« Nous étions tous très émus et fiers d’avoir réussi à mettre en déroute la douzaine de flics qui bloquaient dans leurs bagnoles l’accès au terre-plein devant le squat. Il y a eu dix minutes tendues, mais sans affrontement. Cet après-midi, il y avait une grande assemblée sur le parvis, nous étions trois fois plus que ce midi. La parole circulait bien, femmes comme hommes. Rosa appartient maintenant à celles et ceux qui l’ont libéré. Un repas est préparé pour ce soir et demain il y aura un repas pour les migrants... » Le 5 juin, le squat historique Rosa Nera, à La Canée (Crète), avait été repris « sans casse ni arrestation » par ses occupants qui en avaient été délogés en septembre 2020. Marc Tomsin écrivait ce mail victorieux à divers amis pour leur narrer l’occasion d’une belle fête dans ce monde de si profondes défaites.
Las, ce message porteur d’espoir sera l‘un des derniers : quelques heures plus tard, une chute accidentelle va plonger notre compagnon dans un coma irréversible, puis, le 8 juin, il finit par rendre son âme magnifique de libertaire, à quelques encablures de ses 71 ans.
La nouvelle douloureuse de son décès circule alors sur la toile des relations qu’il avait tissées au fil de ses années... de Ménilmontant à Barcelone, du Chiapas zapatiste aux squats de Berlin, du quartier Exércheia d’Athènes à plusieurs adresses de la rue Consolat à Marseille. Correcteur de presse de métier puis éditeur indépendant et animateur du site La Voie du jaguar, Marc semblait avoir eu mille vies. Féru de blues et de rebetiko, il soignait également sa dégaine de nomade : toujours en noir ou presque, le crâne rasé avec un long mulet improbable parfois coiffé en matte, il arpentait les rues de ses villes et de ses pays d’affinité, le sourire aux lèvres, entre le « maître shaolin » solitaire et l’Indien échappé d’un western zapata. Pour toutes celles et ceux qui ont eu la chance de l’approcher, Marc était avant tout un passeur d’une gentillesse confondante : passeur de livres et d’idées révolutionnaires, passeur de contacts et d’amitiés.
Lors de ses funérailles crétoises, son grand pote Mohamed El Khebir s’est aussi souvenu « comment les mots “ je suis un ami de Marc ” étaient une sorte de sésame qui vous ouvrait des tas de portes ». Dans un texte d‘hommage envoyé à cette occasion, Raoul Vaneigem rappelait que « l’infatigable responsable de La Voie du jaguar a préparé la venue imminente des zapatistes qui débarquent porteurs d’un monde nouveau dans la vieille Europe si acharnée à les réduire en esclavage. Dans toutes les festivités à venir, il sera l’ombre du personnage absent ».
Son activité éditoriale donne un aperçu des mondes rebelles entre lesquels il naviguait. Aux éditions Ludd, fondées avec Angèle Soyaux en 1985, on doit des ouvrages d’écrivains allemands hors les clous comme Oskar Panizza ou Franz Jung, mais aussi le passionnant essai sur l’ethnie maya des Tojolabals : Les Hommes véritables de Carlos Lenkersdorf.
Aux éditions Rue des cascades, toujours distribuées par Hobo diffusion, on citera En exil chez les Hommes, un roman de Malcom Menzies sur la bande à Bonnot, les chroniques de Georges Lapierre sur la Commune d’Oaxaca et Femmes de maïs de Guiomar Rovira, livre de référence sur les femmes chiapanèques, ou encore la réédition de l’œuvre surréaliste de Jérôme Peignot Les jeux de l’amour et du langage. Toute cette richesse n’est pas perdue, les amis de Marc se sont juré de faire fructifier encore et encore les tendres graines qu’il a semées.
PAR UN CHIEN (À L’ŒIL) ROUGE