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Notes anthropologiques (III)

samedi 22 juillet 2017, par Georges Lapierre

La magie prend racine dans une vision du monde qui s’obstine à ne pas disparaître malgré l’avancée conquérante et dictatoriale de la pensée scientifique. L’art de la magie, ou encore la science magique, existe toujours, la magie a ses adeptes et ses professionnels ; elle est rejetée par les hommes des sciences dites positives, et elle est mal comprise par les anthropologues. « La magie est depuis longtemps objet de spéculation », elle l’est toujours. Comme la science, elle repose sur le déterminisme qui lie l’effet à la cause, mais alors que la science, qui s’impose impérieusement de nos jours, se développe dans un monde qui se veut objectif, la science magique, elle, n’a de sens que dans un monde perçu comme entièrement subjectif. Alors que la science consiste à agir sur une réalité objective, c’est-à-dire sur une réalité non spirituelle, posée comme extérieure au sujet, comme extérieure à l’homme pensant, en l’occurrence, au savant, à l’être humain (que nous définissons encore comme être animé par la pensée), la science magique ne cherche pas à agir sur l’objet. Pour elle, l’objet n’existe pas, la réalité objective n’existe pas, n’existe qu’une réalité spirituelle ou subjective.

Nous pouvons avoir le sentiment que la science objective a atteint ses limites, qu’elle se trouve gênée par l’interférence du sujet dans l’univers de l’objet et puis cet univers objectif a pris une telle complexité qu’il met au défi la pensée dite rationnelle reposant sur le principe de la non-contradiction. Face à ce doute lancinant qui étreint parfois dans un brusque éclair de lucidité le savant enfermé dans son cabinet, face à ce qui pourrait apparaître comme une remise en question de la science, la magie retrouve un certain intérêt, et la pensée subjective un certain regain. La magie n’est plus regardée avec la condescendance d’autrefois comme une science archaïque et dégénérée. Au contraire, certaines conceptions de la pensée magique, aujourd’hui confirmées par les récentes découvertes de la science, apparaissent sous un éclairage nouveau [1]. Au moment où le savant perd sa foi, la pensée magique reprend du poil de la bête : serait-il possible de développer une science à l’opposé de la science dite objective, une science qui ne serait que subjective ?

Pour commencer, nous pouvons prendre au pied de la lettre la définition de la magie :
« la magie consiste à agir sur les esprits »

En prenant au pied de la lettre la définition de la magie, « la magie consiste à agir sur les esprits », nous retrouvons ce que j’appellerai le bon sens populaire, que j’avais déjà signalé au sujet des guérisons chamaniques quand, dans l’imaginaire des gens, la maladie prend l’aspect d’un insecte, d’un ver, d’un scarabée, d’un crabe ou d’un serpent qu’extrait le chamane après force succions. Deux éléments importants constituent le fondement de la pensée subjective ou pensée magique : rien dans une réalité conçue comme entièrement subjective n’est isolé, tout est en relation, tout est en correspondance ; c’est ce que nous pourrions appeler l’intersubjectivité ; c’est le premier point. Le second est que l’état du sujet est toujours un état d’esprit ; dans un monde entièrement spirituel, le délabrement physique ou corporel, ce que nous appelons la maladie, n’existe pas, le délabrement est spirituel, c’est l’esprit qui est affaibli, c’est son mode d’être qui est atteint. Le corps, mode d’être de l’esprit, n’est que l’expression d’un état d’esprit : à un état d’esprit fort et puissant, correspond un corps fort et puissant.

Dans un univers entièrement spirituel où tout est en correspondance, la maladie, ou la malchance, est un mal d’être, un état d’esprit déficient ou affaibli dû à une action néfaste venue d’ailleurs, à un agent, à quelqu’un qui nous veut du mal et qui se trouve dans notre voisinage : l’influence ou les agissements cachés d’un mauvais esprit. Un équilibre des forces est rompu, une harmonie est brisée, la fluidité de la communication et des échanges grince ou est interrompue. Il s’agit de la rétablir soit en renforçant un état d’esprit déficient, soit en recherchant et en agissant sur la cause, tout aussi spirituelle d’ailleurs, c’est-à-dire subjective, venant d’un sujet, de cet affaiblissement. Le plus souvent, on joue sur les deux tableaux à la fois : sur le désir d’un changement de notre état et l’envie de surmonter et de vaincre ce qui nous affaiblit.

