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Face au pillage capitaliste, la défense de la terre et du territoire

Questions et réponses en guise de chemins

Commission Sexta

jeudi 2 août 2007, par commandant Tacho, SCI Marcos, SCI Moisés

Paroles prononcées par la Commission Sexta lors du séminaire
« Face au pillage capitaliste, la défense de la terre et du territoire »,
le 19 juillet 2007, au Cideci de San Cristóbal de Las Casas,
État du Chiapas, Mexique.

Paroles du commandant Tacho

Compañeros et compañeras, vous tous et vous toutes qui êtes réunis aujourd’hui en ces lieux pour discuter de choses importantes pour nos peuples et pour nos communautés indigènes et paysannes du Mexique et d’autres pays du monde.

Au nom de nos compañeros et compañeras des bases de soutien, des femmes et des hommes, des anciens, des enfants et des jeunes, des troupes d’insurgés et d’insurgées, des forces mexicaines des milices, de nos compañeros et compañeras chefs militaires et des compañeros et compañeras de la direction politique de l’EZLN, des conseils régionaux et du Comité clandestin révolutionnaire indigène et de la Commission Sexta Commandement général de l’EZLN, nous nous permettons de prendre la parole, avec votre permission à tous et à toutes, compañeras et compañeros représentant des organisations paysannes, des indigènes du Brésil, du MST, du mouvement paysan de Corée, du mouvement paysan de Madagascar, du mouvement paysan des États-Unis, de Via Campesina en Afrique, en Amérique, en Asie et en Europe.

Sachez que c’est pour nous un honneur de vous avoir avec nous aujourd’hui.

Nous nous sommes réunis pour faire connaissance et nous dire comment nous luttons, comment nous résistons là où nous vivons. Soyez les bienvenus frères et sœurs, tous ceux et toutes celles réunis ici aujourd’hui.

Avec votre permission, compañeros,

Le thème que je vais aborder est celui de la terre et du territoire. Pour nous, les indigènes zapatistes, la lutte pour la terre et pour le territoire a été et continue d’être d’une importance capitale car cela constitue le fondement même de nos peuples, qui vivent sur ces terres depuis cinq cent quinze ans.

La lutte pour la terre et pour le territoire est indispensable. C’est ainsi que, dès le soulèvement armé de 1910 dont Emiliano Zapata, chef de l’Armée libératrice du Sud, avait pris la tête, cette lutte a existé pour défendre notre terre-mère et notre territoire. Dès cet instant, nous avons emprunté le chemin de la lutte pour notre terre et nous ne lassons pas de nous battre pour la terre-mère, sachant que la terre appartient à ceux qui la travaillent.

L’histoire de nos peuples indigènes et paysans est indissolublement liée à ces territoires, dans lesquels elle plonge ses profondes racines, nous communiquons avec eux par la terre-mère. C’est en elle que nous produisons nos aliments pour vivre, que nous naissons, que nous grandissons, que nous nous multiplions et que nous cohabitons avec les montagnes, les rivières et l’air, avec la vie même de la nature, les mers et les sources, comme aussi tous les être vivants qui ont le droit de vivre, comme aussi les ressources des profondeurs du sol.

Nous, les indigènes, les paysans, nous prenons soin de notre terre-mère, que nous chérissons de tout cœur. Nous en avons donné la preuve durant des siècles.

Jamais, au cours de l’histoire de l’humanité, les peuples indigènes et paysans n’ont causé de grave préjudice à la terre-mère. Jamais.

La terre, nous la travaillons pour nous nourrir, mais en nous prenons grand soin. Nous, les indigènes et les paysans, jamais nous n’avons arraché des milliers ou des millions de mètres cubes de terre pour les vendre contre de l’argent, comme si c’était une marchandise.

Les capitalistes du Mexique ou d’autres pays, eux oui, ils vont en finir avec elle, ils finiront par la tuer, ils vont laisser la terre-mère stérile si nous les laissons faire.

Ils vont tuer cette terre dont nous avons pris soin pendant des siècles, ils vont tuer des valeurs millénaires alors que nous savons bien que nous dépendons d’elle. C’est notre vie, sans elle nous ne pouvons vivre.

C’est pour cette raison que, nous, les femmes et les hommes zapatistes, nous disons que la terre est à nous, qu’elle nous appartient, depuis des siècles. C’est là que sont nés nos ancêtres et qu’ils y sont morts. C’est en elle que reposent leurs dépouilles, leur histoire et notre mémoire.

C’est aussi pour cela que les peuples indigènes zapatistes remercient les compañeros et compañeras qui ont fondé notre chère organisation à laquelle appartiennent tous les peuples et communautés zapatistes.

Nous continuons d’avoir envie de travailler, de nous organiser et de lutter, et d’autres compañeros de la campagne et de la ville nous ont rejoints dans l’Autre Campagne et au niveau mondial dans la Sexta internationale.

Nous voulons vous dire que, grâce à ce mouvement que nous avons lancé, nous avons découvert que partout au Mexique et dans le monde existent la même souffrance et les mêmes carences dues à la spoliation causée par le capitalisme et par le néolibéralisme, qui veulent nous soumettre à leur domination et nous forcer à être leurs esclaves sur nos propres terres et sous le ciel que nous partageons tous.

