la voie du jaguar

informations et correspondance pour l’autonomie individuelle et collective


Accueil > essais et documents > réflexions et analyses > Le « développement durable » : écologie ou escrologie ?

Montes Azules : les enjeux

Le « développement durable » : écologie ou escrologie ?

septembre 2004, par Inka

Il fut un temps où écologistes et capitalistes s’opposaient de manière farouche. Or, depuis quelques années, le discours libéral tente de brouiller les pistes. Dans sa volonté d’englober tous les aspects de la vie en société, la dynamique capitaliste s’est aujourd’hui emparée du domaine de la conservation de la nature. C’est ce qui se traduit dans les instances du pouvoir par la notion du « développement durable ».

Dispensé à l’échelle planétaire par des programmes gouvernementaux et internationaux, le développement durable apparaît aujourd’hui comme une réponse subtile aux enjeux de la mondialisation : sous couvert de protection de la nature et de lutte contre la pauvreté, il s’apprête à garantir l’accès aux ressources naturelles en différents endroits de la planète, à insérer des régions encore marginalisées dans la dynamique globale du marché et à profiter ainsi de ressources encore inexploitées, le plus souvent naturelles, mais aussi humaines.

Dans cette optique, les forêts tropicales de l’Amérique centrale représentent un enjeu stratégique, de par leur grande biodiversité, leurs ressources naturelles en eau, pétrole et minerais. Il existe un projet très concret d’élaboration d’un Corridor biologique méso-américain (CBM) entre sept pays d’Amérique centrale, s’inscrivant dans un plan plus global d’intégration économique, le Plan Puebla Panama (PPP). Le Corridor devra permettre de réglementer et de contrôler les conditions d’accès mais aussi de relier par diverses infrastructures les activités économiques envisagées autour des zones protégées. L’ambition officielle du CBM : la conservation biologique et la promotion du développement humain et durable.

Lors d’une réunion à Paris en décembre 2002, appelée par la Banque mondiale, de nombreux partenaires associés à ce projet ont approuvé un cofinancement de 470 millions de dollars, répartis sur quatre ans, entre 2003 et 2007. À savoir : les gouvernements allemand, anglais, japonais, canadien, danois, espagnol, états-unien, suisse, suédois, l’Union européenne, différents organismes internationaux (BM, BID, BCIE, le Fonds international pour le développement agricole, le Fonds international pour l’environnement) ainsi que les Nations unies à travers les programmes PNUD et PNUMA.

Selon le Mouvement mondial pour les forêts (MMF), les risques implicites à ce projet sont évidents : « Le CBM surgit à un moment où le monde commence à reconnaître en la biodiversité une valeur planétaire. Mais cette reconnaissance s’insère aussi dans un contexte, où tout est rapidement converti en marchandise. Si le modèle implicite du PPP venait à triompher, le CBM fera partie du plan d’extraction et de dégradation des ressources naturelles. »

Cependant pour le MMF, comme aussi pour d’autres ONG environnementalistes, « l’idée d’un système de zones protégées que préconise le Corridor biologique dans la région, pourrait également être un pas important vers l’amélioration de la qualité de vie des populations et vers une exploitation adaptée des ressources naturelles ».

À condition toutefois que le projet soit guidé par « une vision socialement juste et écologiquement respectueuse qui est le résultat d’une participation informée, réelle et libre des populations locales », bref, dans un autre monde...

Cela étant, de nombreuses ONG et fondations privées sont directement impliquées dans le projet, intéressées par le potentiel écologique ou économique de la biodiversité et des ressources naturelles, voire dans bien des cas, par les deux aspects réunis. Parmi les plus virulents figurent Conservation Internationale, la Fondation Ford, le WWF et Pronatura.

Dès l’année 2000, Conservation International, qui compte parmi ses plus grands financeurs la Walt Disney Company, McDonald’s, Ford Motor Company, Exxon Mobil Fundation, Chiquita Brands International, ainsi que l’Agence pour le développement international du gouvernement états-unien (Usaid) lancent ensemble avec le WWF une vaste campagne dans l’opinion publique pour dénoncer la présence illégale de communautés zapatistes au sein de la Réserve des Montes Azules dans la forêt Lacandone. Ils accusent les communautés paysannes d’être la cause principale de la dégradation de cette dernière forêt tropicale humide du Mexique et s’empressent de demander qu’on les expulse.

Pour sa part, Conservation International s’introduit dans différentes réserves tropicales à partir de 1989, dans le but d’attirer des investissements privés dans des projets de « conservation de l’environnement ». Que ce soit en s’associant avec McDonald’s pour promouvoir des projets d’écotourisme, avec la Starbucks Company, pour produire du café organique, ou avec British Petroleum, Chevron-Texaco, Shell et Statoil pour « intégrer les actions de conservation de la biodiversité dans le développement des techniques d’extraction et de distribution de pétrole et de gaz », Conservation International représente un véritable cheval de Troie des grandes entreprises transnationales et du gouvernement des États-Unis dans la bataille pour le développement durable.

La Réserve de la biosphère des Montes Azules

La Réserve intégrale de la biosphère des Montes Azules (Ribma), créée en 1978, est située au cœur de la forêt Lacandone, occupant 331 200 hectares dans les communes d’Ocosingo et de Las Magaritas, au Chiapas.

