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Chiapas 1994, Oaxaca 2006

mardi 7 novembre 2006, par Neil Harvey

La répression qui s’est déchaînée à Oaxaca ces derniers jours mérite une condamnation totale et la solidarité la plus déterminée avec l’APPO. Le fait que les officiers et les policiers locaux aient pu agir avec autant d’impunité, montre le manque d’intérêt de la part du gouvernement fédéral à trouver une solution politique réelle.

Les comparaisons avec le Chiapas sont nombreuses et préoccupantes parce qu’elles démontrent une fois de plus l’incapacité du gouvernement à reconnaître des demandes légitimes comme par exemple la démission d’un gouverneur qui a ordonné l’usage de la force pour essayer d’en finir avec le mécontentement social.

En janvier 1994, Salinas, le président de l’époque, a essayé d’écraser les zapatistes par des actions militaires jusqu’à ce que la société civile se mobilise pour exiger une solution politique. Une grande partie de la population a reconnu que l’EZLN était et est un mouvement aux demandes justes et que sa révolte a ouvert un espace important dans la lutte pour la démocratie dans le pays, et pas seulement au Chiapas. À Oaxaca, la demande de la disparition des pouvoirs cherche aussi quelque chose de plus profond qu’une simple alternance de partis au gouvernement. Il s’agit de la démocratie participative, de l’amélioration du système éducatif, et de l’attention montrée pour les besoins des secteurs les plus marginalisés, les bases pour arriver à une vraie transformation démocratique.

Au Chiapas, le changement de pouvoir à la fin de 1994 eut lieu dans un contexte de profonde crise politique et économique. Le gouverneur Eduardo Robledo ne put éviter le rejet d’une part importante de la population qui continua à soutenir un gouvernement rebelle. Durant le sexennat de 1994-2000, le Chiapas eut trois gouverneurs, dont deux par intérim, qui recoururent à l’usage de la répression. De son côté, Ernesto Zedillo essaya de dépasser la crise financière avec l’appui du gouvernement de Clinton et lança une nouvelle offensive contre l’EZLN en février 1995. À nouveau des milliers de citoyens et de citoyennes se mobilisèrent pour exiger le dialogue et la fin de la répression. Il convient de signaler que, comme Abascal et Fox, le gouvernement de Zedillo utilisait un discours. Zedillo trahit le dialogue et mit en route un processus de militarisation qui continue à avoir des effets désastreux pour les communautés indigènes chiapanèques.

Au Chiapas, le manque de volonté politique du gouvernement s’est reflété aussi dans la formation et les agissements de groupes paramilitaires liés au vieux régime priiste et organisés et entretenus par les autorités pour attaquer les sympathisants de l’EZLN. La protection de ces groupes est telle que les dénonciations faites par des organisations de droits humains avant le massacre d’Acteal en 1997 furent ignorées. Au contraire, la réponse officielle au massacre ne fut pas l’arrestation des auteurs intellectuels de ce crime mais l’augmentation des effectifs des troupes fédérales dans la région des Altos du Chiapas, sous prétexte qu’il était nécessaire de « rétablir l’ordre, la paix et la loi », c’est-à-dire le même discours que le gouvernement applique aujourd’hui à Oaxaca. S’en suivirent les attaques des communes autonomes, l’expulsion des étrangers, la manipulation clientéliste des fonds fédéraux et de l’attention médicale. Comme nous l’avons vu au Chiapas, il est impossible de vivre dans cette « normalité » que le gouvernement a prétendu imposer par la force. La militarisation divise et polarise les communautés éloignant chaque fois davantage les possibilités de paix.

Le gouvernement et tous les partis ont rejeté en 2001 l’opportunité de ratifier les accords de San Andrés. Au lieu de reconnaître l’autonomie indigène comme un droit constitutionnel, les législateurs ont laissé les peuples indigènes sans possibilités juridiques d’exercer leur autonomie dans l’usage et la jouissance de leurs ressources et territoires. En même temps, le gouvernement de Fox a promu le Plan Puebla Panama (PPP) avec l’intention de construire l’infrastructure nécessaire (routes, ports et aéroports, intégration énergétique, barrages, etc.) pour attirer des investisseurs intéressés à profiter des ressources naturelles, de la main-d’œuvre bon marché et de la situation stratégique du Sud-Est mexicain. Ce modèle bénéficie aux groupes au pouvoir et non à la majorité de la population. Le PPP a rencontré tant de résistances, en plus de celle à San Salvador Atenco, au Chiapas et à Oaxaca que le gouvernement a cessé d’en faire la propagande bien qu’il ait continué à réaliser plusieurs des grands travaux. Maintenant, Felipe Calderón promet de ressusciter le PPP, ce qui provoquerait davantage encore de conflits dans une région déjà si troublée. Le facteur commun entre le Chiapas, San Salvador Atenco et Oaxaca est cette résistance à l’imposition d’un plan de développement marginalisant et insoutenable qui a été conçu sans l’approbation des communautés directement affectées.

Ces jours-ci, il est prévu des manifestations au Mexique et à l’étranger contre la répression. Par exemple, lundi 30 octobre, il y a eu des manifestations face aux consulats mexicains dans plus de quinze villes des États-Unis, et le consulat de Barcelone a été pris. De son côté, l’EZLN a appelé la population à sortir manifester contre la répression le 1er et le 20 novembre. Ces protestations ne montrent pas seulement le manque de démocratie dans les institutions mais aussi la grande persévérance des mouvements sociaux dans la lutte pour leurs demandes légitimes.

Neil Harvey

La Jornada, Mexico,
4 novembre 2006.
Traduit par Corinne.

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