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« Une politique d’État génocidaire » au Chiapas

mardi 22 mars 2005, par Dial

Il y a sept ans le massacre de 45 indigènes tzotziles du village d’Acteal était perpétré par des paramilitaires au Chiapas (cf. Dial 2195 et 2268). Cet événement d’une particulière sauvagerie eut un énorme retentissement. Malgré les pressions considérables d’organismes défenseurs des droits humains, la justice n’a toujours pas fait son travail de façon satisfaisante. Aujourd’hui, le Chiapas est toujours militarisé et la présence des groupes paramilitaires est toujours effective. Le Centre des droits humains Fray Bartolomé de Las Casas, domicilié à San Cristóbal de Las Casas, Chiapas, vient de publier un rapport : « La politique génocidaire dans le conflit armé au Chiapas », dont nous publions ci-dessous le résumé officiel. Le texte du rapport peut être consulté sur le site FrayBa.org.

Mexique. La politique génocidaire dans le conflit armé au Chiapas.
Reconstitution des faits, preuves, délits, témoignages.

Le 22 décembre 1997, il y a sept ans, au village d’Acteal, proche de San Pedro Chenalhó, furent massacrés 45 indigènes tzotziles qui s’étaient rassemblés dans une chapelle, après trois jours de jeûne et de prières pour la paix. 19 femmes, 8 hommes, 14 fillettes, 4 garçons et 4 bébés dans le ventre de leurs mères furent brutalement assassinés, ainsi que 25 personnes blessées par un groupe d’hommes portant des armes de gros calibres à balles « explosives » utilisées exclusivement par l’armée mexicaine.

L’attaque a duré plus de sept heures, sans que les policiers de la sécurité publique en poste à 200 mètres à peine ne leur viennent en aide, bien que le Centre de droits humains Fray Bartolomé de Las Casas ait averti le secrétariat du gouvernement de l’État du Chiapas sur ce qui se passait en ce jour du 22 décembre.

Le Centre des droits humains a fait un suivi depuis février 1994 de la situation de violence. Le solde des actions paramilitaires à Chenalhó ce 22 décembre 1997 fut de 6 332 personnes déplacées, avec perte de leurs biens et incendie de leurs maisons, 62 morts de manière violente et 42 blessés, sans compter les personnes détenues et torturées par ce même groupe. Le groupe responsable de toutes ces actions était affilié au PRI [Parti révolutionnaire institutionnel], agissait avec un armement utilisé exclusivement par l’armée, des uniformes en provenance de l’armée ou de la sécurité publique, sous leur protection, et soutenu par la présidence municipale de San Pedro Chenalhó. De manière similaire dans la région chol, Zone Nord de l’État, entre 1995 et 2000 le groupe paramilitaire « Paix et Justice » a harcelé la population avec l’appui de l’armée et de la sécurité publique. Le bilan est de plus de 3 000 personnes déplacées et des dizaines de personnes disparues et exécutées parmi lesquelles 122 ont été identifiées (85 personnes exécutées et 37 disparues) par le Centre de droits humains.

Cette brutale offensive contre la population civile, en totalité indigène, s’est inscrite dans un contexte de guerre irrégulière préparée par le secrétaire de la Défense nationale, conçue par le général de division Miguel Angel Godinez Bravo, ordonnée par le président d’alors, Ernesto Zedillo, le 9 février 1995 et exécutée par le général de division Mario Renan Castillo. Dans ce contexte, les actions paramilitaires furent et ont continué d’être, de manière latente, la stratégie clé du plan de campagne de l’armée au Chiapas, pour « priver d’eau le poisson » [1].

Les preuves nous ont démontré de manière claire et accablante la stratégie de harcèlement de la population civile, où divers groupes paramilitaires liés aux autorités municipales, de l’État du Chiapas et fédérales en incluant l’armée mexicaine, ont été l’instrument avec lequel on a essayé d’en finir avec ce que l’armée appelait dans son plan de campagne « l’organisation de masse » [2].

Une lecture des événements de ces deux zones, faite à partir des documents de la Sedena [secrétariat de la Défense nationale] et, de manière récente, à partir des témoignages d’un commandant de « Paix et Justice » [3], qui confirme les liens entre ces différents groupes, avec l’armée et les gouvernements fédéral et local, sont des preuves évidentes de la mise en œuvre d’une politique d’État génocidaire et de lèse-humanité.

