De nombreux lieux se sont construits, de nombreux collectifs se sont installés et vivent grâce à l’autoproduction, à la récup’, aux dons, aux vols et aux achats collectifs. Des infrastructures liées à des usages communs ont été mises en place : le hangar du Rosier pour le stockage des récoltes et des machines agricoles collectives ; l’atelier de mécanique tracteurs et la meunerie, à Saint-Jean-du-Tertre ; la radio pirate « Klaxon » ; une fromagerie, une boulangerie, etc.
Le conflit qui nous oppose à l’État et à Vinci a précipité, depuis l’échec de l’opération César, une forme de sécession que nous assumons. Toutes ces infrastructures communes que nous construisons visent à l’autonomie politique, à la construction d’un mouvement qui, d’une part, combat les logiques marchandes, gestionnaires et policières ; et qui, d’autre part, cherche à construire des lieux, à esquisser des communes, à habiter des territoires d’où il est possible de s’en affranchir.
Nulle quête d’autarcie, ce repli cauchemardesque ! Il s’agit depuis ce bocage de participer à un mouvement révolutionnaire qui déborde le territoire de la ZAD : ravitaillement du mouvement d’occupation par le « non-marché », mais aussi de cantines populaires en villes, d’autres luttes de Calais au Testet, en passant par le presbytère occupé du Vieux-Doulon à Nantes, ou encore les semis collectifs de blé avec des comités locaux. À chaque fois de nouvelles circulations, de nouvelles solidarités s’inventent et se nouent. Cette sécession, cette affirmation d’un territoire en lutte, n’a été rendue possible que par un soutien massif venu de la région comme d’ailleurs, qui s’est mué en un va-et-vient rayonnant.
Habiter la ZAD pour nous, c’est construire une puissance collective capable de tenir le territoire face aux flics et aux machines mais aussi de répondre collectivement à nos besoins et de se projeter dans le long terme. Réaliser nos désirs, nos rêves, pour bien vivre en s’affranchissant de la nécessité et de ses galères, nous attache à ce territoire. Notre manière de l’habiter s’oppose à la morale écologiste qui légitime les nouveaux gestionnaires et t’explique qu’il faut bien fermer ton robinet quand tu te laves les dents. Si nous assumons de vivre ici, d’habiter ce bocage, ce n’est pas pour le transformer en musée où l’on n’aurait le droit de toucher qu’avec les yeux. Nous ne pensons pas être coupables du gaspillage et du massacre ambiant, si nous pensions ainsi alors nous nous réduirions à l’impuissance et resterions paralysés.
Loin de nous l’idée d’une nature à protéger : le bocage n’est pas un milieu naturel. Il est le résultat d’une histoire, de la façon dont les habitants d’un territoire vivent avec ce qui les entoure. On veut prendre soin de lui, non pas parce qu’il est fragile ni parce qu’il nous appartient, mais parce qu’on vit dedans. L’homme et la nature de doivent pas être considérés comme séparés. Nous plantons, nous récoltons, nous construisons, nous habitons, et luttons dans un même élan… Les différents plans de la vie : manger, fêter, baiser, lutter, apprendre sont inséparables. Couper un arbre vivant pour construire une cabane ou un hangar et planter une haie bocagère sur une parcelle occupée sont des gestes indissociablement liés.
C’est l’hiver sur la ZAD, saison pour récolter le bois dont ce bocage regorge. Une série d’assemblées ont permis de s’organiser collectivement autour de cet enjeu autant pour le bois de chauffe que pour le bois d’œuvre. Différents besoins, projets, envies et réflexions ont émergé. En fait, parler exclusivement de besoins, ou d’envies, serait erroné ou partiel. Nous traversons les forêts, lors un trajet ou pour flâner. Nous coupons des arbres pour bâtir, nous prélevons du bois vivant ou mort pour nous chauffer. Certains arbres emplissent la panse et ravissent le regard. Les haies protègent nos champs du vent, nos pas des regards indiscrets.
Ainsi, ces assemblées, entamées en novembre 2014, ont réuni des personnes intéressées par le bois de chauffage pensé sur le long terme, etc. Les premières discussions sont aussi parties de nos savoir-faire et de nos expériences mis en commun. Systématiquement, nos rendez-vous et chantiers ont été expliqués dans les différentes assemblées du mouvement et annoncés dans le ZAD news.
Pour le bois de chauffe : la réouverture d’un ancien chemin, bordant le chemin de Suez, baptisé chemin de Panama, une balade-repérage avec les paysans du Civam sur la vie et l’entretien des haies, une formation technique et pratique sur les outils de coupe, un chantier d’entretien d’une haie à Bellevue. Le bois ainsi récolté ira pour moitié aux usages collectifs (boulangerie, chauffage des lieux de réunion) et pour moitié aux besoins des participant·e·s aux chantiers.
Pour le bois d’œuvre : un tour d’une grande partie des lieux de la ZAD a été réalisé pour expliquer le processus autour du bois, et estimer les besoins des projets de chantiers. Parmi ces projets, certains sont portés par des individus ou des groupes, d’autres ont vocation à nous rassembler, plus largement. Une fois ces besoins recensés, deux premières journées de coupe se sont déroulées au Pré-Failly. Elles se poursuivront par une balade pour repérer les zones trop denses en forêt de Rohanne et marquer des arbres potentiellement abattables. D’autres rendez-vous sont prévus pour nettoyer les chantiers de coupe, débarder, stocker le bois de chauffage, organiser la venue d’une scierie mobile cet été.
Ces coupes furent une occasion supplémentaire de discuter en assemblée comme partout ailleurs, parfois vivement, et de confronter nos différentes visions du territoire. Durant nos rencontres sur l’estimation des besoins en bois d’œuvre, une évidence est apparue : que nous souhaitions avant tout permettre l’usage d’une infrastructure commune — la scierie mobile — mais surtout pas créer un « service public du bois » avec ce qu’il peut comporter d’assistanat. La meilleure façon de recréer un pouvoir consisterait à instituer une dépendance sous forme de services. C’est contre cela, plus que jamais, que nous appelons les habitants, occupants, personnes parties prenantes de la lutte de près ou de loin, à contribuer par leurs savoirs, leur matériel, leurs propositions, aux processus de Construire en dur et d’Abracadabois.
L’idée de construire en commun sur la zone est à la fois une forme de résistance déterminée au projet d’aéroport et un pied-de-nez aux destructions commises par la préfecture lors de l’opération César. C’est imaginer une série de chantiers comme autant d’affirmations que l’aéroport ne se fera pas, comme autant d’occasion de se projeter dans la durée, comme autant de moments de rencontres pour renforcer la lutte.
Si nous bâtissons dès aujourd’hui, un avenir sans aéroport et sans permis de construire, c’est parce qu’une zone si grande où foisonnent des pratiques et des formes de vies quasi systématiquement criminalisées ailleurs nous est très précieuse. C’est en habitant, en construisant, en se sentant bien ensemble que des rêves naissent, que des possibles sont entrevus, comme autant de promesses auxquelles nous finissons par nous sentir liés.
Les maçons du ciel,
quelques jeunes pousses de la ZAD,
quelques vieilles branches,
les passeurs d’embûches,
les feux de tout bois,
les scieurs de long terme, etc.
ZAD de Notre-Dame-des-Landes
Source : zad.nadir.org,
5 mars 2015.