.

Et maintenant que j’y pense, je me rappelle que l’Autre Campagne est bien bonne pour exiger et demander le soutien de l’EZLN, mais bien faiblarde et nonchalante au moment de le lui fournir, à elle.

Cela fait des mois que nous subissons le harcèlement de paramilitaires de différentes obédiences politiques, mais à l’exception d’une poignée de groupes, de collectifs et d’organisations (au nombre desquels ceux qui composent la COPIA) qui se sont manifestés publiquement par une lettre de protestation, la grande majorité des adhérents et des adhérentes a gardé et garde le silence, y compris ceux et celles qui exigent le plus de nous et nous critiquent le plus pour ne pas faire ce qu’ils nous ordonnent de faire.

Il y a quelques jours, la délégation de la Commission Sexta qui poursuit ses travaux dans le nord-est de notre pays a été arrêtée par l’armée fédérale et les véhicules à bord desquels elle circulait fouillés.

Nous avons rendu les faits publics dans un communiqué daté du 30 avril dernier. Le silence qui l’a entouré n’est pas seulement venu des moyens de communication, mais aussi de l’Autre Campagne.

En revanche, ça oui, il y a beaucoup de lettres et de plaidoyers se plaignant de "l’autoritarisme" et du "sectarisme" de l’EZLN et d’autres "ismes" que je n’ai pas retenus.

"C’est pas grave", avons-nous dit, nous tous et nous toutes. Comme vous avez pu l’entendre de la bouche d’Amos et de celle de la commandante Hortensia, nous, nous ne mettons pas de conditions à notre camaraderie.

Comme nous l’avons déjà dit, il y a longtemps, nous tous et nous toutes, nous nous sommes préparés pour faire tout ça tout seuls et toutes seules.

Nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour vous soutenir et pour nous solidariser avec vous.

Et nous continuerons à recevoir vos critiques et vos reproches.

Et nous continuerons de sourire avec scepticisme quand nous écouterons le "Vous n’êtes pas seuls" qui nous est adressé des quatre coins de notre pays, qui s’appelle le Mexique, et qui est si grand qu’il ne tient pas dans ce présent qui nous fait mal et qui a déjà sa place dans le lendemain que nous rêvons.

V. Là-bas, au loin, dans nos cœurs...

C’est coutume pour nos chefs, femmes et hommes, pour Les Vigilants, de pouvoir voir et regarder très loin, au-delà du lieu où les calendriers se rendent, par épuisement.

Le monde que les autres appellent le rêve, c’est celui que nous autres, nous tous, nous toutes, les zapatistes, nous portons dans notre cµur. Là où vous avez un cœur, nous autres, nous portons un monde à venir.

Si nous parvenions à dire ce que ce songe contient ou à le peindre, à le chanter, à le danser, on y verrait des petites filles et des petits garçons, et tout sourire, à coup sûr. L’eau serait limpide, les arbres et les fleurs pleins de vie, et l’air une piste de danse pour les oiseaux et le chant. Les prisons seraient des magasins d’alimentation, les commissariats des centres d’activité artistiques et les patrouilles et fourgons de police seraient des monstres préhistoriques.

Et peut-être que l’on y verrait la Lupita, notre déléguée Cinq et Un Quart, s’acquitter enfin de la tâche qu’elle s’est refusée à exécuter, parce qu’elle n’a pas pu la terminer, comme elle l’a dit à Amos (qui est son instituteur, maintenant que j’y pense), parce que (je cite textuellement) :

"J’me suis allée à Mexico donner des cours de politique aux citoyens et à remonter le moral des prisonnières."

Hum.

Admettons...

Mais il y a quelque chose d’autre qui est sûr : dans la vision que contient notre songe, nous, les zapatistes, nous n’apparaissons pas.

Nous le savions. Nous le savons.

Les Vigilants nous l’avaient dit.

Nous luttons pour un monde que nous ne verrons pas... Dans lequel nous ne serons pas.

Et malgré tout, ça vaut la peine... Vous ne trouvez pas ?

Allez. Salut et que la justice devienne aussi bonne et aussi quotidienne que le soleil qui se lève tous les jours.

Sous-commandant insurgé Marcos.
Ville de Mexico, mai 2007.

P.-S. : "Quand ?", demande quelqu’un. L’Ombre ne répond pas mais sait bien que ce sera dans ce lieu où la lumière et la pénombre ne font qu’un : le petit matin. Alors la lumière sera toujours lumière resplendissante, et les ombres que nous sommes se fondront dans le lendemain dont nous avons besoin, que nous méritons.

Allez. Santé ! et sans dragée parce que la Lupita a tout dévoré, bien qu’on l’ait menacée en lui disant que si elle continuait, elle attraperait une barbe et des moustaches et qu’elle se mettrait à chanter José Alfredo Jímenez au lieu de la Cumbia du Caracol !

Le Sup.

Traduit par Ángel Caído.

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