C’est un savoir pratique (rituels, incantations, formules) qui repose sur une cosmogonie partagée entre le pratiquant et le patient (ou client) : un univers où tout est en relation, ce qui suppose l’extrême fluidité des êtres. Le mode opératoire de la magie joue sur le contraste entre la neutralité de la forme, où l’on se contente de répéter le plus fidèlement possible gestes, formules et incantations, c’est la partie qui revient au pratiquant, et la présence occulte du désir, c’est la partie qui revient au patient [2]. Le pratiquant apporte les conditions de la communication, le formalisme du langage, le désir du client met en branle la communication et l’oriente. L’univers, l’ordre des choses, est ébranlé, et de nouveau, les éléments comme des mots — mots de quel langage ou de quel discours ? — s’agencent précisément entre eux afin de répondre aux injonctions d’un désir.

Il faut bien se dire que la pensée magique repose tout entière sur une autre cosmovision que la nôtre, pour elle il n’y a pas de séparation entre un monde humain, celui de la culture et de la pensée, et un monde non humain, celui de la nature et de l’objet. Pour elle, nous vivons dans un monde entièrement humain où n’existent que des sujets, c’est-à-dire des êtres pensants et libres, des êtres qui ne sont pas réduits à l’état d’objets : l’epazote (chénopode), le thym, le bananier, la biche, le pécari, le jaguar, les étoiles, la lune, le soleil sont des sujets, des êtres (à leur manière) libres et pensants. Heureux hommes qui ne connaissent pas encore l’esclavage et qui surtout ne veulent pas le connaître, ou se reconnaître volontairement comme esclaves ! Et pour ces femmes et ces hommes primitifs et libres tout l’univers ou cosmos est ainsi peuplé de sujets avec lesquels ils entretiennent de bonnes ou de mauvaises relations.

L’âge magique de l’humanité

Les universitaires font avec zèle le travail pour lequel ils sont payés : discréditer cet âge magique de l’humanité. Et nous pourrions assez facilement leur retourner la critique qu’ils font des magiciens : « Nous avons vu que le magicien était désigné par la société, ou désigné par un groupe restreint, auquel celle-ci a délégué son pouvoir de créer des magiciens. » Le magicien est comme « une sorte de fonctionnaire investi, par la société, d’une autorité à laquelle il est engagé à croire lui-même. Il a tout naturellement l’esprit de sa fonction, la gravité d’un magistrat ; il est sérieux parce qu’il est pris au sérieux et il est pris au sérieux parce qu’on a besoin de lui. [3] »

« La simulation du magicien n’est possible qu’en raison de la crédulité publique. C’est cette croyance, que le magicien partage avec tous les siens, qui fait que ni sa propre prestidigitation, ni ses expériences infructueuses ne le font douter de la magie [4]. » Au lieu de chercher une explication du phénomène dans une sorte de déficience mentale comme la crédulité du côté de la population ou dans une sorte de déficience morale, la simulation ou le cynisme, du côté du magicien, et d’y percevoir comme un phénomène de croyance imposée par la société, il serait plus captivant de nous demander pourquoi ni le chamane ni la population ne doutent de l’efficacité de la magie.

Je dirai que le but de la magie est avant tout de rétablir, de reconstruire, de renforcer l’état d’esprit du patient ; pour arriver à cette fin, le sorcier, le mage ou le chamane, peut bien être amené à mettre à mort ou à torturer son principal ennemi, mais le but de la magie n’est pas la mort de l’ennemi, son but est de guérir le patient ou de lui remonter le moral. Mis à part les anthropologues, personne n’est véritablement dupe, tout le monde sait bien dans son for intérieur que les pointes de silex, le scarabée ou les os que recrache le chamane viennent de sa bouche, que les expéditions magiques n’ouvrent pas le ventre de l’ennemi pour lui enlever la graisse du foie, que l’os de mort lancé en direction de sa résidence n’atteindra jamais son objectif [5], que l’aiguille qui perce la statuette de cire n’occasionnera pas, hélas, d’affreuses douleurs chez notre voisin.

Nous n’avons pas affaire à une pensée objective, nous nous trouvons confrontés à une autre forme de pensée beaucoup plus directe, dans le sens où elle agit directement sur le patient perçu comme un être produit par la pensée, comme un être entièrement spirituel, et non pas comme un individu séparé en deux, entre un corps physique (ou naturel) et une substance divine et spirituelle. La pensée agit sur la pensée, la pensée est effective dans un monde perçu comme entièrement spirituel. Et cette pensée rétablit la relation un instant interrompue entre le sujet et sa réalité ; entre le sujet et le réel ; entre le sujet pensant et le monde de la pensée. Ce qui est posé et affirmé avec cette idée de spiritualité c’est l’idée d’une communication universelle. Et cette communication universelle est la réalité même de la pensée.

