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Notes anthropologiques (XXXVI)

lundi 20 mai 2019, par Georges Lapierre

L’idée et son devenir (II)

Nous devons garder à l’esprit cette évocation d’un monde originel au sein duquel l’humain peut s’exprimer et se révéler. Ce monde des origines est tenace et accrocheur et il est arrivé à survivre jusqu’à notre époque, à résister tant bien que mal à l’envahissement d’un monde qui lui est contraire. Pourtant le monde marchand, négateur de l’humain, est en train de prendre une importance considérable jusqu’à repousser dans des zones de plus en plus marginales l’expression non aliénée de l’humain.

Le marchand se défie de l’humain, il fixe le retour et le rend obligatoire. Cette défiance de l’humain, cette absence fâcheuse mais obstinée de reconnaissance d’autrui, s’impose peu à peu comme une norme de comportement dans le premier monde : chat échaudé craint l’eau froide. Une flèche empoisonnée a pénétré le cœur de la femme et de l’homme, lui causant une énorme et implacable souffrance. Cette souffrance est tue, elle est devenue indicible. Comment en sommes-nous arrivés là ? L’activité marchande bouleverse les mœurs et nous bouleverse insidieusement. Je me souviens m’être trouvé, adolescent en rupture de service militaire, avec toute une bande de marins corses dans les rades de Toulon ; ils ne fréquentaient que les bars corses mais c’étaient à chaque fois des tournées générales, nous avions le goût de la vie qui nous montait à la tête. Aujourd’hui, chacun paye son café. Dans les révoltes et les insurrections qui nous secouent comme le vent d’une tempête venue de l’océan, c’est encore ce goût de l’autre et de la rencontre jusqu’alors réprimé qui surgit à nouveau pour fleurir au grand jour. Puis cette florescence soudaine se fane et disparaît faute d’avoir pu construire et élever sur les ruines de l’ancien un nouveau monde. Le temps presse. C’est le défi des jeunes générations. C’est aussi le défi de tous et nous pouvons nous demander comment l’idée de l’échange a-t-elle pu nous échapper au point de nous revenir, comme un boomerang, transformée en son contraire, et nous détruire, de détruire l’humain en nous [1].

Parler du devenir de l’idée, c’est parler du devenir de la richesse ou encore c’est parler du devenir du capital. À un moment donné de notre histoire, l’idée de richesse s’est éloignée de nous, nous en avons été dépossédés. L’humain a été dépossédé de l’humain. Les rois, les empereurs, les nobles (prêtres ou guerriers), les grands marchands ont pu, au cours de l’histoire de notre civilisation, s’approprier cette idée de richesse, ils on pu en connaître l’éclat. Ils n’en ont connu que l’éclat. Nous sommes comme les pies, nous préférons l’éclat à la réalité, nous préférons le luxe, l’apparat et ses pompes à l’obscurité des bas-fonds et des tavernes, à l’obscurité des chozas perdues dans la sierra, à l’ombre douce et féminine de la tente touarègue. Toutefois les pirates ont su mettre le feu dans l’obscurité des bas-fonds et des tavernes. La richesse se loge dans la dérision d’un monde où elle n’est qu’apparente.

J’avais remarqué dans les notes précédentes (cf. « Naissance de la monnaie » et « Histoire de la Grèce de l’âge de bronze à l’âge de fer » [2]) une corrélation entre la naissance de l’État et l’activité marchande, entre la formation d’un pouvoir séparé au sein de la société et le commerce. Quel peut être le lien entre les deux et qui rend concomitant la formation de l’État et l’activité marchande ? Je dirai que c’est l’apparence ou l’aliénation de l’idée : la richesse n’est plus directement vécue, la valeur n’est plus le propre de l’humain. La richesse, ce qui était directement vécu par la personne, passe de l’humain à la chose, elle se fait apparente. Le capital est bien toujours l’effectivité de l’idée de richesse qui se fait visible mais l’idée elle-même s’est éloignée des hommes et des femmes pour continuer à agir pour son propre compte par le moyen des femmes et des hommes. L’argent mesure la puissance de l’idée : concentré, il représente le capital, l’idée dans son effectivité, et cette idée dans son effectivité est devenue l’apanage de ceux que l’on nomme capitalistes ; diffus, il représente la monnaie, la mise en pratique de l’idée, l’échange de tous avec tous.

