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Les zapatistes et La Otra : les piétons de l’histoire (V)

L’heure des définitions ?

vendredi 29 septembre 2006, par EZLN

Cinquième partie
L’heure des définitions ?

L’Autre Mexique.

Le 29 septembre 2006.

Au plus profond de ce cœur collectif que nous sommes, les zapatistes ignorent exactement comment notre parole de la Sexta est parvenue jusqu’à vous. Ce que nous savons, en revanche, c’est que c’est là où vous êtes, chez vous, en partant de votre histoire et de votre lutte, que vous avez répondu « oui » à notre invitation à la Sexta et à ce qu’ensuite nous avons appelé entre nous tous et nous toutes l’Autre Campagne. C’est dans le cœur de chacun et de chacune, tantôt à titre individuel, tantôt collectivement, en tant que peuple indien, en tant qu’organisation politique ou sociale, en tant qu’ONG, en tant que groupe ou en tant qu’individu(e)s que vous vous êtes décidés à emprunter ce chemin qui n’est plus désormais zapatiste mais de beaucoup de femmes et d’hommes, ces tous et toutes que nous sommes.

Au long de cette année qui vient de s’écouler, de cette plénière au Caracol de La Garrucha, le 16 septembre 2005, jusqu’à ces jours agités, nous avons constaté que certain(e)s s’en vont et que certain(e)s autres restent, que certain(e)s autres encore se rapprochent, que certain(e)s autres font du boulot, que certain(e)s autres ne font que « saboter » et créer des obstacles et que certain(e)s autres - les plus nombreuses et les plus nombreux - ont fait leur ce projet. De tels va-et-vient n’ont pas seulement fait du « bruit » au sein de La Otra, ils ont aussi rendu encore plus diffus son visage, sa parole, son chemin.

En tant que zapatistes nous pensons que les douze mois écoulés ont bien servi pour mieux nous connaître. Mais aussi pour découvrir qui nous avait rejoint ou vient de nous rejoindre uniquement pour en tirer un avantage politique : pour essayer de capitaliser un éventuel impact « médiatique » de l’EZLN, pour essayer de s’approprier de La Otra, pour l’orienter vers une politique d’alliance qui lui profiterait, pour voir de quoi il retournait et partir ailleurs pour aller voir aussi ou pour essayer de tout uniformiser selon ses propres critères.

Nous tous et nous toutes, nous pensons que cela a été rendu possible non seulement à cause d’erreurs que nous avons commises (et dont nous avons remarqué et admis certaines, plus celles que vous jugerez bon d’y ajouter), mais aussi parce que La Otra pèche par une forte dose de manque de définition.

Ce qui était au début une vertu, parce que de cette façon nous avions réussi à appeler une vaste gamme de ce qu’il y a de meilleur au sein du mouvement anticapitaliste mexicain, commence maintenant à devenir un poids mort.

Bien que fondamentales, les définitions minimales de l’Autre Campagne restent par trop générales, surtout en ce qui concerne son mode d’organisation sa politique d’alliance, la place des différences, qui est appelé à nous rejoindre et qui ne l’est pas.

En outre, d’après ce que nous avons pu voir et entendre au cours de notre circuit et dans les différentes réunions et assemblées, il est nécessaire de se prononcer pour savoir si les caractéristiques actuelles de La Otra sont complètes ou non. Pour ne prendre qu’un exemple, en bien plus d’une occasion, il a été fait remarquer que la lutte antipatriarcale devrait absolument constituer l’une des caractéristiques essentielles de La Otra.

Un autre problème grave et urgent est le fait que nous n’ayons pas établi clairement la façon dont on prend les décisions au sein de La Otra en tant que mouvement. De sorte qu’une position personnelle, de groupe ou d’organisation (y compris l’EZLN) est présentée comme si c’était la position de l’ensemble de l’Autre Campagne.

Dans les réflexions que nous vous avons communiquées au fil des chapitres précédents, nous avons déjà dit que nous concevions La Otra comme une chose nécessaire pour un l’avenir et que nous disposions donc d’un peu de temps pour nous rencontrer, pour nous situer et pour nous définir.

Comme nous l’avons également exposé, nous tous et nous toutes, nous pensons que le moment d’une crise politique d’en haut qui rend nécessaire une alternative de gauche anticapitaliste est déjà arrivé. En effet, même si la profondeur de crise de la politique d’en haut est nettement palpable, nous autres, tous et toutes les zapatistes, nous savons bien qu’en l’absence d’une alternative d’en bas ceux d’en haut finissent par se débrouiller pour sortir du pétrin et pour se redonner un sursis.