Ces réflexions quelque peu anarchistes, ces notes en pointillé autour de la magie [6] nous permettent cependant, une fois assemblées, d’esquisser une théorie non conventionnelle de la magie.

La magie a pour but de guérir, de redresser, de reconstruire un patient perçu comme sujet social, comme être pris dans le réseau de ses relations aux autres sujets, et ce sont ces relations qui le constituent comme sujet social, comme être humain ; et ces relations peuvent être bonnes ou mauvaises. Ainsi les maladies sont-elles attribuées à une force malveillante, maléfique représentée par des cheveux, chenilles, insectes, reptiles envoyés dans le corps du patient par un sorcier agissant pour le compte de quelqu’un qui lui veut du mal, d’un sujet qui lui est malveillant.

Ce sujet social qu’est le patient est à la fois un être pensant, produisant avec les autres sujets la vie sociale dans son ensemble ; et un produit de la pensée, de la communication universelle, un produit donc de cette même vie sociale. C’est un être formé par la pensée, la pensée est constitutive de son être, elle ne se limite pas à la conscience de soi de l’individu ou à la conscience du soi de l’être collectif, de l’humano-pueblo. Pour l’atteindre, la mouvoir et l’ébranler, il est nécessaire d’avoir recours à des techniques d’ordre magique, c’est-à-dire qui passent outre à cette conscience (qui se présente plutôt comme un obstacle à surmonter) pour atteindre directement cette pensée constitutive de l’être humain, constitutive de son état actuel, ce que j’ai appelé son état d’esprit. Et cette pensée constitutive de l’humain est la réalité, non seulement sa réalité en tant qu’être humain (la réalité de l’être), mais toute la réalité (la société, le cosmos, ce que nous appellerons l’être de la réalité).

Les anthropologues pensent pouvoir prendre en défaut la pensée magique quand celle-ci accomplit justement le pas, ou le saut, qui lui permet d’atteindre et de mobiliser la pensée profonde, quand elle bouscule, enfonce et passe outre l’obstacle de la conscience objective. Tout l’art et la science magique se trouve dans cette transgression et il n’y a pas de magie et pas de guérison sans cette transgression, sans cette émancipation du carcan de la conscience, sans cette liberté, sans ces épousailles, sans les noces magiques avec le réel, avec la pensée océane ! De la part du patient, il ne s’agit pas de naïveté, de crédulité ou de croyance, ni de la part de l’opérateur de tromperie et de cynisme, mais bien de passer outre à la conscience perçue comme un obstacle, de mettre de côté en quelque sorte cette faculté d’objectivation [7] plus gênante qu’autre chose, sachant que, dans la vie spirituelle, elle ne représente qu’un moment de peu d’importance. C’est un point de vue qui prend à rebrousse-poil nos convictions les plus affirmées, ou la conviction la plus solide et la plus inébranlable de l’homme de science. Encore une fois, nous nous trouvons confrontés à deux points de vue difficilement conciliables.

Nous commençons à saisir la logique qui soutient l’activité magique et qui explique pourquoi le chamane ne doute pas un instant de son effectivité. La magie s’adresse directement à cette pensée occulte qui structure l’être. Comment opère-t-elle pour l’ébranler à l’insu de la conscience ?

Il s’agit avant tout de ruser avec elle. Là encore je retrouve avec plaisir le bon sens populaire, l’art de se jouer des non-dits par des mots d’esprit, l’art de les révéler tout en désamorçant leur charge négative et paralysante.

Elle éveille cette part dynamique de la personne qu’est la pensée en agitant devant elle le tissu rouge de ce que j’appellerai, faute de mieux, la pensée symbolique [8] ; et cet esprit structurant et constituant l’état actuel et momentané de l’être réagit à cette sollicitation. Il prend au mot (ou il prend aux mots) ce qui n’est qu’un simulacre. Les pointes de flèche, les poupées de cire, l’os des morts sont seulement des appâts qui font réagir la pensée, encore faut-il les prendre aux mots, aux mots de leur réalité, aux mots de la réalité, celle d’un os, d’un cheveu, d’un ongle ou d’un silex tangibles [9]. Les chamanes mapuches, les machi, montrent de petits objets qu’elles ont retirés du corps du malade après succions pour les convaincre qu’elles ont arrêté le mal et extrait le poison : « Voici ce que le diable a mis en lui. Maintenant il est sorti. Le malade guérira. S’il n’était pas sorti, il serait mort car c’est cela la cause de son mal. [10] » Extraire le mal, extraire ce qui a été intériorisé, pris sur soi, la malveillance d’autrui, le mauvais œil.