Il faut donc que nous nous demandions si nous allons les laisser faire et les laisser poursuivre en toute liberté leurs plans visant à l’extermination de nos peuples. Et si nous les laissons faire, qu’en sera-t-il de nous ? Et quelle vie aurons-nous là où ils veulent nous conduire ?

Nous, nous pensons que personne ne va nous apporter une réponse à ces questions et que c’est à nous d’y répondre par nous-mêmes.

Ces bandits, ces malfaiteurs barbares poursuivent leur plan d’extermination des peuples originels de cette terre et de ce territoire. En répondant correctement à ces questions, nous saurons quoi faire dès aujourd’hui.

Aujourd’hui plus que jamais, il faut agir dans la pratique. Alors, tous et toutes, disons ¡Ya basta ! Il y en a assez de tout le mal qu’ils ont fait à nos peuples, au Mexique et partout ailleurs.

Nous devons lutter ensemble, unis dans une seule parole.

Nous, les zapatistes, on ne nous a pas laissé d’autre choix que celui de prendre le chemin des armes, à l’aube du 1er janvier 1994, pour affronter le mauvais gouvernement, les grands propriétaires terriens et l’armée fédérale ainsi que les différentes forces de police de ce pays.

Avant 1994, les indigènes zapatistes n’avaient aucun droit à la liberté, à la démocratie et à la justice. Cinq siècles durant, nous avons subi toutes les injustices, tous les abus de la part des grands propriétaires.

En plus des injustices commises à notre encontre, on nous maintenait divisés, sans droit de réunion, sans pouvoir nous organiser. Leur objectif était de nous maintenir séparés, sous leur contrôle, non pas dans une communauté mais affermés dans la propriété du patron. On nous refusait tout droit à travailler pour nos propres familles et, pour nous faire taire, on nous astreignait à de durs travaux, de 6 heures du matin à 6 heures du soir, contre un misérable salaire de 2 pesos.

À coup de travaux forcés, les indigènes étaient totalement soumis, sous les ordres des patrons et pour leur seul bien-être, pour assurer leurs grands bénéfices et leur développement matériel, forcés de s’occuper de tout. Des parcs à chevaux, des pâturages, des clôtures, des enclos, des champs des patrons, de la maison des patrons, de la tenue de leur maison et de leurs animaux, de leurs chiens, de leurs poules, de leurs chevaux et de leurs porcs.

Tous ces travaux, les indigènes ont dû les accomplir dans des conditions humiliantes et c’est de cette façon que les grands propriétaires terriens ont obtenu ce qu’ils voulaient : s’emparer de grandes étendues de terre et s’approprier les richesses naturelles, l’eau, les bois nobles et autres, les rivières, les sources et les lacs. Ils en arrivèrent pratiquement à contrôler un territoire, aux dépens des indigènes qui vivaient affermés dans leurs propriétés, jusqu’à ce qu’ils cessent d’être affermés, leurs conditions de vie ne faisant alors qu’empirer pour les plonger dans la plus extrême pauvreté. Sans aucune sorte de conditions sanitaires, nous mourions de maladie que l’on sait soigner. Sans éducation, la plus grande partie de nos peuples n’ont jamais appris ni à lire ni à écrire.

Il n’y avait pas de route pour rejoindre la ville. L’aller et retour représentaient parfois neuf jours de marche, et si c’était pour aller chercher des médicaments, on trouvait souvent le malade mort à notre retour.

Les grands propriétaires coupaient des milliers et des milliers de stères de bois, et à l’époque, le gouverneur Belisario Domínguez et sa clique régnaient en maîtres sur de grandes extensions de terre qui sont passées à Matias Castellanos, puis de père en fils, des milliers d’arbres étant abattus. Nous avons vu la zone exploitée et on peut encore en voir les conséquences en allant au Caracol de La Realidad quand on passe par Las Margaritas, avant l’ejido Chiapas et jusqu’à l’ejido Nuevo Momon, tout le vallon encaissé a été exploité, et d’ailleurs une troisième fois quand il y avait Absalón Castellanos et Ernesto Castellanos, c’est-à-dire jusqu’à la fin 1987.

C’est comme ça qu’ils procédaient. Comme à El Medellín, où les terres ont été vendues contre de grandes sommes d’argent, avec le soutien du mauvais gouvernement et par l’intermédiaire des banques.

Plus loin, passé La Realidad, ils ont fait pareil dans la grande propriété La Peterna, qui appartenait à José Villatoro avant de passer aux mains d’Antonio Villatoro et qui a été vendue à un certain Efrén, qui venait du nord du pays.

Ils ont procédé comme ça dans notre région, avec ces énormes étendues de terre que possédaient les grands propriétaires. Ça s’est passé comme ça avec la propriété Las Delicias et puis avec El Rosario, El Edén, La Victoria, El Recreo, Campo Grande, San Lorenzo, San Antonio, Santa Rita et Santa Isabel...

Chacune de ces propriétés occupait au minimum 3 000 hectares, certaines bien plus, pour avoir une idée des grandes étendues que possédaient ces messieurs. Aujourd’hui, la propriété de San Quintín, par exemple, qui appartenait à la famille Bulmes, est occupée par dix communautés indigènes, pour vous donner une idée de ce que cela représente.