Les limites de la Ribma sont déterminées par l’existence d’importants gisements de pétrole. Au sein d’une zone plus large, La Zone Lacandone, qui inclut 75 % de la Ribma, six autres Zones nationales protégées (ANP) ont été créées, toutes incluses aujourd’hui dans le projet du Corridor biologique méso-américain.

En janvier 2004, l’Union européenne a conclu un autre accord de financement, parallèle, pour 15 millions d’euros, appuyant officiellement le gouvernement mexicain dans sa lutte contre la pauvreté et contribuant aux renforcements des « actions de conservation des ressources naturelles » de la forêt Lacandone. Ce projet a été confié à l’Agence publique allemande de coopération (GTZ), qui parraine déjà le projet du CBM.

Si l’on s’en tient à ces professionnels de la coopération, le projet consiste à identifier, à valider et à diffuser des pratiques d’exploitation de la terre dans les zones tampons et périphériques ainsi que dans les corridors biologiques entre les zones protégées. Pratiques qui soient écologiquement soutenables et économiquement attractives. Il s’agit de contribuer à freiner la progression de la « frontière agricole » en impliquant des connaissances traditionnelles mais aussi des pratiques innovantes ainsi que des expériences d’autres pays et projets du domaine agricole, sylvicole et d’élevage.

Rien de très précis pour ce qui adviendrait réellement des paysans indigènes. Mais eux ne sont pas dupes : un paysan sans terre est un esclave pour les maquiladoras, les usines de montage (voir cet autre projet de développement économique pour la zone figurant clairement dans le PPP).

Mais ce qui est aussi dans tous les esprits, c’est que les pratiques innovantes les plus attractives pour la région se situent aujourd’hui dans le secteur de la bioprospection qui fournit les matières premières nécessaires aux entreprises agrochimiques, pharmaceutiques et biotechnologiques. Cette activité consiste à recenser les richesses biologiques. Séquences génétiques ou organismes entiers sont alors brevetés par des entreprises privées et les chercheurs à leur solde. Bien protégées par les lois sur la propriété, les entreprises se garantissent ainsi les droits exclusifs de les exploiter commercialement.

La demande est en forte hausse et dans ce domaine Conservation International a passé des accords avec plusieurs corporations. En collaboration avec le gouvernement mexicain et la société mexicaine Pulsar (neuvième grand groupe de biotechnologies dans le monde), l’ONG a installé plusieurs stations de recherche dans la forêt Lacandone et au sein de la Ribma que les habitants locaux considèrent comme des bases de biopiratage.

Dans ce contexte, qui est éminemment politique, l’on devra retenir le nom d’Alfonso Roma, à la fois PDG du groupe Pulsar et membre du conseil de direction de Conservation International. Il est aujourd’hui considéré comme l’une des personnes les plus influentes de l’administration Fox au Mexique.

Pour l’agence allemande GTZ, l’introduction d’un développement régional intensif et sa coordination avec la gestion des zones protégées doit être garantie politiquement et légalement tant au niveau de l’État du Chiapas qu’au niveau fédéral. Pour cela, le suivi politique représente une partie importante des activités du projet.

Qu’est-ce que cela signifie ?

La forêt Lacandone et le Haut-Chiapas ont été ces dix dernières années le théâtre de ce que les communautés zapatistes appellent la construction de l’autonomie des peuples indigènes, une terre naturellement et mythologiquement riche pour semer des rêves.

À la suite du soulèvement armé de 1994, l’EZLN contrôla la forêt pendant plus d’un an en appliquant la « loi agraire révolutionnaire » qui a remis en possession collective certaines terres récupérées des grandes exploitations, a interdit la taille irrationnelle de la forêt pratiquée pendant trois décennies par des entreprises semi-publiques ainsi que la vente des « richesses naturelles des peuples indigènes ».

La forêt reste encore aujourd’hui un refuge important non seulement pour l’armée zapatiste, mais aussi pour les déplacés de la guerre que mène le gouvernement mexicain contre les communautés insurgées et leurs bases de soutien.

En février 2002, la commune autonome Ricardo Flores Magon située au sein même de la Ribma annonce qu’au total 51 communautés sont menacées directement par la politique de conservation de l’environnement du gouvernement.

Jusqu’à aujourd’hui, toute la présence militaire et paramilitaire avec son lot de crimes, de harcèlement et d’intimidation au quotidien, n’aura pas suffi à briser la détermination des communautés zapatistes. Pour les instances exécutives du gouvernement, la bataille environnementale est alors un excellent alibi pour accentuer la guerre anti-insurrectionnelle menée sans relâche depuis dix ans.

Par les différents projets élaborés, l’étau se serre un peu plus autour des zapatistes. Avec les deux colosses, les États-Unis, d’un côté, et la flexible Union européenne, de l’autre, les grands prédateurs se pressent sur le pas de la porte. Mais José Campillo, directeur de l’Agence fédérale pour la protection de l’environnement (Profepa), le sait bien : « Tant que ces zones de forte ingouvernabilité n’auront pas été récupérées, les investisseurs privés ne viendront guère. »

(24 avril 2004)


Sources :

Dossier du Ciepac
(Centro de Investigaciones Económicas y Politicas de Acción Comunitaria)
datant du 2 mars 2004.

Communiqué de Maderas del Pueblo del Sureste du 2 mars 2004.

Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

SPIP | Octopuce.fr | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0