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Déclaration de la deuxième assemblée nationale
du Congrès national indigène ★ Conseil indigène de gouvernement

lundi 28 janvier 2019, par CNI

Aux réseaux de soutien au Conseil indigène de gouvernement,
À la Sexta nationale et internationale,
Aux peuples du Mexique et du monde,

Sœurs, frères,

Depuis la deuxième assemblée plénière du Congrès national indigène et du Conseil indigène de gouvernement [CIG], qui s’est déroulée du 11 au 14 octobre au Cideci-UniTierra à San Cristóbal de Las Casas, Chiapas, nous nous adressons avec respect aux compañeras et compañeros qui font partie des réseaux de soutien au CIG, ainsi qu’aux peuples de ce pays et du monde afin de nous voir, de nous consulter et ainsi franchir de nouvelles étapes dans la construction de ce nouveau monde dont nous avons besoin.

Nous le disons avec urgence, parce que nous qui sommes peuples originaires, au travers de notre lutte contre la grave maladie causée par le capitalisme, nous tissons la vie, car c’est le devoir que nous avons reçu de nos ancêtres. Celui-ci consiste, pour nous, à construire la vie et la faire croître dans chaque recoin avec espoir, un espoir qui parie sur la mémoire et sur les temps à venir. Nous tissons en collectif en tant que peuples, et au fil de ce travail, nous nous tissons aussi en tant que personnes.

Nous sommes des réseaux au sein de nos localités, où nous cherchons en collectif à n’avoir qu’une seule parole qui soit le reflet de notre terre-mère, de sa vie et du battement de son cœur. Nous sommes des réseaux de réseaux au sein de nos communautés et des régions qui constituent des collectifs de collectifs, là où nous ne rencontrons qu’une seule autre parole, parole qu’entre les nôtres nous écoutons avec attention, parce qu’elle continue à être ce que librement, nous décidons d’être. C’est cela, notre lutte permanente, et c’est pour cela que cette parole, nous la respectons et nous l’honorons en en faisant notre gouvernement, non seulement maintenant mais aussi pour toujours, parce que de nos différences, surgit l’accord collectif. C’est-à-dire que du fait d’être différents nous surgissons comme un seul, comme les peuples que nous sommes, et c’est aussi pour cela que nous honorons nos différences.

Ainsi, lorsque par accord du Cinquième Congrès national indigène nous avons décidé de former un Conseil indigène de gouvernement, nous ne l’avons pas fait en tremblant, ni avec la prétention que tous soient comme nous, ni avec la volonté de dire à qui que ce soit ce qu’il doit faire, mais afin de dire au monde que c’est un mensonge que le gouvernement doive exister afin de détruire, alors qu’au contraire, il doit exister afin de construire. Que c’est un mensonge que le gouvernement doive exister afin de se servir, alors qu’au contraire, il doit exister afin de servir. Il doit être le miroir de ce que nous sommes lorsque nous rêvons de décider de notre destin, et non pas le mensonge qui nous supplante pour dire en notre nom qu’il veut tout voir mourir autour de lui.

Ce que nous tissons, nous l’appelons organisation, et c’est le territoire que nous défendons, la langue que nous parlons et que nous refusons de perdre, l’identité que nous n’oublions pas et que nous faisons croître avec la lutte. Mais il se trouve que c’est aussi de cela que les possesseurs de l’argent ont besoin, pour le détruire et le convertir en encore plus d’argent, pour le transformer en marchandises, par le biais de l’exploitation, de la pauvreté, de la maladie et de la mort de nombreux autres millions de personnes qui ne sont pas de nos peuples, et qui vivent dans les villes et à la campagne. En d’autres mots, ce n’est pas non plus vrai que la mort, la répression, la spoliation et le mépris ne nous concerne que nous, les peuples originaires.

C’est pour cela qu’exercer l’autonomie au travers de nos façons ancestrales d’avancer en nous questionnant est l’unique porte qui nous permet de continuer à faire de la vie notre chemin sans rémission, puisqu’au-dehors, tout s’est mis en place pour assurer la terreur et le profit des puissants. Dans ce contexte, il n’y a aucune possibilité de stopper, ou ne serait-ce que de freiner l’accumulation capitaliste fondée sur notre extermination, même si leurs lois viciées reconnaissent notre libre détermination. Cela ne sera possible qu’une fois démantelée la finca [1], la grande propriété, l’usine, le camp de concentration ou le cimetière en quoi ils ont transformé notre pays et notre monde.