C’est de cette façon que des milliers et des millions d’arbres et de stères de bois ont été coupés, qui sont sans doute allés renflouer les caisses de grandes compagnies mexicaines ou étrangères.

Se prétendant propriétaires des terres fertiles et des ressources naturelles, ces messieurs nous ont spoliés en nous trompant, utilisant tous les subterfuges pour légaliser leurs expropriations avec la complicité des institutions et des mauvais gouvernants.

C’est à la même époque qu’est arrivée une grande compagnie connue sous le nom de Monteros, qui se consacrait à l’abattage de bois précieux comme le cèdre et l’acajou. C’est comme ça qu’ils ont exploité la richesse de notre territoire.

Quand nous disons que les exploiteurs qui sont arrivés dans ces terres sont des étrangers, c’est aussi parce qu’ils sont les héritiers et les descendants de conquistadores comme Christophe Colomb ou Hernán Cortés.

Une autre compagnie forestière est venue exploiter et saccager notre écosystème pour extraire la résine d’un arbre qu’on appelle le chicle, le sapotier : elle a exploité cette résine, le chiclé, en un seul coup, une fois tout récolté le patron de la compagnie est venu chercher ce qui avait été exploité. On a utilisé les indigènes et les paysans pour faire le travail sans se préoccuper des risques de maladies et de fractures que cela impliquait.

On ne savait pas grand-chose de ces maladies à l’époque, comme celle qu’on appelle la chiclera, par exemple, qui était considérée comme une maladie incurable.

Tous ces gens dont nous avons mentionné les méfaits et la destruction des ressources naturelles, nous les considérons comme des voleurs pétris d’ambition, des saccageurs, des exploiteurs de la force de travail, des racistes qui ont spolié et chassés les gens de chez eux.

Le délit commis par tous ces messieurs est très grave aux yeux des peuples indigènes du Mexique, on peut dire qu’ils sont coupables de crimes contre notre terre-mère.

Jamais les terres de cette région n’ont été remises [1] aux indigènes et aux paysans. À l’époque, de nombreuses luttes pacifiques ont été menées pour pouvoir travailler ces terres, mais elles n’ont eu pour toute réponse que l’assassinat, la prison, l’expulsion, la disparition forcée et la menace.

Face à l’oubli dans lequel nous tenaient les mauvais gouvernements, toutes les organisations paysannes étaient dispersées, chacune se battant pour ses propres intérêts, et comme toujours nous étions divisés.

Nous devons admettre que les seules personnes que préoccupaient toutes ces injustices étaient les membres du diocèse de San Cristóbal de Las Casas, que dirigeait à l’époque Samuel Ruiz García, et tous les prêtres et toutes les bonnes sœurs et les frères et les sœurs qui étaient employés par l’Église en tant que civils, comme nous le disons, nous. Mais nos souffrances n’avaient pas de cure et ne faisaient qu’augmenter.

Quelque chose est pourtant sorti de tout ça.
C’est tout, merci.

Je cède la parole au compañero lieutenant-colonel Moisés.

Paroles du lieutenant-colonel insurgé Moisés

La terre-mère où vivent aujourd’hui nos compañeras et nos compañeros est leur propriété car nous l’avons reprise. Nous avons en effet découvert qu’une manière de commencer à détruire les capitalistes, c’est d’être propriétaires de notre lieu de travail, parce que le capitalisme fonctionne comme ça. Que l’on travaille dans des grandes propriétés ou à l’usine, les bénéfices ne reviennent pas au peuple travailleur. Dans la pratique que nous avons adoptée, nous apprenons toujours plus comment attaquer le système capitaliste.

Vous pourrez vous en rendre compte à travers la Deuxième Rencontre des peuples zapatistes et des peuples du monde qui a lieu ces jours-ci. Les compañeras et les compañeros ont beaucoup de choses à raconter sur leur expérience, parce qu’aujourd’hui LA TERRE, leur moyen de production, est entre leurs mains. C’est sur elle que repose toute leur existence, de la même façon que c’est sur les moyens de production que repose l’exploitation pour le capitalisme.

Après que nos compañeras et compañeros des peuples zapatistes sont devenus propriétaires de leur moyen de production, la terre, ils n’ont pas attendu longtemps avant d’avoir construit d’autres choses pour le bien de leur peuple. Par exemple, les écoles autonomes zapatistes, les cliniques zapatistes, les magasins d’achat et de vente de leur propre production.

Quand les compañeras et les compañeros zapatistes se sont saisis de leur moyen de production, c’est-à-dire la terre, ils ont commencé à la travailler de façon communale, locale, régionale et municipale, autrement dit collectivement, en sociétés et en coopératives.

Ce fut possible grâce à la récupération, à la reprise de terres, sans quoi nous n’en serions pas là où nous en sommes. Pour nous tous et nous toutes, les zapatistes, il est évident que le fait d’être devenus propriétaires de ces terres a été déterminant pour attaquer le capitalisme, même s’il reste bien d’autres choses à faire encore. Mais au moins nous savons où diriger nos pas.