En accord avec la définition de délits de lèse-humanité du tribunal de Nuremberg, le président Ernesto Zedillo (1994-2000), le général Enrique Cervantes Aguirre (secrétaire de la Défense nationale de 1994 à 2000) et le général Mario Renan Castillo (commandant de la VIIe région militaire de 1995 à 1997) sont au premier chef responsables d’avoir commis des attaques généralisées et systématiques contre la population civile. Celles-ci consistent en des assassinats, des déplacements forcés de population (dans la zone haute et nord ont été déplacées approximativement 10 000 personnes sur un total de 12 000 dans l’État du Chiapas), des privations graves de liberté physique, des actes de torture, la persécution d’une collectivité dont l’identité propre est fondée sur des motifs politiques (en opposition au PRI), ethniques (toutes les victimes sont des autochtones) et religieux (membres actifs du diocèse de San Cristóbal de Las Casas), en plus des disparitions forcées de personnes, par le biais de la création, du financement, de l’entraînement et de la complicité de groupes paramilitaires. L’État mexicain a violé le droit à la vie, à l’intégrité physique, à la liberté personnelle, à l’honneur et à la dignité, aux droits des enfants, au droit de propriété, au droit de circulation et de résidence, ainsi qu’au droit à la justice.

Ni l’administration zédilliste ni celle de Fox n’ont entrepris de véritables enquêtes sur ces agissements. Le peu de cas objets de procédure sont des procès pour responsabilités individuelles, y compris le massacre d’Acteal. On a omis d’enquêter sur les hauts fonctionnaires des gouvernements fédéral et local, et particulièrement sur l’armée.

Le procureur a essayé de tromper l’opinion publique sur les véritables motifs, en arguant qu’il s’agissait d’un problème religieux, intracommunautaire et même d’us et coutumes. Pour cela, ils ont utilisé les lacunes de la loi comme stratégie pour occulter la vérité. Nous devons nous rappeler que ce fut le général Macedo de la Concha en sa qualité de procureur général de la République, qui, en 2001 supprima l’Unité spéciale d’enquête sur les supposés groupes civils armés de la PGR [Procuraduria General de la Republica, correspondant au ministère public de la République].

Le conflit n’est toujours pas terminé, le territoire indigène du Chiapas est toujours militarisé, la présence des groupes paramilitaires persiste, et les conditions politiques pour leur reconstitution se renforcent dangereusement.

Pour le Centre des droits humains Fray Bartolomé de Las Casas, la justice ne doit pas se faire attendre parce que c’est précisément l’impunité qui a fomenté ce cercle de mort contre les peuples indigènes du Chiapas.

Le Centre des droits humains Fray Bartolomé de Las Casas exige de l’État mexicain :

1. Que les responsables intellectuels et matériels des délits de lèse-humanité dirigés contre la population civile soient sanctionnés, en accord avec les statuts du tribunal de Nuremberg ;
2. Que les groupes paramilitaires soient désarmés et dissous ;
3. Que le territoire du Chiapas soit démilitarisé ;
4. Que les victimes des déplacements forcés, des assassinats, des disparitions et de la torture soient dédommagées.

Dial n° 2788,
du 1er au 15 mars 2005.
Traduction Dial,
Diffusion de l’information
sur l’Amérique latine,
38, rue du Doyenné,
69005 Lyon

Site : dial-infos.org.

Notes

[1Voir « Plan de campagne du Chiapas 94 », reproduit dans la revue Proceso n° 1105, 4 janvier 1998. Article de Carlos Marin « Plan de l’armée au Chiapas, depuis 1994 : créer des bandes paramilitaires, déplacer la population, détruire les bases d’appui de l’EZLN... »

[2« Plan de campagne Chiapas 94 ». « L’organisation de masse » au nombre de 200 000 personnes, le quart de la population indigène de l’État du Chiapas.

[3Récemment nous avons obtenu des informations d’un commandant de « Paix et Justice » qui corroborent les témoignages des victimes et des témoins et la documentation de notre Centre de droits humains.

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