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Message depuis la Sierra Wixárika

vendredi 10 février 2012, par Irene Bonilla

Après plus de douze heures de voyage depuis Guadalajara, le chemin me conduit à travers une brèche de terre rouge. Il est déjà midi et le soleil semble à peine commencer à chauffer. Une famille en voyage suit le bord du chemin. Les yeux se lèvent, tous sourient et lancent : « ¡Kyaku ! »

Ici les couleurs sont brillantes et naturelles. Je peux voir depuis le chemin une rivière bleue – qui me regarde et m’invite à la boire –, mes yeux commencent à rencontrer d’autres yeux et l’émotion de ce retour dans la Sierra Wixárika m’envahit complètement. Je continue à marcher, je suis à la recherche de la maison de mon ami Pascual, il est sûrement en train de m’attendre. Je le vois là-bas se pencher et me faire signe – Tu arrives enfin ! – Après avoir échangé des saluts et posé deux ou trois questions, nous nous asseyons près du poêle pour prendre le café.

Mon cher Pascual commence par me raconter que cette année son père fera son dernier voyage au centre sacré de Wirikuta (la femme qui passa par ici). Depuis plus de quinze ans, il entreprend le voyage de Santa Catarina, État de Jalisco, à Wirikuta, au bord du Cerro Quemado (Montagne brûlée), à Real de Catorce, État de San Luis Potosí.

La culture wixárika ou huichol, ainsi que l’a désignée la culture métisse, présente cinq lieux sacrés : un pour chaque point cardinal et un pour le centre. Au nord se trouve Huaxa Manaka dans le Cerro Gordo (Grosse Montagne), État de Durango. Au centre Teakata, à Santa Catarina, Jalisco. À l’ouest Haramara, à San Blas, Nayarit. Au sud Xapawiyemeta dans l’île des Scorpions du lac de Chapala, Jalisco, et à l’est, Wirikuta à Real de Catorce, San Luis Potosí.

Les Wixaritari se rendent en pèlerinage à Wirikuta depuis plus de mille cinq cents ans. Ils doivent se rendre dans chacun de ces lieux sacrés au moins une fois dans leur vie. C’est à Wirikuta que se trouve l’origine de la vie, car là s’est levé le soleil pour la première fois, c’est aussi là que fleurit la plante sacrée, le Hikuri ou peyotl, plante médicinale qui favorise la communication avec les divinités wixaritari.

Nous poursuivons notre conversation, chacun de nous mettant au courant l’autre de ce qu’il est advenu. Combien je suis heureuse de voir avec quel orgueil Pascual parle de ses traditions ; je suis fascinée par le profond respect qui l’habite. Alors que la nuit tombe, je demande à Pascual de me parler des événements récents survenus à Wirikuta. Il garde le silence un moment et raconte :

Le 6 janvier 1992, année de la signature du traité de libre-échange (accord de libre-échange nord-américain, Alena), l’article 27 de la Constitution fut modifié. Il y est dit que la nation peut à tout moment imposer la privatisation ou offrir des concessions, en fonction de l’intérêt national, pour l’exploitation des ressources naturelles, qu’il s’agisse de minéraux, de métaux ou de bois, entre autres. Il mentionne aussi que lesdites concessions ne peuvent être accordées qu’à des compagnies nationales.

En 2008, le président Felipe Calderón lors d’une visite au peuple wixárika, revêtu de l’habit de cérémonie, signa l’accord de Hauxa Manaka et prononça un discours par lequel il affirmait : « … par ce document les gouverneurs traditionnels ici présents, les autorités civiles représentées par les gouverneurs de plusieurs États, ainsi que le gouvernement fédéral, s’engagent à protéger et à renforcer la continuité historique des lieux sacrés et des routes de pèlerinage du peuple wixárika. » (Rapporté le 18 décembre 2011 au cours du programme de Carmen Aristegui sur CNN en espagnol.)

À la suite de cette rencontre, la communauté se sentit rassurée quant au sort de ses centres sacrés déclarés par le gouvernement, onze ans auparavant, Aires naturelles protégées et considérés par l’Unesco comme faisant partie du Réseau mondial des lieux sacrés naturels.