Nous tous et nous toutes, nous pensons que l’heure de La Otra, l’Autre Campagne de ces personne que nous sommes, est venue.

Qu’il nous faut déjà commencer à entamer un contact direct avec tous ceux et toutes celles d’en bas, notre peuple à nous ; et commencer à construire avec elles et avec eux un programme national de lutte.

Non plus seulement connaître, diffuser et relier entre elles les résistances contre le système capitaliste dans notre pays mais aussi commencer à nous organiser à partir de ce plan, de son contenu, de ses objectifs et des étapes et méthodes pour y arriver.

Cependant, nous n’avons pas encore un visage en tant qu’Autre Campagne et nous pensons qu’il est l’heure de nous en faire un, entre toutes et tous. Il est grand temps que s’en aillent ceux et celles qui ne s’identifient pas avec la pensée qui domine au sein de La Otra et que restent et nous rejoignent celles et ceux qui se reconnaissent dans ce visage collectif que nous allons construire.

Nous croyons donc que l’heure est venue des définitions restées en suspens.

Celles que tous et toutes les zapatistes considèrent essentielles sont rassemblées dans les dénommés six points [de la Sixième Déclaration] : les caractéristiques de La Otra ; qui est appelé à la rejoindre et qui ne l’est pas ; la façon de s’organiser (qui comprend ici le mécanisme ou la méthode de prise de décision) ; la place accordée aux différences ; la politique d’alliance, et les tâches immédiates.

Ces points avaient été repérés dans les réunions préparatoires, et lors de la première plénière nous avions proposé qu’ils soient soumis au débat et à la décision de tous et de toutes les adhérents(e)s. Mais nous n’avions pas fixé de date et nous n’avions pas non plus établi la manière dont serait prise en compte la voix de chacun et chacune sur ces questions.

Or prendre en compte tout le monde, tous et toutes, c’est ce qui nous distingue de toute autre proposition, tout autre projet ou mouvement politique.

Pendant plus d’un an, nous avons beaucoup ou peu avancé dans la discussion de ces 6 points. Nous pensons que cette étape doit se conclure et que tout le monde devrait se situer et assumer une définition en tant qu’Autre Campagne.

C’est-à-dire répondre, désormais en tant qu’Autre Campagne, aux questions : « Qui sommes-nous ? », « Où nous en sommes ? », « Comment nous voyons le monde ? », « Comment nous voyons notre pays ? », « Que voulons-nous faire ? » et « Comment voulons-nous le faire ? ».

En fonction de tout ce que nous disons ici, et à cause de tout ce que nous avons vu, entendu et dit au long de cette année, nous vous proposons :

1. Que tou(te)s les adhérent(e)s, tou(te)s ensemble, concluent d’ores et déjà notre analyse, notre discussion et notre définition et que nous prenions position en ce qui concerne :
1) Les caractéristiques fondamentales de La Otra (bref, son identité collective) ;
2) Sa structure (comment nous établissons des relations entre nous) ;
3) Sa politique d’alliance (qui soutenons-nous, avec qui nous unissons-nous) ;
4) La place des différences (où nous en sommes) ;
5) Qui sont appelés à nous rejoindre et qui ne le sont pas (qui est compañera ou compañero et qui ne l’est pas) ;
6) Les tâches communes à tou(te)s les adhérent(e)s (en plus de celles que tout le monde a déjà dans ses propres luttes).

2. Que la conclusion de cette analyse, de ce débat et de cette définition s’effectue précisément là où l’on avait décidé d’adhérer à la Sexta, qu’il s’agisse d’un peuple indien, d’une organisation politique ou sociale, d’une ONG, d’un groupe, d’un collectif, d’une famille ou à titre individuel. C’est là que chacun et chacune résistent et se battent, et c’est là que chacun et chacune discutent et décident du type d’Autre Campagne qui serait la meilleure pour ce que nous envisageons de faire ensemble.

3. Que toutes celles et tous ceux qui le souhaitent puissent faire connaître aux autres leurs positions et leurs arguments, dans le cadre de cette analyse et de cette discussion. Il est vrai que pour l’instant nous n’avons pas d’autre espace commun que celui des pages des sites électroniques de la Commission Sexta et des organisations, groupes et collectifs qui en ont. Mais nous pensons que nous devrions tous et toutes mettre au service de cette analyse et de cette discussion les moyens dont disposons, tout réduit et limité que ce soit. À travers articles, programmes de radio ou de TV alternatifs, blogs, courriers, tables rondes, réunions, conférences, tracts, journaux, assemblées ou de toute autre façon, on pourrait faire connaître aux autres adhérent(e)s l’opinion des individus, des familles, des groupes, des collectifs et des organisations en ce qui concerne chacun de ces 6 points. Par exemple, la critique du patriarcat (ce que cela signifie, pourquoi et comment La Otra doit être antipatriarcale...) Bref, créer un débat intense, mais toujours respectueux, autour des idées et des propositions de chacune et chacune.

