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Grèce
Entretien avec des camarades
de l’Assemblée antifasciste du Pirée

jeudi 3 août 2017

Cette interview a été réalisée fin mai 2017 par le site d’information anticapitaliste et antiautoritaire de Montpellier Le Pressoir pour recueillir la parole des camarades de l’Assemblée antifasciste du Pirée dans le cadre d’échanges d’expériences sur l’antifascisme, afin de connaître leur analyse, de mieux comprendre la situation et aussi afin de renforcer des liens avec les camarades francophones.

L’histoire de l’antifascisme en Grèce remonte à la fin des années 1930 avec l’opposition à la dictature fasciste de Metaxas puis aux années 1940 avec la résistance contre les armées de l’État italien fasciste et de l’État allemand nazi. La lutte contre le fascisme s’est poursuivie après la fin de la dictature en 1974, puis un tournant a été pris avec la montée spectaculaire du groupuscule nazi Aube dorée [1], autant dans la rue que dans les urnes, au moment de la crise financière, à la fin des années 2000.

Camarades bonsoir, pour démarrer pouvez-vous nous présenter votre collectif, l’Assemblée antifasciste du Pirée ? Quand a-t-elle été créée, dans quel contexte et avec quels buts ?

L’Assemblée antifasciste du Pirée a été créée en novembre 2013, après l’assassinat de Pavlos Fyssas (Killah P) par une section d’assaut [2] de l’Aube dorée (AD). Notre objectif était d’ouvrir la question de l’antifascisme au Pirée, un endroit assez sensible à cette période-là en raison de l’existence depuis des années d’un noyau organisé de l’Aube dorée et à cause du caractère raciste et petit-bourgeois du Pireotis (habitant du Pirée) moyen.

Malgré le fait que nous nous organisions sur le sujet spécifique de la lutte antifasciste, nous le faisons autour de principes et pratiques antiautoritaires. Nos réunions sont ouvertes (mais pas publiques) et sont fondées sur l’auto-organisation. Au-delà de l’antifascisme, notre assemblée s’implique aussi dans les luttes et activités concernant le travail, la solidarité aux migrant·e·s ainsi que l’expression et la création culturelle auto-organisées.

Parce que nous considérons que la question de l’antifascisme ne se limite pas à l’opposition physique aux groupes fascistes, mais qu’elle comprend aussi la limitation de leurs idéologies et de leurs idées sur la société (le racisme, l’homophobie, la misogynie, le militarisme), notre intervention dans la région du Pirée s’appuie aussi sur une activité de propagande avec des affiches, des tracts et des journaux de rue.

En même temps, nous avons organisé une série d’événements culturels (sportifs et musicaux) dans le quartier, visant au développement à la base de la contre-culture locale.

Le 18 septembre 2013 Pavlos Fyssas a été assassiné par des fascistes de l’AD dans un quartier du Pirée. Suite à cela, l’État a poursuivi l’AD, l’accusant d’être une organisation criminelle [3], et une grande partie de ses dirigeants est entrée en prison. À la fin, les dirigeants sont sortis de la prison et, actuellement, il y a le procès de cette organisation. Comment le mouvement antifasciste voit ce procès ?

D’abord, nous tenons à dire que, selon nous, il n’y a pas de « mouvement antifasciste » unitaire. D’un côté, il y a l’antifascisme républicain qui défend simplement la démocratie et la Constitution ; il rassemble l’ensemble de la gauche [4] (gouvernementale ou pas) qui considère que le procès de l’AD est d’un intérêt antifasciste primordial et concentre ses forces là-dessus.

De l’autre côté, et d’un point de vue antiautoritaire, l’affrontement quotidien avec les fascistes et la fascisation sociale, et les idées qu’ils propagent, est la principale préoccupation. Bien que le milieu antiautoritaire ne soit pas homogène et qu’il y ait des points de vue divergents ou même conflictuels, il s’agit du seul espace politique et social qui s’est opposé aux fascistes dans les rues et dans les quartiers ; cela face à la répression étatique bien plus dure et intense que celle qui a frappé les fascistes. En tant qu’assemblée, nous faisons partie de ce milieu, et donc nous avons exprimé publiquement notre opposition concernant la désorientation que représentent le procès de l’AD et la démocratie bourgeoise.

Une partie du milieu antiautoritaire s’est investie au procès en tant que témoin à un niveau immédiat, comme par exemple à propos des attaques de l’AD contre le local antiautoritaire Antipnia en 2008 et contre le local social Synergio en 2012, en indiquant toutefois que l’antifascisme est un sujet d’affrontement social et non pas judiciaire.

