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Mexico 2018,
un mot au sujet de l’élection présidentielle à venir

samedi 7 avril 2018, par Georges Lapierre

La course à l’élection présidentielle a commencé il y a déjà quelque temps, un peu comme une voiture qui a pris la route et qui accélère progressivement. À partir d’aujourd’hui, 1er avril, jour des innocents, la course est lancée. Les quatre candidats, tout chauds comme des œufs fraîchement pondus vont se lancer dans une course éperdue où tout est permis, coups de coude, croche-pied, coups bas et que le premier gagne ! Enfin, c’est l’idée et c’est aussi ce qu’on veut nous montrer, le spectacle ! Et si tout se jouait dans les coulisses ? Et si tout était déjà joué ? Comme au jeu d’échecs, une stratégie semble déjà prendre tournure dès le début du jeu. Les premiers déplacements de pions ne sont jamais innocents, ils cachent une tactique qui n’apparaîtra qu’à la fin par un « échec et mat ».

Quel est l’enjeu de la partie ? L’enjeu est le Mexique comme nourriture de la bête insatiable et c’est bien ce qui se décidera dans cette partie. La bête insatiable n’a pas du tout l’intention de voir cette délicieuse nourriture lui passer sous le nez ou lui échapper en partie. Elle veut continuer à dévorer tout cru le Mexique comme elle le fait actuellement.

Nous avons quatre concurrents en présence, trois de la droite et un de la gauche dite progressiste. Que signifie être progressiste ? Cela signifie favoriser l’émergence d’une bourgeoisie nationale, qui se retournera bien vite contre son bienfaiteur quand elle jugera le moment venu. Le moment sera venu quand les forces sociales, la part dangereuse de la société, auront été circonscrites par le bienfaiteur, qui a en vue la défense et le renforcement de l’État national (représenté par la bourgeoisie) face à la déferlante d’un capitalisme jugé sauvage car transnational et face aux mouvements sociaux encore difficilement contrôlables que cette déferlante génère. La droite va au plus pressé, la gauche progressiste propose un détour.

Les trois représentants de la droite sont : José Antonio Meade pour le PRI, Ricardo Anaya pour le PAN, et une candidate dite indépendante, Margarita Zavala, épouse d’un ancien président de la République, Felipe Calderón ; elle représente vaguement l’union PAN-PRD. Le représentant de la gauche progressiste est Andrés Manuel López Obrador (AMLO). C’est la troisième fois qu’il se présente et à chaque fois, il est victime d’un croc en jambe à l’arrivée alors qu’il lève déjà les bras en signe de victoire ; et la droite traditionnelle est déclarée vainqueur. Sera-t-il encore une fois victime d’un croc en jambe à l’arrivée ? C’est la question que se posent tous les Mexicains. Les Mexicains adorent los payasos [1], et c’est un bon public ! Je prends les paris, faites vos jeux !

Observons ce début de partie : la droite a tout de suite assuré sa défense, c’est la loi sur la sécurité intérieure qui donne tout pouvoir à l’armée. Le ministre de la Défense — notons que le ministre de la Défense est toujours un général, c’est une spécialité mexicaine (une dictature militaire sous un déguisement civil ?) —, le ministre de la Défense, donc, a beau jeu de déclarer que l’armée n’en demandait pas tant, qu’elle se serait contentée d’un cadre juridique lui permettant d’intervenir comme force de coercition à l’intérieur du pays comme cela se passe dans beaucoup de nations aujourd’hui, en Amérique du Sud ou en Europe, en France, par exemple : « C’est une nouvelle orientation du rôle des armées que l’on retrouve un peu partout. [2] » À ce premier coup, la gauche répond par un coup d’esbroufe, à la fanfaronnade : « Cette fois-ci, je ne retiendrai pas le tigre ! » déclare López Obrador ; le « tigre » est le peuple de gauche (« qui est las avant de savoir qu’il est las ») que, par deux fois, López Obrador a retenu alors qu’il était prêt à se soulever. Cette fois-ci, il ne le retiendra pas. C’est une menace. À cette menace la droite répond : « Si tu lâches le tigre, nous, nous lâcherons nos gorilles » [3], faisant allusion à la fameuse loi sur la sécurité intérieure.

Une autre manœuvre de la droite, qui me paraît intéressante à noter bien qu’elle soit passée inaperçue, réside dans le fait que, sur trois candidats dits indépendants qui avaient obtenu le quorum de signatures nécessaires pour pouvoir se présenter, un seul a finalement été retenu : Margarita Zavala. Pour saisir la raison du rejet des deux autres candidats (un de droite, El Bronco, l’autre, une figure plus floue venant du PRD), il faut savoir qu’au Mexique il n’y a pas de second tour, et c’est le premier arrivé qui l’emporte, parfois avec un pourcentage de voix assez réduit, autour des 30 pour cent par exemple. Cette règle ne posait pas de problème jusqu’à présent, quand le Mexique était gouverné par un parti unique, le PRI, et que l’élection présidentielle n’était alors qu’une formalité. Aujourd’hui elle peut devenir un piège ou un attrape-nigaud. Au cours des dernières élections, celles de 2012, il s’est refermé sur López Obrador, qui était bien arrivé en tête, mais les autres candidats ont apporté leurs voix ou leur pourcentage au deuxième, c’est-à-dire à Peña Nieto, candidat du PRI. Ce ralliement de Josefina Vázquez Mota, candidate du PAN, et de Quadri, de Nueva Alianza, a donné l’avantage à Peña Nieto, l’actuel président de la République. Le calcul en voix ou en pourcentage est rapide et simple. Une telle disposition pourrait bien se reproduire en 2018, avec, en toile de fond, l’armée prête à intervenir si la discussion dégénère. Pour cette raison un trop grand nombre de candidats risquait d’apporter une certaine confusion, un embrouillement ou un désordre dans le tableau. Avec trois candidats de droite, les choses sont claires, deux candidats se rallieront au troisième et à eux trois, ils ont des chances, en comptabilisant leurs voix ou leur pourcentage, de l’emporter sur le candidat de gauche — alors même qu’un second tour aurait été bien plus risqué pour la droite.

