Un an après le soulèvement zapatiste, nous disons aujourd’hui :
La patrie vit ! Et elle nous appartient ! Nous avons été malheureux, c’est vrai ; la chance nous a souvent été défavorable, mais la cause du Mexique, qui est la cause du droit et de la justice, n’a pas succombé, n’est pas morte et ne mourra pas, parce qu’il existe encore des Mexicains courageux dans le cœur desquels brûle le feu sacré du patriotisme et, quel que soit l’endroit de la République où ils se trouvent, les armes et le drapeau national à la main, il existera, comme ici, vif et énergique, le refus que le droit oppose à la force.
Que l’homme imprudent qui a accepté la triste mission d’être l’instrument de la mise en esclavage d’un peuple libre le comprenne bien : son trône vacillant ne repose pas sur la libre volonté de la nation, mais sur le sang et les cadavres de milliers de Mexicains qu’il a sacrifiés sans motif, pour la simple raison qu’ils défendaient leur liberté et leurs droits.
Mexicains : vous qui avez le malheur de vivre sous la domination de l’usurpation, ne vous résignez pas à supporter le joug d’opprobre qui pèse sur vous.
Ne vous méprenez pas sur les perfides allusions des partisans des faits accomplis, parce qu’ils sont, et ont toujours été, les partisans du despotisme.
L’existence du pouvoir arbitraire est une violation permanente du droit et de la justice, que ne peuvent jamais justifier ni le temps ni les armes, et qu’il est nécessaire de détruire pour l’honneur du Mexique et de l’humanité.MANIFESTE : DEBOUT ET AUSSI RÉSOLUS QU’AU PREMIER JOUR.
Benito Juárez, janvier 1865, Chihuahua.
Au peuple du Mexique.
Aux peuples et gouvernements du monde.
Frères,
Le 1er janvier 1994, nous faisions connaître la Première Déclaration de la forêt Lacandone. Le 10 juin 1994, nous avons lancé la Deuxième Déclaration de la forêt Lacandone. L’une et l’autre étaient motivées par la volonté de lutter pour la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains.
Dans la première, nous avons appelé le peuple mexicain à se soulever en armes contre le mauvais gouvernement, principal obstacle dans la marche de notre pays vers la démocratie. Dans la deuxième, nous avons appelé les Mexicains à un effort civil et pacifique, par l’intermédiaire de la Convention nationale démocratique, pour obtenir les profonds changements que demande la nation.
Alors que le gouvernement suprême montrait sa déloyauté et sa superbe, nous, entre ces deux manifestes, nous sommes efforcés de faire voir au peuple mexicain, notre support social, le bien-fondé de nos demandes et la dignité qui anime notre lutte. Nos armes alors se sont tues et se sont écartées, pour que la lutte légale démontre ses possibilités... et ses limites. À partir de la Deuxième Déclaration de la forêt Lacandone, l’EZLN a tenté, par tous les moyens, d’éviter la reprise des hostilités, et a cherché une issue politique, digne et juste, qui permette d’apporter une réponse aux demandes exprimées dans les onze points de notre programme de lutte : logement, terre, travail, alimentation, santé, éducation, justice, indépendance, liberté, démocratie et paix.