À la fin, l’AD s’est restructurée bien qu’elle ne soit pas aussi forte qu’il y a quatre ans, comment vous l’expliquez ?

Bien que le procès semble « avoir mis sous pression » les fascistes, en fait, ils ont bénéficié de tout le temps nécessaire pour se restructurer. Après un certain temps, d’abord les dirigeants, puis ceux qui sont plus bas dans la hiérarchie, ont été libérés ; puis leurs noyaux locaux sont restés à peu près intacts, à l’exception notoire de l’organisation locale de Nikea (quartier du Pirée) qui a été directement ciblée pour l’assassinat de Fyssas. Leur groupe parlementaire participe régulièrement aux réunions du Parlement, et leur représentation au niveau local (municipalités, régions) se poursuit normalement.

Au-delà de la ville du Pirée, qu’en est-il de la présence fasciste dans la rue ?

Les attaques fascistes dans la rue sont limitées par rapport à la période précédente [5], mais elles ne se sont pas arrêtées. Récemment, il y a eu de nombreuses attaques contre les migrant·e·s à Aspropyrgos, une ville industrielle à l’ouest du département d’Attique, où les fascistes maintiennent leurs locaux et un noyau local actif. Au cours de l’année, il y a eu des attaques fascistes dans les centres étatiques d’« accueil » de réfugié·e·s, comme par exemple à l’île de Chios. Aussi, les fascistes se sont « intéressés » aux enfants de réfugié·e·s allant aux écoles autour des centres de détention, en créant des bagarres contre leur présence, par exemple à Ikonio de Perama (quartier du Pirée) et à Oreokastro (Thessalonique). Évidemment tout cela avec la complicité et le soutien de la police et de facho-habitants « indignés ».

Nous pensons que les fascistes conservent leurs forces jusqu’à la fin du procès, afin de faire renaître les sections d’assaut et continuent à attaquer les migrant·e·s et les militants.

En août 2016, le squat d’habitation de migrant·e·s Notara 26 a été la cible d’une attaque incendiaire, pouvez-vous nous dire quelques mots à propos des attaques de squats et de locaux militants ces derniers temps ?

Ces derniers temps, les attaques fascistes contre les lieux auto-organisés sont limitées. Cependant, il y a quelque temps, un groupuscule fasciste (lié à l’AD) avait lancé une série d’attaques incendiaires (échouées plus ou moins à chaque fois) contre des lieux du mouvement (mais aussi de la gauche). C’est dans ce cadre-là que le squat Notara 26 a été attaqué.

En général, nous voyons les attaques fascistes contre les squats comme l’autre côté de la répression étatique. Donc, là où un mandat du procureur ou du juge ne suffit pas, il y a une bombe incendiaire fasciste pour faire le boulot.

Étant donné que les gens qui soutiennent ou soutenaient Syriza participaient à des initiatives et actions antifascistes, comment le mouvement antifasciste a été influencé par la montée de Syriza au pouvoir en janvier 2015 ?

La logique de la délégation fait partie de l’idéologie dominante dans les sociétés occidentales. En Grèce, le mouvement dans un sens large n’a pas réussi à briser cette logique. Avant 2012, tout le monde pensait que le fascisme ne concernait que trente néonazis au crâne rasé. Ceux qui n’ont connu que les listes électorales au cours des cinq dernières années ont cru que la montée de la gauche au pouvoir signifierait la limitation de la présence fasciste.

De manière plus générale, les victoires électorales de Syriza ont réduit considérablement la présence des gens dans la rue ; au-delà de la déception et de l’indifférence, cela s’explique par « l’espoir » que les choses iraient mieux. Ainsi, le capital et l’État ont trouvé leur meilleur allié : la social-démocratie renouvelée qui fait refluer les mouvements.

Au début de 2016, des milliers de migrant·e·s sont arrivés au Pirée depuis les îles de la mer Égée, beaucoup sont restés vivre au port pendant des mois, quelle était la réaction de l’État ? Comment la solidarité s’est développée ?

La solidarité, bien qu’elle fût massive au début, n’a pas échappé aux réflexes de charité bourgeoise. Des milliers de personnes se sont souciées des estomacs vides des migrant·e·s. Mais presque personne ne semblait voir la question de façon plus globale, personne ne se souciait des droits des réfugié·e·s, de leur régularisation politique et de leur intégration sociale organisée à la base. Alors que beaucoup de gens ont soutenu matériellement les migrant·e·s, à la fin, le soutien politique est resté une affaire des quelques antiautoritaires politisé·e·s qui ne pouvaient même pas se mettre d’accord entre eux sur des bases minimales.

