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Salut à toutes et tous d’Oaxaca, le 12 décembre 2006

mardi 12 décembre 2006, par Manu

Salutation à vous toutes et à vous tous,

Tout d’abord, un petit mot rapide pour apporter une correction importante à mon courrier précédent : le Comité du 25 de Noviembre ne fait pas de distinction entre les prisonniers qui auraient ou non commis des actes de vandalisme ou auraient ou non agressé les flics de la PFP, comme je l’affirmais. À ma décharge, je dois dire que je n’ai fait que rapporter les propos inconsidérés d’un des membres du Comité qui l’assurait à La Jornada. Après vérification auprès des intéressés, il est important et urgent d’apporter cette rectification.

Hier (lundi), nous sommes allés rendre visite aux instituteurs du CMPIO qui ont neuf des leurs enfermés à Nayarit. Il y avait là présentes quelques familles des détenus qui revenaient justement de Nayarit après avoir pu enfin visiter les membres de leurs parentés embastillés. Elles nous ont relaté comment elles ont décidé de faire ce voyage de dix-huit heures qui leur a coûté 800 pesos dès qu’elles ont appris que leurs proches avaient été transférés, elles nous ont raconté les jours d’attente, l’angoisse, la difficulté d’obtenir ce droit de visite [1], la nécessité de frais supplémentaires (puisque les autorités pénitentiaires exigent que les visiteurs soient habillés de vêtements de couleurs spécifiques qui ne se confondent pas avec les uniformes des prisonniers), l’humiliation des fouilles (neuf au total) tout au long du processus pour s’approcher du parloir, les photos de face, de profil et de dos, les machines où l’on présente ses mains qui sont censées détecter des traces de drogue (l’épouse d’un des détenus s’est fait recaler à ce stade, la machine ayant décelée des traces d’héroïne et de cocaïne). Finalement, après avoir poireauter trois heures à l’entrée du centre pénitentiaire puis encore trois autres heures à se prêter aux singeries et aux vexations de l’administration, en fin de journée, certaines d’entre elles ont pu avoir ce premier contact tant attendu (depuis leur arrestation le 25 novembre) avec leur parent. À travers une vitre, avec un maton derrière le visiteur et un autre derrière le prisonnier ils ont pu ainsi discuter une demi-heure et pas une minute de plus. Les cheveux ras (hommes comme femmes) et leurs corps portant encore les stigmates des coups reçus, ils ont raconté les conditions dans lesquelles ils ont été appréhendés, leur transfert jusqu’à Nayarit et les conditions de détention dans ce centre de moyenne sécurité.

Les prisonniers, depuis leur arrivée, sont sous surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre afin de déterminer leur degré de dangerosité (ce qui durera au moins un mois et demi). À trois par cellule pour les hommes, à deux ou seule pour les femmes, il leur est interdit de converser entre eux (la nuit, quand la surveillance se relâche quelque peu, ils murmurent pour communiquer), ils n’ont pas le droit d’avoir d’objets personnels, ni livre, ni revue, ni papier, ni crayon...

Le père de Yenny Aracely Sanchez (dix-neuf ans, promotrice d’éducation indigène) nous a rapporté que sa fille a été serrée ainsi que quatre de ses compagnons le 25 novembre vers 20 heures par des éléments de la PFP alors qu’ils étaient en train d’attendre un de leurs amis à une station de bus en dehors du centre-ville. Tabassée et menacée d’être violée, elle a été conduite à la prison de Mihuatlan, de là, le lendemain, elle a pu prévenir sa famille de sa détention avant d’être transférée le lundi à Nayarit. Durant le transfert en hélicoptère, les détenus ont été menacés d’être balancés dans le vide. Elle porte encore les marques des coups de matraque sur les bras et sur les jambes.

L’épouse de Joel Zaraga Carrera (trente-deux ans, père de cinq enfants, instituteur du CMPIO) nous a raconté que son mari a été arrêté dans le centre-ville le 25 novembre. Il a été sauvagement matraqué et tabassé bien plus que d’autres, car il s’est montré « bravo » (vaillant) face aux cognes, insulté et menacé. Il a révélé que c’est le pire de ce qu’il a vécu jusqu’à présent. Détenu à Tlacolula avant d’être transféré le lundi avec les autres à Nayarit. Il est resté sans soin et exhibe sur tout le corps les traces des coups reçus. Sa femme est inquiète car il est déprimé et désespéré.

La compagne de Fortunato Morales (trente-trois ans, père de famille, instituteur du CMPIO) nous a exposé que son mari a été appréhendé le 25 novembre dans le centre-ville alors qu’il portait secours à son frère. Aveuglé par le gaz lacrymogène, il s’est fait tabasser tandis qu’il cherchait à se protéger des brutalités policières. Il présente des marques de coups sur toutes les parties du corps et une profonde plaie sur le côté droit du crâne. Détenu à Tlacolula dans un premier temps, il a été transféré le lundi, les yeux bandés, jusqu’à Nayarit.