4. Que cette analyse, ce débat et cette définition interne au sein de La Otra se termine courant octobre et novembre 2006.

5. Que la décision de chacun et de chacune soit reprise dans une consultation de tous et toutes les adhérent(e)s. Une consultation interne de La Otra universelle, où l’opinion de chacun et de chacune des adhérent(e)s soit écoutée et prise en compte, sans qu’importe ni le lieu d’où on parle, ni la langue que l’on parle, ni l’âge, ni la race, ni les préférences sexuelles, ni les études, ni les dons d’orateurs ou la difficulté à s’exprimer en public, etc., mais uniquement le fait d’avoir adhéré à la Sixième Déclaration. Un vote de tous et toutes les adhérent(e)s, en somme.

6. Que cette consultation se fasse du 4 au 10 décembre 2006.

7. Que ladite consultation soit organisée par les différentes unités de travail existantes ou que l’on en crée expressément. Et que, s’il y a des gens qui ne peuvent pas participer à une assemblée ou à une réunion, pour une raison ou pour une autre, il y ait quelqu’un de La Otra qui se déplace jusqu’au lieu où ils travaillent, étudient ou vivent, leur demande leur opinion sur chacun des six points et le mette par écrit, qu’il s’agisse d’une ou plusieurs personnes.

8. Que l’on respecte les « manières de faire » que chacun et chacune ont de se manifester et de faire connaître leur opinion, que ce soit une déclaration à titre individuel ou familial, de groupe, d’organisation ou de peuple indien.

9. Que chaque unité de travail décide de la forme et du contenu à donner à cette consultation à l’endroit où elle la réalisera.

10. Pour toutes les personnes qui le souhaiteraient, la Commission Sexta propose ses services pour recevoir une opinion et faire en sorte qu’elle soit prise en compte (même si elle ne correspond pas à la nôtre ou si elle est contraire à ce que nous soutiendrons en tant que zapatistes) dans le cadre de la consultation interne de La Otra.

11. Une fois terminée la consultation, que chacune des unités de travail fasse connaître publiquement sur le site d’Enlace zapatista les résultats obtenus et où ils l’ont été. De cette façon, nous pourrons tous et toutes faire le compte et savoir ce qu’a décidé la majorité.

12. Que, une fois que tout le monde a pris connaissance du résultat final, tous et toutes les adhérent(e)s en soient informé(e)s par le même canal que celui qui a servi à les consulter.

13. Que de cette manière La Otra possède une définition claire de ses caractéristiques, de l’organisation qu’elle s’est choisie, de sa politique d’alliance, des lieux où sont chacun et chacune, des gens qui en font partie et des gens qui n’y sont pas, ainsi que des tâches communes fixées pour la fin de l’année.

14. Qu’en février 2007 commence une autre étape de l ?Autre Campagne, qui consiste à élaborer son programme national de lutte, avec la participation directe de délégué(e)s de la Commission Sexta de l’EZLN et en contact direct avec nos communautés, ainsi qu’à entamer les tâches générales qui auront été fixées, comme la lutte pour la liberté et la justice pour les prisonniers et pour les prisonnières d’Atenco, la libération de tou(te)s les prisonniers et prisonnières politiques du Mexique, la présentation en vie des disparu(e)s et l’annulation de tous les mandats d’arrêt contre des opposants du mouvement social.

15. Que les adhérent(e)s qui sont d’accord avec cette proposition nous le fassent savoir par les différents types de courrier, à travers les unités de travail de l’organisation de La Otra dans tout le Mexique ou par les moyens qu’ils et elles jugeront bons.

Voilà notre proposition, compañeras et compañeros de l’Autre Campagne.

Pour le Comité clandestin révolutionnaire indigène
Commandement général de l’Armée zapatiste de libération nationale.

Commission Sexta.
Commandante Gabriela (déléguée un).
Commandant Zebedeo (délégué deux).
Commandante Miriam (déléguée trois).
Compañera Gema (déléguée quatre).
Commandante Hortensia (déléguée cinq).
Commandant David (délégué six).
Commandant Tacho (délégué sept).
Sous-commandant insurgé Marcos (délégué zéro).

Mexique, septembre 2006.

Traduit par Ángel Caído.

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