Cette concomitance entre la naissance de l’État et le commerce est particulièrement nette avec la civilisation mycénienne : dans un monde encore sans État, un embryon d’État, qui a pour seule vocation de se dédier au commerce, se forme et se constitue un peu comme une tumeur dans un organisme. Cet embryon d’État arrive à se maintenir à contre-courant car il répond à une demande en biens de prestige de la part d’une classe aristocratique déjà existante dans la société de l’époque. Le palais en tant qu’idée de l’État prend directement en charge l’activité commerciale sous la forme d’une gestion bureaucratique et centralisée des échanges non seulement dans un territoire défini mais entre des régions géographiques éloignées les unes des autres et tout particulièrement avec les empires du Moyen-Orient qui, eux, sont déjà des États solidement constitués.

Ce rapport entre la formation de l’État et l’activité marchande est moins net après l’effondrement de la civilisation mycénienne, comme si l’État qui allait se former par la suite devait prendre ses distances avec le monde du commerce proprement dit pour obéir à des déterminations qui lui sont propres et qui ne sont pas nécessairement commerciales à première vue. Par contre, l’activité marchande reprend de plus belle avec la reconstitution et le renforcement de la classe aristocratique, qui n’avait jamais complètement disparu durant les siècles dits obscurs.

La formation d’un pouvoir séparé et centralisé à l’intérieur de la société apparaît comme un facteur déterminant de l’activité commerciale pour plusieurs raisons : l’aristocratie s’est approprié l’idée de richesse qui était jusqu’alors un bien commun et elle en a fait un bien exclusif. Elle a fait de l’échange cérémoniel sa manière d’être et elle en a exclu la population proprement dite. L’aristocrate s’empare d’un bien jusqu’alors partagé par tous, d’un capital, ne serait-ce que celui de la terre, pour un usage privé. La notion de domaine c’est-à-dire d’une terre réservée, appartenant en propre à un seigneur, se fait jour, qui sépare et délimite une propriété privée à l’intérieur d’un territoire jusqu’alors commun à tous les habitants dits autochtones [3]. C’est une idée qui va à l’encontre de toute une cosmovision, qui prend toute une cosmovision à rebrousse-poil, si je puis dire ; et elle ne sera pas reconnue ni acceptée par la population grecque pendant des siècles, suscitant une sourde inquiétude chez le hobereau, qui s’efforcera à faire reconnaître, en vain, son droit privé à la terre par les gouvernements qui se succèdent à la tête de la cité.

Le noble s’enrichit en appauvrissant les paysans et les artisans autour de lui, en les privant de la richesse de l’échange pour s’en réserver le privilège et le monopole. J’ai fait allusion à la terre qui, de bien commun, passe au statut de bien privé avec la notion de domaine ou propriété privée du seigneur ou du cacique ; mais à travers les redevances dues au noble (corvée, partie de la récolte, partie du troupeau, des cochons, par exemple) c’est l’ensemble de la richesse, du capital de biens à échanger, qui, peu à peu, passe des mains de la population à celles de la noblesse. La pauvreté dite matérielle est en fait une pauvreté spirituelle : la difficulté sinon l’impossibilité faite aux gens d’échanger entre eux et de se savoir humains. Nous n’avons pas encore perdu totalement le sens du don, mais nous gardons par-devers nous le sentiment d’un appauvrissement, d’une contrainte qui nous impose des limites, c’est la part pauvre ou la part du pauvre ; c’est l’argent qui garde le goût de l’infini mais qui nous revient borné de toute part pour nous imposer une limite fatale à l’idée de richesse — alors que le capitaliste, l’aristocrate de l’argent, en connaît la part riche et, pour ainsi dire, illimitée [4].

Cette part de l’argent dont nous acceptons les limites et les contraintes est la part de la pensée et de l’esprit qui nous est concédée par ceux qui nous dominent et qui se sont réservé le privilège d’une pensée que rien ne vient plus borner (et surtout pas les gens, tous ceux que l’on met au travail). Et cette part d’esprit, oh combien limitée et appauvrie, qui nous est concédée par les maîtres du monde et de la richesse se trouve de plus en plus bornée ! Ils la rognent de plus en plus ! Nous nous révoltons pour cette part d’esprit dont nous sommes continuellement privés. Nous sommes affamés d’esprit. Nous, les gilets jaunes, sommes affamés d’esprit. Sur les ronds-points, c’est de l’esprit que nous cherchons dans la flamme des feux. Les maîtres ne sont pas dupes, ils savent que l’esprit risque bien d’allumer des incendies. Ils savent bien aussi que seule la violence pure, la force brute, est en mesure de faire rendre gorge à la pensée.