Le Conseil indigène de gouvernement est la manière d’honorer nos différences, afin d’y rencontrer la parole dans laquelle nous nous reflétons, et qu’elle soit un véritable gouvernement. L’autre, ce qu’en-haut ils appellent l’État mexicain, n’est rien d’autre qu’un mensonge fait pour imposer, réprimer et occulter la mort qui nous déborde déjà, rendant la tromperie évidente. C’est-à-dire : ce n’est rien de plus qu’une bande de voleurs qui font semblant d’être institution de droite ou de gauche. Dans un cas comme dans l’autre, ils portent la guerre en eux, et ils ont beau la maquiller, celle-ci aussi les déborde, parce que le patron, c’est le patron.

Mais en bas, nous ne pouvons rien faire d’autre que défendre la vie, avec ou sans les mensonges du gouvernement sortant et du gouvernement sur le point d’entrer en fonction, parce que les belles paroles sont inutiles, lorsque sont menacés les peuples binniza, chontal, ikoots, mixe, zoque, nahua et popoluca de l’isthme de Tehuantepec par leurs projets transisthmiques et l’expansion des zones économiques spéciales, ainsi que les peuples mayas, avec leur projet de train capitaliste qui spolie et détruit la terre sur son passage. Les belles paroles sont inutiles, face à l’annonce de la plantation d’un million d’hectares d’exploitation arboricole et forestière dans le sud du pays, face à l’illégale et vicieuse consultation pour la construction du Nouvel Aéroport de la ville de Mexico, ou face à l’offre faite afin que les entreprises minières qui ont obtenu la concession de grandes extensions des territoires indigènes continuent à investir. Les belles paroles sont inutiles, lorsque sans consulter nos peuples, le futur gouvernement impose la création, suivant le style du vieil indigénisme de l’Institut national des peuples indigènes, dirigé par les déserteurs de notre longue lutte de résistance.

Les belles paroles sont inutiles, lorsque nous voyons le cynisme avec lequel sont cédés les peuples du Mexique aux intérêts des États-Unis par le biais du Traité de libre commerce. Le même traité que promet de ratifier le futur gouvernement de López Obrador, qui durant l’un de ses premiers discours n’a pas hésité à ratifier la continuité de la politique monétaire et fiscale actuelle. C’est-à-dire la continuité de la politique néolibérale, qui sera garantie à travers l’annonce du fait que les corporations militaires resteront présentes dans les rues, et avec la prétention de recruter pour cela cinquante mille jeunes pour intégrer les files armées qui ont servi à réprimer, spolier et semer la terreur dans toute la nation.

Nous avons été trahis, lorsque nos exigences étaient d’arrêter cette guerre et que les droits des peuples indigènes soient reconnus dans la Constitution mexicaine, traduits par le biais des Accords de San Andrés. Car le patron que nous ne voyons pas, et qui est celui à qui obéissent ceux qui disent gouverner, a ordonné que nous soient jetées de nombreuses lois rendant légal le vol de la terre par la violence, ainsi que des programmes pour nous diviser et faire que nous nous battions entre nous, et ainsi semer le mépris et le racisme dans toutes les directions. Les belles paroles sont donc inutiles, lorsqu’avec cynisme ils parlent de reconnaître les Accords de San Andrés ou notre libre détermination au sein de leurs lois pourries jusqu’à la moelle, sans même toucher à l’engrenage capitaliste assassin que représente l’État mexicain.

Si étaient approuvés les Accords de San Andrés dans le contexte actuel, avec encore en vigueur les réformes successives de l’article 27 de la Constitution, qui ont transformé la terre en marchandise et qui ont mis les richesses du sous-sol à disposition des grandes entreprises ; sans en finir avec les régimes de concession des eaux, des activités minières, des biens nationaux et des hydrocarbures ; sans imposer de limites au pouvoir impérial, en dérogeant au Traité actuel de libre commerce et en limitant sérieusement les grandes corporations multinationales ; sans détruire le contrôle exercé par les grands cartels criminels soutenus par les corporations militaires sur nos territoires ; ce serait, pour nous, vivre dans le meilleur des cas une grossière illusion, nous occultant l’attaque exercée par l’argent contre nos peuples.