Le processus préélectoral d’août 1994 a apporté l’espoir, dans de vastes secteurs du pays, que la transition démocratique était possible par la voie électorale. Sachant que les élections ne sont pas, dans les conditions actuelles, le chemin du changement démocratique, l’EZLN a commandé en obéissant et s’est effacée pour permettre aux forces politiques légales d’opposition de lutter. L’EZLN a alors engagé sa parole et ses efforts dans la recherche d’une transition pacifique vers la démocratie. À travers la Convention nationale démocratique, l’EZLN a appelé à un effort civil et pacifique qui, sans s’opposer à la lutte électorale, ne s’y épuiserait pas et chercherait de nouvelles formes de lutte capables d’impliquer davantage de secteurs démocratiques au Mexique et de tisser des liens avec des mouvements de lutte pour la démocratie d’autres parties du monde. Le 21 août a mis fin aux illusions d’un changement immédiat par la voie pacifique. Un processus électoral souillé, immoral, inéquitable et illégitime, s’est achevé en nouveau pied-de-nez à la juste volonté des citoyens. Le système du parti-État a réaffirmé sa vocation antidémocratique et imposé, partout et à tous les niveaux, sa volonté arrogante. Face à une participation électorale sans précédent, le système politique mexicain a opté pour l’autoritarisme, coupant court aux espoirs que suscitait la voie électorale. Des rapports de la Convention nationale démocratique, de l’Alliance Civique et de la Commission pour la vérité ont mis en lumière ce que cachaient, avec une honteuse complicité, les grands médias : une fraude gigantesque. Les multiples irrégularités, l’iniquité, la corruption, le chantage, l’intimidation, le vol et la falsification, ont été le cadre dans lequel se sont déroulées les élections les plus sales de toute l’histoire du Mexique. Les taux élevés d’abstention des élections locales de Veracruz, Tlaxcala et Tabasco, démontrent que le scepticisme civil régnera de nouveau au Mexique. Mais, non content de cela, le système du parti-État a renouvelé la fraude d’août, en imposant des gouverneurs, des maires et des parlements locaux. Comme à la fin du XIXe siècle, lorsque les traîtres organisèrent des "élections" pour légitimer l’intervention française, on prétend aujourd’hui que la nation salue, avec bienveillance, la continuité de la contrainte et de l’autoritarisme. Le processus électoral d’août 1994 est un crime contre l’État. C’est en tant que criminels que doivent être jugés les responsables de cette fraude.
D’un autre côté, le gradualisme et le renoncement apparaissent dans les rangs de l’opposition, qui accepte de voir dissoudre une grande fraude en multitude de petites "irrégularités". Voici qu’apparaît à nouveau la grande fracture dans la lutte pour la démocratisation au Mexique : prolongation de l’agonie par le pari sur une transition "sans douleur" ou coup de grâce dont l’éclat illumine le chemin de la démocratie.
Le cas du Chiapas n’est que l’une des conséquences de ce système politique. En ne tenant aucun compte des aspirations du peuple chiapanèque, le gouvernement a redoublé la dose d’autoritarisme et d’arrogance.
Face à une ample mobilisation de rejet, le système du parti-État a choisi de répéter jusqu’à la nausée le mensonge de son triomphe et a exacerbé les confrontations. La polarisation actuelle de la scène du Sud-Est mexicain est le fait du gouvernement et démontre son incapacité à résoudre, en profondeur, les problèmes politiques et sociaux du Mexique. Par la corruption et la répression, ils tentent de résoudre un problème qui n’a d’autre solution que la reconnaissance du triomphe légitime de la volonté populaire du Chiapas. Jusqu’alors, l’EZLN s’était tenue à l’écart des mobilisations populaires, malgré la grande campagne de discrédit et de répression sans discrimination que ces dernières avaient à affronter.
Dans l’attente de signes de la volonté gouvernementale d’aboutir à un règlement politique, juste et digne, du conflit, l’EZLN a vu, impuissante, les meilleurs enfants de la dignité du Chiapas assassinés, emprisonnés et menacés ; elle a vu ses frères indigènes du Guerrero, de l’Oaxaca, du Tabasco, de Chihuahua et de Veracruz réprimés et ne recevoir que railleries en réponse à leur demande d’amélioration de leurs conditions de vie.
Pendant toute cette période, l’EZLN n’a pas seulement subi le siège militaire et les menaces et intimidations des forces fédérales ; elle a aussi résisté à une campagne de calomnies et de mensonges. Comme aux premiers jours de l’année 1994, nous avons été accusés de recevoir assistance militaire et financement étrangers ; on a tenté de nous forcer à déposer nos drapeaux en échange d’argent et de postes gouvernementaux ; on a tenté d’enlever sa légitimité à notre lutte en diluant la problématique nationale dans le cadre indigène local.
Pendant ce temps, le gouvernement suprême préparait la solution militaire à la rébellion indigène du Chiapas, et la nation était plongée dans le désespoir et le dégoût. Avec sa prétendue volonté de dialogue, qui n’occultait que la volonté de tuer l’EZLN en l’asphyxiant, le mauvais gouvernement laissait passer le temps et la mort dans les communautés indigènes de tout le pays.
Pendant ce temps, la Parti révolutionnaire institutionnel, branche politique du crime organisé et du trafic de stupéfiants, prolongeait sa phase de décomposition la plus aiguë en recourant à l’assassinat comme méthode de règlement de ses luttes internes. Incapable de tenir un dialogue civilisé en son sein, le PRI ensanglantait le sol national. L’usurpation des couleurs du drapeau national par le sigle du PRI est pour tous les Mexicains une honte qui dure.