Le noble utilise dans deux directions opposées ce capital dont il s’est emparé par la contrainte, il l’investit dans les jeux de l’échange cérémoniel, dans la guerre et dans l’achat de biens de prestige. Une partie de son capital est dépensé dans des échanges qui gardent encore une dimension humaine, celle du défi, l’autre partie se trouve investie dans des échanges de type marchand, qui ont perdu la dimension humaine du don et du don en retour. La vie du noble guerrier est double avec une partie visible, qu’il met en avant et dont il est fier, c’est la partie humaine de sa vie de guerrier, et une partie qu’il voudrait invisible, sa compromission avec le monde marchand, c’est la partie inhumaine de sa vie. Se faire traiter de marchand peut bien être ressenti par Ulysse comme une grave insulte, pourtant il doit à l’activité marchande tout le faste de sa vie.

Le noble guerrier garde la nostalgie du Grand Homme, qu’il est peut-être encore aux yeux de son peuple d’origine, il se voudrait grand guerrier, être un aoulatta, portant les valeurs de son lignage, de son clan ou de sa tribu et représenter son clan ou son village au cours des défis publics et des jeux panhelléniques. Il ne l’est plus réellement, il est devenu l’homme d’une classe, il a rompu le lien ombilical qui le rattachait au corps social dans sa totalité. L’échange, la richesse humaine, qui pouvait exister avant l’intrusion d’un peuple conquérant subsiste de part et d’autre aussi bien du côté du peuple assujetti que du côté du peuple dominant mais se trouve irrémédiablement faussé par cette intrusion.

L’État en se constituant et en se prétendant au-dessus de cette division la prend tout de même en compte et, en tant qu’émanation de la classe dominante, la favorise et l’accentue tout en prétendant unir sous son autorité les forces contraires qui divisent la société. C’est bien toujours ce qui se passe aujourd’hui : l’État se présentant comme l’autorité unificatrice d’une société divisée entre riches et pauvres tout en prenant le parti des riches avec parfois le consentement des pauvres, qui se sentent les obligés des riches. Et les riches sont toujours les mêmes, ce sont ceux qui possèdent un « capital », c’est-à-dire ceux qui se sont approprié l’idée de l’échange.

Les riches ont pu être au début de leur domination les aristocrates de la pensée, les nobles guerriers, du moins c’est ainsi qu’ils se sont reconnus (et qu’ils ont été reconnus), toutefois leur situation réelle était ambiguë dans la mesure même où elle marquait une séparation à l’intérieur de la société, autant dire à l’intérieur de la pensée. Cette aliénation de la pensée allait trouver sa forme. L’argent est la forme (ou la figure) prise par l’aliénation de la pensée. C’est le subjectif qui devient objet ; ce qui était propre au sujet — la pensée se déployant dans l’activité de l’échange et du don — passe dans l’objet : l’argent divisant du travail à l’infini. Ce qui était propre à la personne, l’intériorité, devient le propre de l’argent, l’extériorité. L’argent marque le passage de l’intériorité de la pensée à son extériorité [5].

L’État, en instaurant le sacrifice aux dieux, marque le moment d’une allégeance à une idée et une pensée qui se trouvent au-dessus de la population et la dominent. L’État est le grand sacrificateur. Il commande la pompe du sacrifice, la communication d’un peuple avec les dieux. L’État se targue d’être le grand commandeur de l’unité de la société sous l’égide d’une pensée unique. Il est la figure du pouvoir et son expression, et le pouvoir est une volonté qui ne peut être détournée de son but : l’unité de tous à la poursuite d’un but commun. Et c’est bien la classe qui se targue de la pensée qui est porteuse de cette ambition commune. Cette connivence forcée qui lie la population sans qualité à la classe pleine de qualité n’a pu être obtenue que par la contrainte, par une conquête suivie d’une domination. C’est ce qui se passe généralement quand la conquête militaire a pour fin la colonisation des peuples vaincus. Si l’État est l’expression du pouvoir sans faille que possède la classe dominante, il est aussi le lieu d’une collaboration, d’une subordination et d’une soumission.