Quand vous irez au Caracol de La Realidad, les compañeras et les compañeros zapatistes vous expliqueront par exemple pourquoi nous avons pensé à organiser nous-mêmes le commerce. Tout simplement parce le capitalisme nous achète à vil prix notre production et nous vend très cher les produits, sans compter les coyotes et autres intermédiaires qui se remplissent les poches. Alors, nous nous sommes dit qu’il valait mieux organiser des magasins pour nous acheter à nous-mêmes à un bon prix et pour le vendre pareil, à tout le monde, aux zapatistes et aux non-zapatistes.

Nous nous sommes aussi aperçus qu’avec ce que nous vendions nous ne pouvions pas acheter les médicaments, qui sont tellement chers. Alors, nous avons pensé à monter des cliniques municipales et à former ce que nous appelons des promoteurs de santé. Nous nous sommes aussi rendu compte que nos ancêtres n’utilisaient pas de pilules, de pastilles et d’ampoules et qu’ils avaient quand même survécu. Alors, nous avons pensé à renouer avec la sagesse de nos anciens et de nos anciennes, avec les plantes médicinales, avec les savoir-faire des sages-femmes et des accoucheurs, des chiropracteurs et des chiropraticiennes. Et maintenant que nous nous sommes aperçus que les plantes ne parviennent pas à combattre certaines maladies graves, nous pensons aussi renforcer les cliniques et les hôpitaux qu’il y a là-bas avec encore plus de promoteurs et de promotrices de santé.

Un autre problème qui se posait à nous, c’était que pour recevoir une formation il y a besoin de savoir lire et écrire. Alors, nous avons formé des promoteurs d’éducation et en même temps des formateurs pour les former. Avant, il y avait des écoles, mais elles n’enseignaient pas dans le but de servir au bien et elles ne fonctionnaient pas. Maintenant si, elles fonctionnent.

Et bien d’autres choses encore que vous raconteront nos compañeras et compañeros quand vous irez dans nos Caracoles.

Avant, il n’y avait rien de tout cela, mais quand nous avons vu que maintenant nous étions maîtres des terres qui appartenaient auparavant aux riches et au mauvais gouvernement, nous nous sommes dit que nous pourrions aussi nous rendre maîtres des autres choses qui nous manquaient et nous nous sommes attelés à la tâche. En vous racontant ça comme je le fais maintenant, on pourrait croire que c’est facile, mais non, ça représente beaucoup d’efforts de s’y mettre et de tout organiser, mais c’est possible. Voilà un exemple de quelque chose qu’il n’y avait pas avant et qui existe maintenant, dans les faits et dans la pratique.

Alors, allez-y compañeros et compañeras, vous qui savez un peu plus lire et écrire et qui savez parler la castilla, l’espagnol, pour comprendre la situation dans laquelle nous maintient le système capitaliste.

Tout ce que nous faisons aujourd’hui, que nous le faisions bien ou mal, en tout cas c’est nous qui en décidons. Ce ne sont plus les patrons, nous les avons envoyés paître. Voilà le changement que nous avons obtenu et en retour c’est ce qui donne de la force à nos gouvernements autonomes, qui appartiennent aux compañeros et aux compañeras. Si nous n’avions pas pris en main ce moyen de production qu’est la terre, les communes autonomes ne fonctionneraient pas, elles ne seraient que des paroles en l’air.

Voilà le changement que nous proposons pour ce pays, le Mexique. Nous pensons en effet que pour attaquer le capitalisme il faut prendre en main les moyens de production, qu’ils soient saisis par ceux et celles qui les travaillent et que ce soient eux et elles, les travailleurs et les travailleuses, qui décident comment les employer, et que les gains reviennent au peuple travailleur.

Nous avons pris conscience de tout cela le jour où nous avons repris la terre des patrons mal nommés, des grands propriétaires terriens ou latifundistes. Nous les avons vaincus, avec notre lutte du 1er janvier 1994, une histoire que vous connaissez déjà.

Nous pensons et nous croyons qu’il est évident que, pour être anticapitaliste, il faut s’emparer des moyens de production, des terres et des usines et qu’ils passent aux mains du peuple travailleur, que les moyens de production deviennent la propriété du peuple travailleur et qu’on en finisse avec les exploiteurs, avec les patrons, avec les capitalistes.

La lutte et la pratique dans le travail des champs de nos compañeros et de nos compañeras zapatistes des peuples zapatistes montrent comment on peut être anticapitaliste. Prendre, ôter, récupérer les moyens de production et s’organiser pour prendre des décisions et s’en servir pour gouverner, parce que sans ça c’est le néolibéralisme qui règnera en maître au Mexique et dans le monde.

Nous pensons et nous croyons que l’union avec les travailleurs des campagnes et des villes pour s’organiser avec la même idée, celle que c’est le peuple qui commande et qu’il faut se saisir des moyens de production, est la seule issue qui nous reste face à ce capitalisme sauvage qui domine aujourd’hui.

C’est une des caractéristiques de notre organisation, l’EZLN, et une des choses les plus importantes de la Sixième Déclaration de la forêt Lacandone, qui guide nos pas dans l’Autre Campagne et dans la Zezta internationale. À savoir : l’anticapitalisme.