Voyant que le gouvernement et le pays couvraient à nouveau d’oubli et de désintérêt les habitants originels de ces terres ; voyant que le cynisme et le laisser-aller gagnaient à nouveau le cœur de la nation, et que, en plus du droit aux conditions minimales d’une existence digne, on refusait aux peuples indiens le droit de gouverner et se gouverner selon leur raison et leur volonté ; voyant que la mort de nos morts devenait inutile ; voyant qu’on ne nous laissait pas d’autre voie, l’EZLN a pris le risque de briser l’encerclement militaire qui la retenait et a avancé au secours d’autres frères indigènes qui, une fois épuisées les voies pacifiques, plongeaient dans le désespoir et la misère. Voulant à tout prix éviter d’ensanglanter le sol mexicain du sang de nos frères, l’EZLN a dû, une nouvelle fois, attirer l’attention de la nation sur les graves conditions de vie des indigènes mexicains, en particulier ceux dont on supposait qu’ils avaient déjà reçu l’aide gouvernementale, et qui, pourtant, continuent de traîner la misère dont ils héritent, année après année, depuis cinq siècles. Par l’offensive de décembre 1994, l’EZLN a cherché à montrer, au Mexique et au monde, son orgueilleuse essence indigène et le caractère insoluble de la situation sociale locale, s’il n’y a pas de profonds changements dans les relations politiques, économiques et sociales de tout le pays.
La question indigène n’aura pas de solution sans transformation RADICALE du pacte national. La seule manière d’intégrer, avec justice et dignité, les indigènes à la nation, c’est en reconnaissant les caractéristiques propres à leur organisation sociale, culturelle et politique. Les autonomies ne sont pas une séparation, elles sont l’intégration au Mexique contemporain des minorités les plus humiliées et oubliées. C’est ce que veut l’EZLN depuis sa formation et c’est ce qu’ordonnent les bases indigènes qui forment la direction de notre organisation.
Aujourd’hui nous répétons :
NOTRE LUTTE EST NATIONALE.
On nous a critiqués en disant que, nous, les zapatistes, demandons beaucoup, que nous devons nous contenter de l’aumône que nous a offerte le mauvais gouvernement. Celui qui est prêt à mourir pour une cause juste et légitime a le droit de tout demander. Nous, zapatistes, sommes prêts à offrir la seule chose que nous ayons, la vie, pour exiger la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains.
Nous réaffirmons aujourd’hui :
TOUT POUR TOUS, RIEN POUR NOUS !
À la fin de l’année 1994 explosait la farce économique avec laquelle le salinisme avait trompé la nation et la communauté internationale. La patrie de l’argent a appelé en son sein les grands seigneurs du pouvoir et de la superbe, et ceux-ci n’ont pas hésité à trahir le sol et le ciel où ils s’enrichissaient par le sang mexicain. La crise économique a réveillé les Mexicains du doux rêve abrutissant de l’accession au premier monde. Le cauchemar du chômage, de la vie chère et de la misère, sera désormais plus aigu pour la majorité des Mexicains.
Cette année qui se termine, 1994, a fini de montrer le vrai visage du système brutal qui nous domine. Le programme politique, économique, social et répressif du néolibéralisme a démontré son inefficacité, sa fausseté, et la cruelle injustice qui en est l’essence. Le néolibéralisme en tant que doctrine et en tant que réalité doit être jeté, et vite, à la poubelle de l’histoire nationale.
Frères,
Aujourd’hui, au milieu de cette crise, l’action résolue de tous les mexicains honnêtes est nécessaire, pour réussir un changement réel et profond du destin de la nation.
Aujourd’hui, après avoir d’abord appelé à prendre les armes, puis à la lutte civile et pacifique, nous appelons le peuple du Mexique à lutter PAR TOUS LES MOYENS, À TOUS LES NIVEAUX ET PARTOUT pour la démocratie, la liberté et la justice, par cette...
TROISIÈME DÉCLARATION DE LA FORÊT LACANDONE
où nous appelons toutes les forces sociales et politiques du pays, tous les Mexicains honnêtes, tous ceux qui luttent pour la démocratisation de la vie nationale, à la formation d’un Mouvement pour la libération nationale, incluant la Convention nationale démocratique et TOUTES les forces qui, sans distinction de croyances religieuses, de race ou d’idéologie politique, sont contre le système du parti-État.