La naissance de l’État suppose un appauvrissement de la vie sociale, l’allégresse de la fête et la ronde des dons existent bien toujours mais dans des limites de plus en plus étroites. L’exigence du tribut et, par la suite, des redevances et des impôts, restreint considérablement la pratique sociale de l’échange ; plus exactement, cette pratique sociale de l’échange est transférée à l’État sous la forme d’un transfert de capitaux. Alors que, du côté de la population sans qualité, l’activité humaine de l’échange sous la forme du don se trouve drastiquement réduite faute de munitions, l’État en s’emparant, par le truchement de l’impôt, d’un capital (et c’est alors que l’on peut parler d’une accumulation de capital) s’approprie en fait l’idée de l’échange. Il s’approprie l’idée de l’échange au nom de toute la société, au nom de la population. Le capital détenu par l’État devient le capital de la nation. C’est un leurre, l’État serait porteur de l’idée en concurrence avec la classe dominante (noblesse ou bourgeoisie). Il n’en est rien, la connivence est réelle, et la plupart du temps explicite, entre l’État et la classe de la pensée. L’État n’est bien souvent qu’un moment d’appropriation du bien commun par la classe du pouvoir. L’État est l’instrument d’une appropriation du capital commun (de la richesse des nations) par la classe de la pensée. Le rapport qui peut exister entre la naissance de l’État et la naissance de la monnaie, entre l’État et l’activité marchande, et que j’avais signalé, est sans doute bien plus fondamental qu’on ne le croit couramment.

Le sens du don et du don en retour ou encore l’idée de la réciprocité ne sont plus vécus directement, le don est détourné de son but (les autres) pour devenir offrande aux dieux. Avec la naissance de l’État, il est devenu sacrifice, il se trouve perdu dans l’au-delà, dans l’ailleurs du monde terrestre, la vie n’est plus alors qu’une attente : l’attente d’un retour qui devient providentiel et hasardeux. Ce sacrifice exigé, cette offrande aux dieux ne sont pas perdus pour tous le monde, ils reviennent à la classe de la pensée, à ces artisans de l’activité sociale productrice de richesse et de communication. Avec le capital à sa disposition, l’État organise sa propre représentation, le pur spectacle de l’idée : les temples et les pompes d’une religion tout entière tournée vers le sacrifice, où brûle le foyer d’une cuisine divine avec son cortège de thuriféraires. Désormais, l’État est amené à s’occuper de cette grande affaire de communication et il le fait à sa gloire et à sa convenance entre guerres et travaux de prestige.

Quel est le lien entre l’État et l’activité marchande ? La religion ? D’un point de vue théorique, j’avancerai que l’État représente la figure de l’unité factice d’une société divisée entre riches et pauvres, les riches sont ceux qui se sont réservé l’idée de l’échange (idée capitalisée sous la forme de biens de valeur), les pauvres sont ceux qui ont été dépossédés de l’idée pratique de l’échange en étant dépossédés du capital qu’ils avaient en commun. L’État est le garant d’une séparation à l’intérieur de la société entre ceux qui se sont approprié l’idée sous sa forme capitalisée et ceux qui en ont été dépossédés. L’État est la figure de la séparation au sein de la société, en étant la figure de la séparation il est aussi celle de l’aliénation de l’idée. Cette figure de l’aliénation de l’idée n’est pas statique, elle est pratique, c’est un mouvement pratique de privatisation de l’idée et ce mouvement pratique de privatisation s’exprime sur la terre par la privatisation de tout ce qui est commun, du bien commun. L’idée pratique de l’échange qui était, dans les temps primitifs, commune à tous devient une idée privée, le capital qui était commun, devient un capital privé. Le procès de l’aliénation de l’idée pratique de communication de tous avec tous correspond au procès de privatisation du capital, au procès d’appropriation d’un bien commun. Il ne s’agit pas de critiquer le capital, mais bien de critiquer l’aliénation du capital, sa privatisation. Ne nous trompons pas de cible !