Encore une fois, le malade réagit parce qu’il est pris au sérieux : sa maladie, son mal être ou son mal d’être, son infortune, ne sont pas des simulacres, ils sont bien réels, ils sont aussi réels que leur cause, la malveillance de quelqu’un : les morceaux de quartz ou les chenilles ne peuvent pas être des simulacres, ils sont aussi réels qu’est réelle la maladie et qu’est réelle la malveillance d’autrui à l’égard du malade. Avec la guérison chamanique nous passons du domaine de l’imaginaire ou du simulacre (où tout est vain) à celui de la réalité (où tout est possible). Et nous passons d’un domaine à l’autre grâce au simulacre, grâce à un tour de passe-passe ! Jeux d’esprit ou jeu de mots ? Mots d’esprit ou mots des esprits ? Jeu entre les mots et la réalité ou jeu des esprits ? Nous pouvons bien tuer symboliquement un homme dont nous désirons la mort et ainsi faire disparaître pour de bon ce qui constituait à nos yeux un obstacle difficilement surmontable à l’épanouissement de la pensée dans l’entrelacs des relations intersubjectives.

Le patient, homme ou femme, est avant tout considéré comme un sujet social pris dans un réseau serré de relations de toutes sortes, bonnes ou mauvaises ; ce sont ces relations qui le structurent et le construisent, lui apportant vie et vigueur ou lui apportant mort et décrépitude. Ainsi les maladies sont provoquées par des mauvais esprits, et prenons l’expression « mauvais esprits » dans le sens que nous lui donnons communément (« il a mauvais esprit »), qui agissent parfois de leur propre chef, mais le plus souvent en ayant recours à un sorcier. Une telle conception de l’être humain a moins cours de nos jours quand l’idéologie de l’individualisme et de la pensée objective, liée à notre sort dans une civilisation esclavagiste, prend le dessus pour s’imposer à notre esprit avec de plus en plus de force.

« Les Araucans modernes, note Alfred Métraux, éprouvent quelque doute sur la nature des objets que les chamanes retirent du corps des malades. Sœur Inez Hilger raconte que deux jeunes gens à qui une machi avait demandé d’aller chercher une cruche contenant un serpent qu’elle disait avoir extrait par succion cassèrent le récipient et constatèrent que le serpent n’était en fait qu’un morceau d’algue recouvert de salive. Elle cite aussi le cas d’un homme qui perdit ses illusions lorsqu’il vit une machi chercher dans la forêt des chenilles et des vers qu’elle crachait ensuite à la fin d’une cure. [11] »

Pour les anthropologues qui ne connaissent que la pensée objective dite encore positive, les pratiques magiques sont véritablement déroutantes, ils n’en saisissent pas la logique, ils n’en saisissent pas l’enracinement dans une cosmovision attachée à un type d’organisation sociale dans laquelle l’être humain ne peut pas être considéré comme un objet, qu’il soit malade ou en bonne santé. Il ne leur vient pas à l’idée de rattacher leur cosmovision et l’ascendant d’une forme de pensée, en l’occurrence la pensée objective, à l’organisation sociale qu’ils connaissent. Pour eux, leur civilisation est hors de la critique. Leur civilisation se veut dominante et la conception de la réalité qu’elle draine avec elle s’impose comme supérieure à d’autres conceptions de la réalité. Cela ne signifie pas qu’elle est plus « vraie », cela signifie seulement qu’elle est totalitaire, comme la civilisation dont elle émane. Pourtant elle est seulement une cosmovision parmi d’autres possibles.

Avant de conclure bien provisoirement cette question de magie, depuis si longtemps débattue et objet de spéculations, je voudrais m’arrêter un instant sur la possession chamanique. Aucune guérison n’est possible sans l’appui de Ngenechen, le « Dominateur des hommes ». C’est lui qui a choisi la machi.