La conjointe d’Eloy Morales Pastelia (vingt-sept ans, instituteur du CMPIO et frère de Fortunato) nous a narré l’arrestation de son époux le 25 novembre alors que celui-ci était à terre, atteint par une grenade lacrymogène. Brutalement frappé et matraqué par la PFP, il a été conduit à Tlacolula puis à Nayarit le lundi. Comme les autres, il montre des ecchymoses sur tout le corps. Blessé à l’œil et au genou, il est resté sans soin durant tout ce temps. En prison, les deux frères n’ont pas de contact entre eux.

Le père de Rosalba Aguilar Sanchez (vingt ans, institutrice du CMPIO) nous a affirmé que sa fille a été appréhendée vers 20 heures en dehors du centre-ville le 25 novembre, puis transférée à Nayarit. Elle dévoile des contusions et une blessure à la tête.

Il faut savoir que, parmi les familles qui ont fait le déplacement à Nayarit, toutes n’ont pas pu visiter leur parent. Les plus atteints physiquement par la répression restent au secret. À Nayarit, le plantón de protestation composé des familles des détenus devient de plus en plus important et compte maintenant une centaine de personnes.

En compagnie des familles, nous sommes allés rencontrer l’avocat qui s’occupe de la défense des maîtres indigènes détenus. Celui-ci a fait le voyage jusqu’à Nayarit pour rencontrer ses clients, mais les autorités pénitentiaires lui ont refusé l’accès. Il nous a exposé ses deux stratégies d’actions pour obtenir la libération des prisonniers, la juridiction de droit commun ou la juridiction de droit fédéral. Dans le premier cas, le fuero común, il mettrait en évidence l’absence de preuve et de témoin pour parvenir à l’appellation et ainsi obtenir la libération des détenus. Dans le second cas, le fuero federal, il mettrait en évidence la violation des droits humains pour obtenir la libération. Le premier cas présente l’avantage d’être la voie la plus rapide pour obtenir la libération mais un gros désavantage puisqu’il impliquerait une négociation avec le gouvernement d’Ulises Ruiz, donc une reconnaissance de l’autorité du tyran. Le second cas, la voie la plus longue (plus ou moins un mois et demi), présenterait l’avantage de mettre en évidence les irrégularités du processus juridique et en même temps d’apporter la preuve et de dénoncer les violations des garanties individuelles et des droits humains.

Dans le post-scriptum, je vous transmets deux numéros de compte.

À bientôt,

M., Oaxaca, le 12 décembre 2006.

P.-S.

Si vous voulez soutenir en contribuant financièrement les familles des détenus, je communique deux numéros de compte :

Pour le CMPIO :
au nom de Maximo Morales Gonzàlez ou Beatriz Gutiérrez Luis
Calle Paraiso #723 Colonia del Bosque, Santa Lucia del Camino
CP 68000 Oaxaca
numéro de compte : 60-52322008-3
numéro de SWIFT
Banque : Santander Serfin 5358 Sucursal Abastos Oaxaca
Calzada Fco. I. Madero # 539 colonia Centro Oaxaca CP : 68000
(il manque le numéro de SWIFT qui vous sera prochainement communiqué)

Pour le Comité de familles de détenus et de disparus d’Oaxaca (COFADAPPO) :
au nom de Deysi Santiago Hernàndez, numéro de compte : 120-7895381,
numéro de SWIF : BNMXMXMM
Banque : Sucursal 120 de Banamex
Calle Hidalgo # 821 Colonia Centro CP 68000 Oaxaca

Notes

[1Pour obtenir le droit de visite, les familles doivent fournir :
l’acte de naissance original du détenu et deux copies simples ; l’acte de naissance original du visiteur et deux copies certifiées auprès d’un notaire ; l’acte de mariage original et deux copies certifiées devant notaire ; en cas de concubinage, il est nécessaire de présenter la preuve de concubinage d’un juge de famille ; une preuve de domiciliation (une facture récente) qui coïncide avec le domicile de la carte d’électeur et qu’elle soit au nom de la personne qui fait la demande du droit de visite. Dans le cas contraire, il faut annexer la preuve de l’identité du titulaire, ou la preuve de résidence original et deux copies simples ; une pièce d’identité avec photo en cours de validité et deux copies simples ; trois lettres de références personnelles qui ne soient pas de la même famille ni de ses chefs de travail, qui signalent le nom de la personne, son domicile, son téléphone, son travail, et depuis combien de temps ils se connaissent, originales avec ses deux copies ; et trois photos d’identité de taille infantile en couleur et sur fond blanc... Voilà c’est tout, c’est pas simple mais c’est original...

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