Ce Mouvement pour la libération nationale luttera, d’un commun accord, par tous les moyens et à tous les niveaux, pour l’instauration d’un gouvernement de transition, une nouvelle Constituante, une nouvelle Constitution et la destruction du système de parti-État. Nous appelons la Convention nationale démocratique et le citoyen Cuauhtémoc Cardenas Solorzano, à prendre la tête de ce Mouvement pour la libération nationale, en tant que large front d’opposition.
Nous appelons les ouvriers de la république, les travailleurs de la campagne et de la ville, les banlieusards, les professeurs et les étudiants du Mexique, les femmes mexicaines, les jeunes de tout le pays, les artistes et intellectuels honnêtes, les religieux conséquents, les militants de base des différentes organisations politiques, à se battre, dans leur milieu et selon les formes de lutte qu’ils jugent possibles et nécessaires, pour la fin du système de parti-État, en rejoignant la Convention nationale démocratique s’ils n’ont pas de parti, et le Mouvement pour la libération nationale s’ils militent dans l’une des forces politiques d’opposition.
Par conséquent, en accord avec l’esprit de cette Troisième Déclaration de la forêt Lacandone, nous déclarons :
Premièrement. Est retirée au gouvernement fédéral la tutelle de la patrie. Le drapeau du Mexique, la loi suprême de la nation, l’hymne mexicain et les armes de la nation sont désormais sous la garde des forces de la résistance ; jusqu’à ce que la légalité, la légitimité et la souveraineté soient restaurées sur tout le territoire national.
Deuxièmement. Est déclarée en vigueur la Constitution politique originelle des États unis mexicains, promulguée le cinq février 1917, en y ajoutant les lois révolutionnaires de 1993 et les statuts d’autonomie adjoints pour les régions indigènes, ce jusqu’à ce que soit instaurée une nouvelle Constituante et promulguée une nouvelle Carta Magna.
Troisièmement. Nous appelons à la lutte pour que soit reconnu « gouvernement de transition démocratique » celui dont se doteront d’elles-mêmes les différentes communautés, organisations sociales et politiques, maintenant le pacte fédéral souscrit dans la Constitution de 1917, et à ce qu’elles rejoignent, sans distinction de religion, de classe sociale, d’idéologie politique, de race ou de sexe, le Mouvement pour la libération nationale.
L’EZLN appuiera la population civile dans sa tâche de rétablissement de la légalité, de l’ordre, de la légitimité et de la souveraineté nationales, et dans la lutte pour la formation et l’instauration d’un gouvernement national de transition démocratique aux caractéristiques suivantes :
1. Il liquidera le système du parti-État et séparera réellement le gouvernement du PRI.2. Il réformera la loi électorale en des termes garantissant : propreté, crédibilité, équité, participation citoyenne non partisane et non gouvernementale, reconnaissance de toutes les forces politiques nationales, régionales ou locales, et convoquera de nouvelles élections générales dans la Fédération.
3. Il convoquera une nouvelle constituante pour l’élaboration d’une nouvelle constitution.
4. II reconnaîtra les particularités des groupes indigènes ; il reconnaîtra leur droit à une autonomie incluante et leur citoyenneté.
5. Il réorientera le programme économique national, renonçant à la dissimulation et au mensonge et favorisant les secteurs les plus démunis du pays, les ouvriers et paysans, qui sont les principaux producteurs de la richesse que d’autres s’approprient.
Frères,
La paix viendra, amenée par la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains. Nos pas ne peuvent trouver la juste paix que réclament nos morts, si c’est au prix de notre dignité mexicaine. La terre n’a pas de répit et marche dans nos cœurs. L’offense faite à nos morts demande la lutte pour laver leur peine. Nous résisterons. L’opprobre et la superbe seront vaincus.
Comme avec Benito Juárez face à l’intervention française, la patrie marche, à présent, aux côtés des forces patriotes, contre les forces antidémocratiques et autoritaires.
Aujourd’hui, nous disons :
LA PATRIE VIT ! ET ELLE NOUS APPARTIENT !
Démocratie ! Liberté ! Justice !
Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain.
Comité clandestin révolutionnaire indigène
Commandement général de l’Armée zapatiste de libération nationale.
Mexique, janvier 1995.