La (ou le) chamane est une figure captivante, c’est une femme ou un homme de la frontière, entre le monde des esprits et celui des hommes. Ce monde des esprits contient et englobe le monde humain, le monde où se trouve le sujet humain, il le déborde de toute part et il le domine, Ngenechen, le « Dominateur des hommes ». L’individualité borne et limite le sujet humain et l’empêche d’avoir accès au monde des esprits, à connaître la pensée dans toute son ampleur. Le chamane possède la capacité ou la faculté de rompre les vannes de son individualité pour se laisser ravir par l’esprit, par Ngenechen. C’est le monde du spirituel et aussi celui des esprits parce que, comme le note Marcel Mauss, « tout y étant spirituel, tout y peut devenir esprit ». C’est au cours de cette transe, de ce voyage ou ascension extatique que la machi va être inspirée et connaître l’illumination : savoir quels remèdes donner et quelle est la cause du mal dont souffre son patient. La machi est seulement l’auxiliaire de l’esprit qui l’a élue ou des esprits. Dire qu’elle est aidée par un esprit auxiliaire c’est renverser les rôles, elle est seulement la médiatrice ou l’auxiliaire des esprits (ou d’un esprit), ce sont eux qui l’inspirent.

C’est autre chose que de l’intuition. C’est perdre la conscience de soi, de son individualité (généralement la machi s’évanouit au cours de ce ravissement) pour atteindre un savoir qui n’est pas à la portée de l’individu. Par une distraction qui nous est propre, nous appelons perte de connaissance ce qui accompagne une ouverture à la connaissance véritable. Cette perte de conscience constitue le plus souvent l’expérience initiatique du futur chamane (perte de connaissance à la suite d’une maladie, d’un accident, frappé par la foudre…). Mais quelle est donc cette connaissance véritable, inaccessible aux communs des mortels ? Est-ce celle de l’esprit collectif, de l’esprit qui anime une collectivité au sein de laquelle se trouve le patient, avec ses hauts et ses bas, ses creux et ses ruptures, ses grincements et ses ratés ? Pour en retrouver les hautes marées du temps faites de fécondations, d’embrasement et de fragmentations cosmiques ?

Notes

[1Considérons, par exemple, la notion magique de contiguïté sympathique qui identifie la partie au tout. Avec la découverte de l’ADN, les dents, la salive, la sueur, les ongles, les cheveux représentent bien intégralement la personne et cette récente découverte scientifique confirme ainsi la loi sur laquelle repose la pratique magique selon laquelle la personnalité d’un être est indivise et réside tout entière dans chacune de ses parties.

[2« C’est pourquoi nous disons qu’il n’y a pas de véritable rite muet, parce que le silence apparent n’empêche pas cette incantation sous-entendue qu’est la conscience du désir. » (Marcel Mauss, « Esquisse d’une théorie générale de la magie ».)

[3Mauss (Marcel), « Esquisse d’une théorie générale de la magie », in Sociologie et anthropologie, PUF, 1950 (p. 89).

[4P. 88.

[5Exemples tirés des ouvrages de Spencer et Gillen sur les Aruntas, cités par Marcel Mauss p. 87 et 89.

[7Ce que nous appelons la conscience n’est peut-être seulement que cette faculté d’objectivation propre à l’individu contemporain : prendre conscience de soi reviendrait à se représenter à ses propres yeux comme objet ou figure extérieure à soi-même, comme si nous étions partagés entre maître et esclave, le maître est le sujet, celui qui se représente, et l’esclave est celui qui est représenté.

[8Cette référence lointaine à la psychanalyse, pour qui l’inconscient est structuré comme un langage, n’est pas fortuite, le chamane, comme le psychanalyste, est amené à entrer en contact avec cette pensée des profondeurs, mais à la différence du psychanalyste, il ne voit pas dans le conscient la voie obligée d’un retour à la norme, il se contente d’amorcer une dynamique. Mais c’est encore de nos jours la psychanalyse qui, traitant des maladies dites mentales, se rapproche le plus de la pensée magique ; seulement pour le chamane ou le mage il n’y a pas d’un côté maladies mentales et, de l’autre côté, maladies corporelles, toutes les maladies sont d’ordre spirituel.

[9« Les mots font la chose… c’est à l’inadéquation des mots aux choses que nous avons affaire » (Jacques Lacan, Ornicar n° 19, 1979). Ici c’est justement à cette adéquation des mots aux choses que nous avons affaire.

[10Moesbach, P. Ernesto Wilhelm de, Vida y costumbres de los indígenas araucanos, cité par Alfred Métraux, « Le chamanisme araucan » (Religions et magies indiennes d’Amérique du Sud, p. 203).

[11Alfred Métraux, 1967, p. 205.

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