Je cède la parole au Sup Marcos.

Intervention du sous-commandant insurgé Marcos

Questions et réponses en guise de chemins
(Devant une boîte.)

Le Sup reçoit des mains du lieutenant-colonel Moisés une boîte d’une boisson rafraîchissante au cola d’une marque bien connue, dont l’étiquette a été effacée. Il pose la boîte devant lui et explique :

Ceci est une boîte d’une boisson rafraîchissante bien connue dont on a ôté toute marque publicitaire permettant de l’identifier. Au début de l’année, à Oventik, au Chiapas, lors de la Première Rencontre des peuples zapatistes et des peuples du monde, un des participants s’est levé et, d’un geste théâtral, a posé sur la table plusieurs boîtes et bouteilles de cette marque, et a commencé à reprocher aux zapatistes de vendre ce produit dans les Caracoles, trouvant que c’était faire preuve d’une grave inconséquence. Les compañeros zapatistes présents ont gardé le silence. Après tout, n’avaient-ils pas convié les gens à parler, même si c’était pour asséner des reproches. Les personnes qui ont applaudi cette intervention n’ont cependant pas pensé à demander quelle marque de chaussures et de vêtements portait notre juge, juré et bourreau, ni comment et où il avait obtenu le véhicule moderne et très cher dont il était propriétaire et avec lequel il était venu pour juger et condamner, emballages à l’appui, la lutte zapatiste. Il fut applaudi et obtint son moment de gloire, qu’il prolongea ensuite à San Cristóbal, la panse bien remplie, avec ses comparses et ses clients.

Le silence des femmes et des hommes qui sont nos chefs était un geste de courtoisie, mais ne signifiait nullement que nous étions d’accord avec ce que cette personne a dit. Aujourd’hui, je vais dire avec des mots ce que disait le silence de mes compañeras et compañeros dirigeants, autorités de nos gouvernements autonomes et coordinateurs des nombreux efforts qui sont fournis en territoire zapatiste.

Devant cette boîte de boisson rafraîchissante, on peut adopter plusieurs positions. L’une est celle soutenue par le juge qui nous a rendu visite en cette occasion et qui a soulevé un tel enthousiasme et tant d’adhésions lucides auprès d’une frange de la société et des gens qui se rendent dans nos communautés. C’est la position de la consommation anticapitaliste, qui consiste à attaquer le capitalisme dans la consommation, c’est-à-dire à ne pas consommer certains produits bien précis. Une position valable, respectable et surtout bonne pour la santé.

Il existe une autre forme d’anticapitalisme, qui s’en prend au domaine de la circulation des marchandises. Il s’agit de ne pas acheter les produits dans les grands trusts commerciaux, mais de prôner et d’encourager le petit et moyen commerce, le commerce ambulant, les coopératives et les collectifs. Une position tout aussi valable, conséquente et respectable, et qui ne s’en prend pas seulement au grand capital mais bénéficie aussi à un secteur de personnes défavorisées.

Quant aux femmes ou aux hommes zapatistes, eux ou elles prennent cette boîte de boisson rafraîchissante et commencent à lui poser des questions. Je sais ce que vous allez me dire, les zapatistes ont la réputation d’être schizophréniques. Quand nous nous exprimons individuellement, par exemple, nous n’utilisons pas le « je », « moi », « avec moi », etc., mais nous employons la première personne du pluriel, le « nous ». Dans le cas qui nous occupe, cependant, il ne s’agit pas d’en être arrivé à établir un dialogue avec une boîte de boisson rafraîchissante, mais de quelque chose de bien plus simple. Il s’agit de demander à cette boîte qui l’a produite et qui l’a transportée.

Étant donné que la boîte en question s’obstine à ne rien dire, le ou la zapatiste se répond tout seul (un autre symptôme de schizophrénie, dirons certains ou certaines).

Cette boîte, se répond le ou la zapatiste, c’est un ouvrier ou une ouvrière qui l’a produite, dans une usine qui est la propriété d’un patron, et c’est un autre employé qui l’a transportée - un « chauffeurologue », diraient des compas de La Realidad en évoquant l’anecdote que le lieutenant-colonel Moisés avait racontée en une certaine occasion -, dans un camion qui est la propriété du même patron. Et alors cette ouvrière, cet ouvrier ou cet employé ou employée perçoit un salaire, mais ce n’est pas la seule chose qu’il reçoit avec cette boîte de boisson rafraîchissante. Quand il ou elle produit cette boîte, l’ouvrier ou l’ouvrière est exploité par un patron, qui leur dérobe leur travail et ne leur donne qu’une petite partie pour qu’ils essaient de survivre.

Que se passerait-il, demande le ou la zapatiste, s’il n’y avait pas de patron, si l’usine frigorifique et le camion de livraison étaient la propriété des travailleurs et des travailleuses, au même titre que les zapatistes sont propriétaires de la terre qu’ils travaillent ? Le ou la zapatiste se répond : « non seulement les travailleurs seraient mieux payés et vivraient mieux, mais ils seraient maîtres de leur destin et une foule de choses commenceraient à leur arriver, “la” problème - comme nous disons, nous - serait très important mais ce serait un autre problème, un problème plus meilleur bon, plus démocratique, plus libre, plus juste. »

La zapatiste et le zapatiste prennent alors une décision, qui consiste à tenter de s’unir avec cet ouvrier, cette ouvrière, ces employés, pour s’organiser et, ensemble, lutter pour arracher aux patrons la propriété des moyens de production, qu’il s’agisse de la production de boissons rafraîchissantes ou d’électricité ou d’automobiles ou de vêtements ou de chaussures ou de tout.

