Bonjour Jérôme Baschet, c’est un plaisir pour nous de vous voir ici, à Dijon, dans le cadre de ces journées organisées dans le quartier des Lentillères qui fête sa septième année d’occupation. Vous êtes ici pour présenter les œuvres qui ont été créées à l’occasion d’un grand rassemblement...
... « CompArte por la Humanidad », organisé au Chiapas par les zapatistes, rencontre pour laquelle ils avaient convié des artistes du monde entier. À l’occasion de cette rencontre, les habitants des villages rebelles du Chiapas ont réalisé leurs propres créations, sous forme de pièces de théâtre, de poèmes, de chansons, de peintures, de sculptures. Ça a été une dizaine de jours très riches, très intéressants et ils ont ensuite décidé de faire voyager certaines des œuvres qui pouvaient circuler donc principalement les peintures, pour partager leur expérience dans des lieux amis.
Leur expérience, c’est la construction de ce qu’ils appellent l’autonomie, c’est-à-dire des formes d’auto-organisation, d’autogouvernement qu’ils construisent depuis plus de vingt ans, depuis le soulèvement armé du 1er janvier 1994.
Ce soulèvement armé a été le moyen — sous une forme militaire qui s’inscrit dans toute la tradition des luttes de guérilla latino-américaines — de créer un espace politique de solidarité, de rencontre des luttes au Mexique mais aussi au niveau international.
[mauve fonce]des territoires qui construisent leur mode de vie en dehors du système institutionnel[/mauve fonce]
Cet espace, c’est ce qu’ils ont créé pour construire l’autonomie. Ce sont des territoires qui se sont totalement dissociés, qui construisent leur mode de vie en dehors du système institutionnel mexicain, en refusant tous les programmes d’assistance développés par les gouvernements mexicains et en construisant leurs propres autorités politiques.
Ils ont construit entièrement, à partir de rien et en dehors des institutions existantes, un véritable système politique qui fonctionne à trois niveaux. Au niveau des villages, on trouve les communautés. Au niveau des communes, il y a vingt-huit communes autonomes. Et ces communes se coordonnent elles-mêmes en cinq zones régionales.
Chaque zone a ses propres autorités qui sont les conseils de bon gouvernement qui coordonnent l’action, le développement de l’autonomie et l’action des communes autonomes. À chacun des niveaux, il y a des autorités élues et des assemblées. Toutes les décisions se prennent par un processus d’interaction entre les assemblées, les autorités élues avec des allers-retours entre les différents niveaux. Quand on prend une décision au niveau de ces grandes zones régionales, il faut consulter et faire débattre sur ces questions-là au niveau des différents villages.
[mauve fonce]un processus qui chemine sans schéma préétabli[/mauve fonce]
C’est un système assez complexe, assez élaboré qui ne s’est pas construit d’un seul coup selon un plan établi mais au contraire progressivement, en commençant par les échelles les plus locales, celles des villages. Les communes autonomes, qui se sont déclarées fin 1994, puis les conseils de bon gouvernement — au niveau régional —, qui ont été créés en 2003.Tout cela est un processus collectif qui chemine en posant des questions, c’est-à-dire qui avance selon la manière dont l’expérience se déroule.
Des choses fonctionnent, d’autres ne fonctionnent pas, il y a des choses à rectifier, à transformer pour résoudre les difficultés qui se présentent au fur et à mesure. La logique de l’autonomie c’est ça, c’est quelque chose qui n’est pas décidé à partir d’un principe ou d’un schéma préétabli, mais qui se construit dans un processus permanent.
L’expérience zapatiste se déploie dans un territoire qui est à peu près l’équivalent de la Belgique ou de la Bretagne. C’est un territoire très important, c’est très grand donc ça pose des problèmes d’échelle qui ne sont évidemment pas les mêmes que si on parlait de quelques villages.
Et c’est un territoire homogène ?
Non, effectivement il faut préciser que ce n’est pas un territoire homogène. Dans ce territoire il y a des communautés zapatistes et des communautés non zapatistes. Parfois même dans les mêmes villages survivent côte à côte les zapatistes et les non-zapatistes ; toute la population de ces territoires n’est pas entièrement ralliée à la cause zapatiste.
On parle d’un territoire qui est très grand et il y a des régions différentes d’un point de vue historique, climatique... donc aussi en termes de cultures.
[mauve fonce]des systèmes de santé, d’éducation ou de justice autonomes[/mauve fonce]
Il faut parfois développer de nouveaux villages et dans ces villages des projets collectifs — en plus du travail réalisé pour l’autosubsistance des familles — qui permettent de soutenir matériellement le fonctionnement des réalisations de l’autonomie comme les écoles ou les services de santé.
L’autonomie c’est une forme d’autogouvernement comme on vient d’en parler, qui rend aussi la justice et puis il y a tout un système d’éducation autonome.
Les zapatistes ont construit dans tous les villages des écoles primaires autonomes qui ne sont donc pas les écoles qui dépendent de l’éducation publique au Mexique. Des écoles secondaires ont aussi été créées. On trouve également un système de santé avec des maisons de santé dans les villages et des cliniques au niveau régional.
[mauve fonce]les travaux collectifs permettent de faire fonctionner ces services[/mauve fonce]
Il y a là des zapatistes qui ont en charge ces instances et se sont petit à petit formés dans ces différents domaines de la santé et de l’éducation. Ils exercent ces charges sans salaire. Ils peuvent éventuellement continuer à cultiver leur propre terre mais ils n’en ont pas toujours le temps. Les communautés les aident, prennent en charge un certain nombre de besoins. Des formes de travail collectif permettent d’avoir des rentrées financières en vendant des produits à l’extérieur et donc de pouvoir acheter les médicaments ou le matériel médical nécessaire.
C’est sous la forme d’une participation à ces travaux collectifs que l’ensemble de la population permet le fonctionnement de ces systèmes de santé, d’éducation, de justice qui ne coûtent pas très cher puisque ce sont des gens qui rendent ces services à la collectivité de manière rotative, sur des temps relativement courts et en continuant par ailleurs leur vie de membre ordinaire des communautés villageoises zapatistes.
Pour retrouver l’entretien dans son intégralité,
écoutez la deuxième partie de l’émission radiophonique
de « Vacarme en réunion » : [bleu violet]« Du Chiapas aux Lentillères »[/bleu violet].
Source : [bleu violet]Rebellyon.info[/bleu violet]
1er juin 2017