Ce procès d’aliénation de l’idée, qui est tout aussi bien le procès de l’aliénation de la pensée, a débuté très tôt, à partir du moment où des peuples ont été dominés par d’autres peuples. C’est alors qu’une classe, définie comme la classe de la pensée, a pu se constituer en s’appropriant peu à peu la richesse commune. Cette richesse commune est seulement l’idée de l’échange devenue visible, l’idée de l’échange capitalisée, dirait Karl Marx. Ce que nous appelons l’État est l’expression de ce processus d’expropriation, d’appropriation et de privatisation de l’idée pratique de communication. Dès la naissance de l’État, il y a eu connivence entre l’activité marchande et ce processus d’appropriation. Ce fut une erreur « théorique » de les séparer : marchands et aristocrates font partie d’un même processus. Et l’État est l’acteur de ce processus, il est le procès de l’aliénation de l’idée. L’État n’est pas une figure passive de l’autorité, il est une volonté, une obstination, l’ennemi du bien commun.

Marchands et aristocrates font partie du mouvement universel de l’aliénation de la pensée en tant qu’activité pratique de communication ; ce mouvement universel de l’aliénation de la pensée comme activité pratique de communication commence avec le procès d’appropriation ou de privatisation de l’idée ; cet accaparement de l’idée, qui est précisément l’accaparement de l’idée de richesse, correspond au mouvement d’appropriation des biens communs qui passent du domaine public au domaine privé. Les marxistes parlent d’« accumulation du capital », il s’agit plutôt d’une appropriation du capital commun par le particulier. Sur le plan de la pensée, qui est le plan qui nous intéresse dans la mesure où il permet une synthèse d’un processus pratique, cette appropriation du capital (ou de l’idée de richesse capitalisée, devenue visible) se traduit par le passage du domaine public de la pensée partagée par tous au domaine privé, celui où la pensée de l’échange est uniquement partagée par quelques-uns que l’on appelle les capitalistes. Cette pensée de l’échange partagée par quelques-uns — ceux qui l’ont capitalisée à leur profit et que l’on appelle les capitalistes — revient, au bout du processus pratique de communication, à tout le monde, mais sous une forme aliénée. La marchandise est cette forme aliénée prise par l’idée de richesse. Cette idée de richesse n’est plus vécue directement dans un échange de présents, on peut l’acheter [6], elle nous revient par ricochet sous la forme de marchandise, ce bien merveilleux, plein d’esprit et d’attente, produit dans les lointains imaginaires et qui a traversé les océans, pour venir s’échouer à nos pieds telle une guirlande de fleurs.

Marseille, le 11 mai 2019
Georges Lapierre

Notes

[1C’est une manière de parler, l’humain existe encore sous sa forme inhumaine, négatrice de l’humain. Le monde marchand est un monde humain, c’est indéniable, un monde humain inhumain.

[2« Naissance de la monnaie », notes anthropologiques XX et XXI ; « Histoire de la Grèce antique », notes XXXII, XXXIII et XXXIV.

[3Cette idée d’autochtonie va prendre une grande importance dans l’histoire de la Grèce antique et c’est en référence à cette idée que la notion de citoyenneté, oh combien importante dans l’histoire politique de la cité, prend tout son sens.

[4Nous ne pouvons véritablement comprendre le mouvement de mai 68 et celui, plus actuel, des gilets jaunes que sous cet angle : le goût tout spirituel pour la richesse, une richesse faite de rencontres, d’interpellations, de bavardages, d’enthousiasme, de passion, de bruits et de fureurs, de rires, de dépenses ; ce goût de l’autre que le pouvoir s’efforce continuellement de brimer au nom du principe de réalité qui veut que les riches soient toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Et cette richesse comme la pauvreté sont toujours spirituelles. Au goût pour la richesse qui éveille les esprits, au sens de la fête et de la débauche, le pouvoir oppose la restriction, le sens de la rétention et de l’abnégation, du sacrifice et du renoncement au nom d’une nécessité qu’il est seul à connaître, mais que nous pouvons toujours deviner.

[5L’argent est à la fois l’idée de l’échange devenue visible, capitalisée, et sa pensée, l’activité pratique de l’échange de toutes les marchandises avec toutes les marchandises ou bien encore l’échange de tous avec tous par marchandises interposées.

[6On peut s’emparer d’une représentation de la richesse — la richesse sous sa forme objective, aliénée —, qu’est une marchandise, avec de l’argent, qui est, lui aussi, une représentation de la pensée sous une forme objective. La boucle est bouclée.

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