Pour y parvenir, les zapatistes disent leur pensée dans la Sixième Déclaration de la forêt Lacandone et affirment clairement : « la » problème du capitalisme, c’est qu’un petit nombre est propriétaire de tout et qu’un grand nombre ne possède rien, et que ça, ça doit changer, être renversé, subverti, « retourné ».

Autrement dit, les zapatistes décident d’être anticapitalistes en attaquant la propriété des moyens de production. La personne qui a jugé et condamné sans appel, et que les gens ont applaudi, ainsi que certains et certaines de ceux et de celles qui nous observent, nous écoutent et nous lisent, pensent que notre anticapitalisme n’est pas conséquent, que le leur est meilleur et plus visible, plus immédiat et, surtout, qu’il permet plus facilement de s’en vanter quand on parle d’être conséquent.

Nous nous contentons de dire que notre anticapitalisme est plus modeste : il vise le cœur du système. Les habitudes de consommation d’une société pourraient fort bien changer, de même que les formes et moyens qu’emploient les marchandises pour circuler, mais si la propriété des moyens pour produire ne change pas, si l’exploitation du travail n’est pas supprimée, le capitalisme restera debout et agissant.

Mais même ça, ça ne suffit pas.

Il y a quelques années de cela, avant les lois révolutionnaires et le début de notre guerre, il existait dans les communautés les plus reculées de la forêt une méthode pour produire des boissons alcooliques. En faisant fermenter de la canne à sucre ou du maïs ou des bananes, on peut fabriquer de la gnôle (ou du posh, comme l’appellent par plaisanterie les compañeros et les compañeras). Ainsi, sans exploiter la force de travail de personne (on la tirait de sa propre milpa ou de plantations de bananes ou de canne à sucre), sans consommer de produits de multinationales ni aller engraisser le compte en banque des propriétaires des grandes surfaces, les indigènes s’enivraient, les femmes étaient frappées et violées, les enfants maltraités. Il s’agissait d’un alcoolisme « plus anticapitaliste, tu meurs », mais c’était et c’est un crime.

Depuis avant notre soulèvement et surtout à partir de là, les compañeras zapatistes ont réduit drastiquement l’alcoolisme dans les zones rebelles, fût-il capitaliste ou anticapitaliste, grâce à leur force d’organisation et par un travail de prise de conscience continu et permanent dans nos villages.

Bien que la base matérielle du capitalisme soit la propriété privée des moyens de production, de circulation et de consommation des marchandises, il possède une logique propre qui envahit tous les secteurs de la société et qui doit être partout combattue.

De même que beaucoup de choses ont changé ou commencé à changer en terres zapatistes, et qu’il reste à en transformer beaucoup d’autres, de même la société que nous construisons sera différente. Toutes les pratiques actuelles d’anticapitalisme sont respectables et ont leur importance, comme le sont et l’ont toutes les luttes, grandes ou petites, qui sont menées ou le seront pour faire de notre pays un pays où ce ne sera plus une souffrance ou une honte d’être indigène, un petit garçon ou une petite fille, une femme ou un jeune, un ancien ou une ancienne, différent dans sa sexualité ou d’être l’une quelconque des différences qui existent et existeront dans l’humanité.

Aussi, continuez à expliquer, à éduquer, à former et à conseiller quant à ce qui est bon ou mauvais pour la santé dans l’alimentation, mais ne venez pas juger les gens qui ont décidé de risquer leur vie et tout ce qu’ils ont réussi à ériger sur le sang de nos morts pour détruire un système qui, avec ou sans boîte, nous dépossède, nous exploite, nous réprime et nous méprise tous, vous comme nous.

Liberté et justice pour Atenco !
Liberté et justice pour Oaxaca !

Merci beaucoup.
Sup Marcos.

P-S : QUI RACONTE UN CONTE ANTISEXISTE.

Et tant qu’on parle de mise en boîte, il y a chez nous une bande de gamins, des filles et des garçons, qui nous tapent sur le système... Enfin, il y a aussi d’autres filles et garçons plus âgés qui se comportent comme des gamins, mais je parle des plus petits. Chez nous, le nombre de petits garçons et de petites filles au kilomètre carré est très relatif, ça dépend de la manière dont on les compte. Si on les compte avec les yeux, il n’y en a pas tant que ça. Mais si on les compte au bruit qu’ils font, alors là, il y en a sacrément trop ! Mais bon, en leur honneur à eux tous et à elles toutes, pour le petit Gabriel et la Katy, et pour tous les petits garçons et toutes les petites filles qui sont loin, du point de vue géographique, mais tout près dans les sentiments, telle cette petite fille, la plus petite de toutes, dont nous avons peur, nous, les femmes et les hommes zapatistes, à savoir, Mama Corral, qui habite près de Ciudad Juárez, je vais vous raconter un conte qui n’est pas aussi chouette que celui des dollars du Chinois partisan du PAN, mais qui vous plaira peut-être quand même un peu. Alors, ce conte s’appelle :

Elías Contreras, « commission d’enquête » de l’EZLN, raconte à la Magdalena sa très particulière et singulière version en ce qui concerne « les Vigilants ».