Nous, au sein du Congrès national indigène - Conseil indigène de gouvernement, nous n’avons aucun doute, et nous ne serons partie prenante d’aucune transformation exponentielle du capitalisme qui, au travers de leurs pratiques pleines de vices, porte son regard sur nos territoires. Nous ne serons pas partie prenante de leur mensonge, avide de notre sang et de notre extermination.

C’est la raison pour laquelle nous passons l’accord de continuer à construire l’organisation qui se transforme en son propre gouvernement, autonome et rebelle, avec des compañeras et des compañeros d’autres géographies, afin de rompre de manière collective l’inertie qu’ils nous imposent, pour distinguer entre tous d’où vient la tempête, et au milieu d’elle ne pas cesser de tisser, jusqu’à ce que notre tissu se joigne avec les autres qui surgissent de tous les recoins du Mexique et du monde afin qu’ils se fassent conseils et qu’ensemble, nous soyons conseil de gouvernement avec les réseaux de soutien au CIG. Qu’ils se dédoublent avec leurs propres formes et leur propre identité, à la campagne et à la ville, sans se soucier des frontières.

Nous prenons l’accord de consulter nos communautés, peuples, nations, tribus et quartiers sur les formes et les manières de construire aux côtés des réseaux de réseaux, qu’ils soient petits ou grands, une coordination à même de nous enrichir par le soutien et la solidarité, qui fasse de nos différences notre force en réseaux de résistance et de rébellion, par la parole qui nous rassemble en un seul, de manière respectueuse et horizontale.

Et comme c’est de fait notre manière de procéder, chaque étape dépend de ce qu’à la base même nous accordons, raison pour laquelle nous ferons connaître ces résolutions dans nos régions d’origine afin que soit obtenu un consensus, et que la parole collective qui nous fait être ce que nous sommes nous marque le rythme, la manière et la direction.

Nos pas dépendront également de ce qu’en collectif décideront à la base même les autres hommes et femmes, instituteurs, étudiants, femmes, travailleurs de la campagne et de la ville. De tous ceux qui, au milieu de la guerre capitaliste, ont aussi décidé de tisser l’organisation qui mette un terme à la mort et à la destruction dans laquelle les capitalistes ne voient qu’une source de profits. Si c’est leur décision, depuis en bas et de manière autonome, nous les appelons à réaliser avec sérieux et engagement une consultation à l’intérieur de leurs organisations et de leurs collectifs, pour décider s’il est pour vous nécessaire ou non de former votre Conseil de gouvernement.

Si c’est votre décision, suite à notre appel à faire trembler les entrailles de la terre par l’organisation d’en bas à gauche, vous pourrez alors toujours compter sur notre parole compañera, désintéressée et solidaire. Compañer@s, ce ne seront pas des étapes faciles ni rapides, mais nous sommes convaincus que de profondes brèches naîtront afin de démanteler le pouvoir d’en-haut.

Au moment approprié, et en accord avec [le résultat de] la consultation que nous réalisons au sein de nos communautés, le CNI-CIG discutera de l’incorporation à quelque chose de plus grand, qui soit capable d’incorporer nos luttes, réflexions et identités. Quelque chose de plus grand qui se renforce des visions, manières, formes et rythmes de chacun.

Sœurs, frères, cela constitue notre parole collective, qui continue à appeler à l’organisation d’en bas afin de défendre la vie et de prendre soin de nous, ensemble avec notre mère la terre.

Depuis le Cideci-UniTierra,
San Cristóbal de Las Casas, Chiapas,
14 octobre 2018.

Pour la reconstitution intégrale de nos peuples
Jamais plus un Mexique sans nous

Congrès national indigène
Armée zapatiste de libération nationale

Traduction collective.
Source et texte d’origine :
Enlace Zapatista.

Notes

[1Une finca est une grande propriété foncière, appelée hacienda dans d’autres régions du Mexique (note de “la voie du jaguar”).

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