En 2010, la communauté de Real de Catorce, située à trois kilomètres et demi de Wirikuta, reçut la visite d’un groupe d’ingénieurs et de travailleurs de la First Majestic Silver Corp, une compagnie minière canadienne, appuyée par la Minera Real Bonanza ; ceux-ci les informèrent que le gouvernement fédéral avait attribué 22 concessions à ladite compagnie ; ainsi, 70 % (6 326 hectares) de la zone de Wirikuta devenait territoire exploitable par l’entreprise et, par ailleurs, le début de l’exploitation était prévu pour 2013.

Il est important de souligner que cette multinationale exploite actuellement trois mines au Mexique et a trois projets en cours, dont celui de Wirikuta. Pour chacun de ces projets, First Majestic a été épaulée par diverses compagnies mexicaines. N’a-t-il pas été dit que la Constitution prévoit que les concessions ne peuvent être attribuées qu’à des entreprises nationales ?

La First Majestic Silver prévoit d’extraire une tonne de minerai par jour, de laquelle on devrait extraire 10 à 12 kilos d’argent grâce au procédé de flottaison. Ce procédé utilise de grandes quantités de cyanure et de xanthate pour séparer l’argent des autres minerais. Il peut arriver que, de nombreuses années après la fermeture de la mine, le cyanure continue à contaminer l’eau souterraine de la zone. L’exposition prolongée à de faibles niveaux de cyanure peut provoquer des difficultés respiratoires, des douleurs coronaires, des vomissements, des altérations du sang, des maux de tête et une hypertrophie des glandes thyroïdes.

Il faut également prendre en compte les sous-produits de la séparation des minerais, par exemple le plomb et l’arsenic qui pourraient se répandre dans l’atmosphère et dans les flux hydrauliques proches. En outre, la First Real Majestic a indiqué que la mine exigeait trois millions de litres d’eau par jour. Actuellement, le village de Real de Catorce tire son eau du tunnel de la mine de San Agustín, laquelle contient la veine d’argent dont l’exploitation est l’objet du projet de l’entreprise. Pour la défense de ce dernier, First Real Majestic avance qu’une mine comme celle qu’elle veut créer dans la zone aura un impact environnemental et social minime puisque l’essentiel du travail s’effectuera au niveau de couches souterraines. Pour le peuple wixárika, ce sont précisément les métaux qui font de ce lieu un centre d’énergie. Il considère que les minerais sont le cœur de son centre.

À la suite de la guerre des cartels et de la militarisation du pays voulue par le gouvernement fédéral, le tourisme dans la zone de Real de Catorce a baissé de 80 %. Les membres de la communauté se sont vus dans l’obligation d’émigrer et d’abandonner leurs petits négoces. C’est pourquoi cette communauté est aujourd’hui divisée entre ceux qui voient dans la mine une possible opportunité de trouver un emploi et ceux qui la rejettent pour conserver le lieu, les traditions et l’environnement. Divise et tu vaincras ?

Ensuite, Pascual poursuivit en me disant que les peuples indigènes du Mexique doivent se battre pour être respectés. Ces peuples indigènes sont toujours rejetés, piétinés. Permettre la construction de la mine signifie la destruction du peuple wixárika, une des rares cultures indigènes survivantes.

Le feu s’éteignait peu à peu quand Pascual, faisant une courte prière pour offrir un peu de bois à Tatewari, le grand-père feu, me dit : nous n’avons pas perdu espoir. Et c’est pourquoi je te demande aujourd’hui de parcourir ce lieu et d’exiger avec nous l’abandon du projet. Je te demande de t’élever contre ce pillage qui a commencé il y a plus de cinq cents ans et qui continue.

Il y a encore un espoir. Réveille-toi, Mexique ! Bonne nuit.

Texte et photographie :
Irene Bonilla Elvira
Traduit par Silfax.

Message wixárika, Wirikuta, février 2012
(sous-titres en français)

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