On dirait qu’Elías Contreras, « commission d’enquête » de l’EZLN, envisageait la question de la dimension du genre d’une manière très différente. Et il était hors de doute que c’était surtout le résultat de l’éducation que lui avait prodiguée Magdalena. La Magdalena était un transsexuel, c’est-à-dire qu’elle n’était pas un homme, mais pas non plus une femme.

Elías l’avait bien mieux dit, quand un membre de cette équipe d’enquêteur spéciaux appelée Nadie (« Personne ») lui avait demandé si la Magdalena était un compañero ou une compañera. Elías avait répondu qu’elle était « compañeroa », autrement dit, que c’était un compañero qui allait devenir compañera.

Euh ! Bref, ça c’est une question à discuter à un autre moment, je pense. Aujourd’hui, je voudrais vous raconter ce qu’Elías Contreras, « commission d’enquête » de l’EZLN, précisément, avait raconté à Magdalena un beau jour pluvieux du mois de juillet de l’année dernière.

L’après-midi avait enveloppé Elías et la Magdalena dans un corset de pluie et de boue tandis qu’ils s’en revenaient de la corvée collective de la milpa, à mi-chemin du village. Elías avait alors sorti d’on ne sait où un bout de toile plastique avec lequel il voulut galamment protéger la Magdalena de la pluie, mais une rafale de vent espiègle avait simultanément emporté le plastique et les bonnes intentions d’Elías, de sorte qu’ils furent trempés. Résignés, ils s’étaient assis sous le feuillage d’un grand fromager en bordure du chemin. Ce fut la Magdalena, quand la pluie diminua d’intensité, qui entama la discussion en posant cette question :

« Pourquoi pleut-il toujours autant par ici ? »

Elías Contreras, au lieu de répondre par son sempiternel « C’est comme ça » et autres « Va savoir ? » ou même « Mmh... », se sentit cette fois obligé, étant en quelque sorte l’hôte de la Magdalena dans ces contrées, de raconter une histoire dont il a commencé - et ça, oui, c’était son habitude - à tisser la trame au fur et à mesure qu’il l’a racontait :

« C’est parce que EUX, ils font la fête, c’est toujours comme ça quand EUX font une fête », lui a-t-il répondu.

« C’est qui, EUX ? » dit-elle

« Eh bien, mais EUX ! “les Vigilants”, rétorqua Elías. Dans certains endroits, on les appelle Totilme’iletic, ailleurs Tlultacah. »

Après quoi Elías Contreras, commission d’enquête, poursuivi avec une histoire qui allait définitivement changer la vision de la différence de la Magdalena :

« Comme quoi qu’ils sont homme et femme en même temps et en même temps mont et vallée. Comme quoi qu’ils sont mélangés, en même temps deux, mais pas deux mais un, ou une, c’est selon. Voilà, mais nous, les zapatistes, nous les appelons “les Vigilants” parce qu’ils sont comme qui dirait ceux qui prennent soin, ou celles qui prennent soin, c’est selon, de tout. Ils vivent dans les montagnes, près de l’endroit où naît l’eau. Tantôt à l’intérieur de grottes, tantôt près de sources, n’importe où pourvu qu’il y ait de la bonne eau, bien propre, nouvelle, c’est là que vivent “les Vigilants”. Elles, ou Eux, c’est selon, sont comme qui dirait les maîtres, ou les maîtresses, c’est selon, du tonnerre et de l’éclair. Et quand ils disent leur parole, ça fait comme un tonnerre un peu petit, qui ne s’entend pas très loin mais toujours un peu quand même. Ah ! Mais quand ils font la fête, qu’ils se mettent à chanter et à danser, alors y a de l’eau qui éclabousse partout et c’est pour ça qu’il pleut comme ça. »

Sans attendre la question que ne manquerait pas de lui poser la Magdalena, Elías reprit :

« Le travail des Vigilants est de veiller sur nous, les indigènes, et sur le monde, et puis aussi de suivre de près les personnes dont la pensée et le chemin est bonne et bon ou qui pense mal et commet des écarts. Loin d’ici, dans une montagne que l’on n’aperçoit pas de chez nous, ils possèdent un enclos tellement grand qu’on ne peut le mesurer. Et dans cet enclos, ils gardent tous les animaux de la forêt qui sont les naguals de chacun, ou chacune, c’est selon, des hommes et des femmes. Le nagual est l’alter ego de chaque personne, l’animal tutélaire.

« Pour donner un exemple, sans réfléchir, tiens : le nagual de Bush c’est comme qui dirait l’âne, à mon avis ; et peut-être que pour un autre, c’est le bœuf, sans vouloir offenser. Et toi, Magdalena, tiens, ton nagual ça pourrait être la mule. »

Vexée, la Magdalena attrapa une motte de boue et la jeta sur Elías.