Le gouvernement de gauche a réussi à intégrer dans ses propres projets le citoyen lambda qui voyait les migrant·e·s avec bienveillance. Alors que les gens de tous les jours étaient au port pour offrir leurs services aux réfugié·e·s, les gouvernants avaient déjà décidé d’évacuer le port et de transférer des réfugié·e·s dans des centres de transit. En même temps, il y avait une entreprise de promotion de la logique de distinction entre réfugié·e·s politiques et migrant·e·s ; de toute façon, cette logique, la société était prête à l’accepter. Ainsi, beaucoup de migrant·e·s ont été expulsé·e·s et beaucoup d’autres emprisonné·e·s dans des centres de rétention. L’implication des ONG était centrale. Les ONG qui se sont occupées des réfugié·e·s au port du Pirée sont les mêmes qui, plus tard, et avec l’armée grecque, ont transféré les migrant·e·s dans les centres d’« accueil » [6]. Aussi, beaucoup de gens pas politisés ont commencé à travailler pour l’intérêt des ONG.

La situation concernant les migrant·e·s et les réfugié·e·s, le port du Pirée, les ONG et l’implication de l’armée relève évidemment des questions que nous ne pouvons pas aborder de façon satisfaisante dans cette interview, car ce sont des sujets profonds qui ont occupé le débat public pendant longtemps...

On a vu qu’un de vos tracts concerne l’histoire de Sanaa Taleb. Quelles actions menez-vous dans le cadre du mouvement de solidarité aux migrant·e·s ? Que pouvez-vous nous dire de la situation dans les centres de rétention ?

Il nous est arrivé, en commun avec d’autres groupes, de participer à des mobilisations contre les centres de rétention comme ceux d’Amygdaleza et d’Ellinikon (où Sanaa Taleb était enfermée). En décembre 2015, avec d’autres groupes des quartiers ouest d’Athènes et du Pirée, nous avons coorganisé une manifestation de solidarité aux migrant·e·s, se terminant au port du Pirée.

La situation dans les centres de rétention est la même depuis des années : les gens y sont entassés, sans recevoir les soins de base, ils et elles sont à la merci des matons, en attendant leur expulsion. Alors qu’avant les élections la gauche s’était engagée à les fermer, non seulement elle ne les a pas fermés mais elle en a créé des nouveaux.

Vous voudriez rajouter quelque chose ?

Salutations à tous les camarades du mouvement en France, qui nous donnent du souffle depuis un an à travers leurs luttes. L’émergence de mouvements combatifs dans les pays d’Europe centrale, contre l’extrême droite et ses idées, contre la restructuration du travail et l’état d’urgence, est le seul véritable obstacle à l’attaque totale du capital et de l’État sur la classe ouvrière.

Traduit par un·e camarade pour Le Pressoir
et féminisé par l’équipe.
Source : Le Pressoir
18 juin 2017.

Notes

[1L’Aube dorée a été créée en 1980 d’abord autour de l’édition d’un magazine. Son idéologie est le national-socialisme malgré un visage nationaliste, chrétien, etc. ; ces nazis donc, comptant quelques dizaines de membres, responsables déjà de très nombreuses attaques physiques, montent en puissance à partir des années 1990, profitant de la montée du nationalisme, et entrent au Parlement en 2012 avec 7 % de voix.

[2Les sections d’assaut (SA) de l’AD sont des groupes organisés de façon militaire qui font le « sale boulot », parades diffusant la peur dans les quartiers, attaques contre des immigré·e·s, contre des locaux, des opposants, etc. Un des objectifs des antifascistes depuis 2012 était de briser le mythe de l’invincibilité des SA dans la rue. Une de ces SA est responsable de l’assassinat de Pavlos Fyssas.

[3La loi sur « l’organisation criminelle » fait partie de l’arsenal législatif antiterroriste, utilisée souvent pour inculper et emprisonner des militant·e·s anarchistes et communistes. Avec ce chef d’inculpation l’AD risque une peine plus sévère.

[4À noter que « gauche » en Grèce équivaut à « extrême gauche » en France.

[5Ici, les camarades font référence à la période d’avant l’inculpation de l’AD (fin 2013).

[6Le groupe Musaferat, solidaire des migrant·e·s sur l’île de Lesbos, écrit dans sa présentation qu’il est « contre les centres de rétention car il s’agit de camps de concentration. Qu’on les appelle centre d’accueil ou de premier accueil, de transit ou d’identification, qu’ils soient ouverts ou fermés, ils restent des prisons ».

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