Pour chacun des trois concurrents de droite, l’objectif est d’arriver avant les deux autres, de se placer, comme on dit. Cependant il faudra à la droite de bonnes raisons pour faire accepter par les Mexicains le coup de Jarnac qu’elle prépare. Avoir de bonnes raisons signifie sortir d’une attitude agressive pour proposer « la paix des braves », un consensus autour d’un candidat qui se veut indépendant et dégagé de la guerre fratricide que se livrent les partis politiques, ou à laquelle se sont livrés les candidats pendant toute la campagne précédant le vote. Aussi je verrai bien Margarita Zavala dans ce rôle, arriver en tête de la droite et recueillir le pactole de voix des deux autres. Elle se présente indépendante des partis et elle joue l’unité de la nation contre la division apportée par ceux-ci. Être une femme représente un avantage et un inconvénient qui, à mon sens, s’équilibrent : on peut bien se dire que dans un pays aussi machiste que le Mexique, elle n’a aucune chance, mais c’est peut-être mal comprendre les Mexicains, qui peuvent, au contraire, y trouver l’occasion d’une réhabilitation aux yeux de l’opinion publique du « premier monde ».

Par ces quelques coups dès le début de la partie, la droite mexicaine s’est rendue maîtresse du jeu. López Obrador et son équipe ne sont pas dupes du piège qui leur est tendu. Pour avoir une chance de gagner l’élection, il leur faut désormais donner des gages à la droite et engranger le maximum de voix, il leur faut aussi recruter des partisans (dans les autres partis) qui soutiendront AMLO le moment venu. L’héritage de l’ancien temps, le temps du parti unique et de l’État providence, apporte un certain flou quant à l’adhésion à un parti. Les partis politiques n’ont pas au Mexique cette charpente rigide qui caractérise par exemple les partis français et l’on glisse assez facilement d’un parti à l’autre selon sa sensibilité du moment, en fait selon l’avantage que l’on espère y trouver. Andrés Manuel López Obrador recrute tout azimut, pour avoir une chance : il doit dépasser (ou se rapprocher) en voix (ou en pourcentage) le total des voix de la droite. Il promet de tout oublier : la corruption, les liens avec le narco… ; « on oublie tout », chanté sur tous les tons, est devenu le leitmotiv de sa campagne, si bien que, dans ces soldes généralisées, il finit par vendre son fonds de commerce. Ce glissement à droite toute du candidat de la gauche progressiste déroute un peu ses fidèles de toujours, mais ils voteront pour lui par fidélité, justement.

Quoi qu’il en soit, la droite traditionnelle, la droite pure et dure, a déjà remporté le morceau c’est-à-dire les élections mexicaines : ou López Obrador s’engage à mener la politique voulue par la droite, ou il est éjecté. Bien joué, échec et mat !

Car :

Il y a tout de même un « non-dit » qui hante ces élections et c’est le « non-dit » du ravage social qu’exerce dans le pays la pénétration du capital, l’immixtion d’un point de vue unique sur le monde, le point de vue marchand. Le narcotrafic n’est même pas la part maudite de l’activité capitaliste, il fait partie de l’activité capitaliste, il est l’activité capitaliste en mouvement, s’immisçant dans les profondeurs, dans les entrailles, du Mexique. Ne pas aborder le désastre humain que représente le narcotrafic, c’est entrer dans le jeu du capital, c’est reconnaître l’activité capitaliste comme moteur unique de la vie dite sociale. Non seulement la droite est gagnante mais c’est l’activité capitaliste dans son ensemble qui devient incritiquable, qui est placée hors de toute critique… et par tous les candidats ! Éviter de s’en prendre au désastre social que représente l’activité des cartels de la drogue, c’est ne pas vouloir toucher à l’activité capitaliste et au désastre humain qu’elle signifie.

Un article d’opinion paru dans La Jornada du 29 mars 2018 intitulé « Las campañas y el elefante en la sala » — « les campagnes (électorales) et l’éléphant dans le salon » — dû à Nestor Martínez Cristo aborde d’une manière critique ce « non-dit » de la campagne électorale. L’auteur remarque avec pertinence que l’éléphant, et il s’agit d’entendre le narcotrafic, est bien là, « tous le voient, le sentent. Il gêne, il embarrasse, il incommode. Il bouge. Il se fait présent à chaque instant, mais tous font semblant de ne pas le voir, de ne pas le sentir et ils font comme s’ils n’étaient pas gênés. Tous préfèrent éluder le sujet ». Un excellent article !

Oaxaca, le 1er avril 2018,
Georges Lapierre

Notes

[1Payasos : clowns, pitres.

[2Ministre de la Défense nationale, général Salvador Cienfuegos Zepeda, lors de la présentation d’un livre, Numeralia del Ejército y Fuerza Aérea Mexicana en el siglo XXI, Otra visión.

[3Caricature parue dans La Jornada, et c’est Peña Nieto, l’actuel président du Mexique, qui parle.

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