Elías Contreras lui dit en riant :

« Je ne disais pas ça sérieusement, c’était un suppositoire, juste pour voir si tu suivais ce que je disais, parce qu’après tu ne vas pas comprendre. D’ailleurs, tu aurais tort de mépriser les mules. En voilà qui ne tombent jamais malades, et qui trottinent partout où elle veulent et ne se fatiguent jamais. »

La Magdalena s’est levée et s’est mise à chercher quelque chose... de plus contondant, disons, pour le jeter sur Elías. Elle s’est redressée en regardant fixement Elías, une branche grosse comme un manche de pioche surgit dans ses mains :

« Tu disais, mon chou ? »

Elías essaya de se défiler, sans perdre de vue une seconde l’instrument de protestation que Magdalena brandit :

« Attends, Magdalena ! Je ne parle pas de toi, je ne pense à rien de précis, d’ailleurs. C’était juste comme qui dirait une anecdote ; une “anecdote” ça veut dire une histoire un peu comme un conte qui apporte quelque chose comme une leçon à tirer... »

« Ça, c’est une fable, pas une anecdote », le corrige Magdalena.

Elías garda son calme :

« C’est bien pour ça que je te dis que c’est pas une anecdote, mais un peu comme... Ça ne fait rien, je t’expliquerai plus tard, parce que quand tu te braques comme ça, c’est pas la peine de chercher à t’expliquer quelque chose. Vaut mieux que je continue à raconter mon histoire des Vigilants. »

« D’ac, répond Magdalena, mais laisse tomber les mules. »

« C’est d’accord », acquiesce Elías.

Et il reprit :

« Et alors, si tu te comportes bien, eh bien, les Vigilants gardent ton animal tutélaire, ton nagual, et en prennent bien soin dans leur enclos et veillent de même sur toi. Mais si tu te comportes mal, allez ouste ! Ils le relâchent et p’têt’ bien que quelqu’un le tuera à la chasse ou qu’il va faire une mauvaise chute ou tomber malade, et pareil pour toi. »

« Et qu’est-ce qui arrive si les Vigilants se fatiguent ou vont faire un tour et que tous les animaux s’échappent », demande la Magdalena.

« Ouh la ! Ça, ça serait la catastrophe, parce qu’une grande douleur envahirait les gens et ça pourrait même en arriver à ce que tout meure. Parce que la terre a besoin que l’on prenne soin d’elle. C’est pour ça qu’existe notre zapatisme, pour aider les Vigilants dans leur tâche, pour éviter que ça n’arrive, pour que nous prenions soin de la terre qui est notre plus chère mère. »

La Magdalena lui demanda alors avec défi :

« Et pourquoi tu dis “Eux” si c’est des hommes et des femmes en même temps ? »

Elías Contreras, commission d’enquête de l’EZLN, prit un air sérieux et son regard se tourna vers le lointain, comme s’il essayait de voir quelque chose d’inaccessible aux regards, et il répondit :

« Ah ! Eh bien, mais parce que nous, les zapatistes, nous savons qu’il y a des choses que l’on ne peut pas encore nommer, alors nous utilisons les mots que nous avons pour en parler. Nous savons pourtant que ces choses existent et qu’elles sont bien là, même si on ne sait pas les nommer, et que beaucoup d’entre elles sont bonnes et qu’il y a là une souffrance que nous avons peine à imaginer, mais aussi des joies que nous ne connaissons pas encore. Mais un jour... »

Elías ne finit pas et resta silencieux. La Magdalena a lâché son bâton et s’est approché. En lui prenant la main, elle demanda :

« Un jour, quoi ? »

Elías rougit en répondant :

« Un jour, nous aurons les mots pour comprendre ce que nous ne comprenons pas. Car il y a des mondes qui existent sans avoir de nom. »

Alors, soudainement, en cet instant précis, va-t-en savoir pourquoi, le ciel s’est dégagé et le Soleil fit une brève apparition, comme s’il voulait juste dire au revoir. Et juste avant que le Soleil, empourpré, s’en aille, la Lune a émergé du côté opposé. Pendant quelques secondes, ils restèrent suspendus face à face. On aurait alors facilement pu imaginer qu’ils n’allaient pas suivre le rituel quotidien auquel l’un et l’autre sont enchaînés mais que, pour une fois, ils allaient marcher à la rencontre l’un de l’autre, défiant toutes les conventions et rendant possible l’impossible.

En bas, le plus ancien des Vigilants, le premier d’entre les premiers, était en train d’apprendre à son cheptel à lire ce qui n’est pas écrit dans les étoiles, tandis que, loin, bien loin de là, une petite fille inventait un autre alphabet avec les lettres d’un livre plein de couleurs...

Allez. Salut, et que vive pour toujours ce qui n’a pas encore été nommé... Comme ce qui nous unit aux paysans insoumis du Brésil, de Corée du Sud, d’Inde et de l’Union américaine.

Sup Marcos.
Mexique, juillet 2007.

Traduit par Ángel Caído.

Notes

[1Contrairement à ce qui était prévu par la Constitution mexicaine, et notamment par son désormais célèbre article 27 disposant la propriété « sociale » des terres cultivables et l’impossibilité de les vendre - NdT.

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