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Sommet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)

La préparation des mobilisations de Cancún à Mexico

jeudi 4 septembre 2003, par Geoffrey Pleyers

Du 10 au 14 septembre prochain aura lieu le sommet ministériel de l’OMC à Cancún, dans le sud-est du Mexique. Malgré les enjeux extrêmement importants des négociations qui y auront lieu, les opposants à l’OMC ne seront sans doute pas extrêmement nombreux dans les rues de Cancún. Si certaines des causes sont à rechercher au sein même du mouvement social mexicain, d’autres sont liées à la situation géographique de cette ville et à son contexte socio-politique. En effet, depuis Seattle, les « grands de ce monde » ne choisissent pas au hasard le lieu de leur réunion. Le sommet précédent de l’OMC a eu lieu dans le désert d’un pays dictatorial, à Doha et le G8 s’est réuni dans les montagnes du Canada puis d’Evian. Cancún est une ville balnéaire, très chère pour les Mexicains et située à un peu plus de vingt-quatre heures de voyage en car de la capitale. Pourtant, comme lors de toute mobilisation altermondialiste international, la base du succès repose avant tout sur la mobilisation de la société civile nationale. Il est dès lors intéressant de se pencher sur les préparatifs de Cancún au sein des coalitions et mouvements mexicains.

Si la réunion de l’OMC à Cancún est prévue de longue date, ce n’est qu’avec l’insistance des mouvements sociaux internationaux que les Mexicains ont pris conscience de l’importance de se mobiliser pour un tel sommet. Ainsi, ce sont les étrangers plutôt que les Mexicains qui ont désigné Cancún comme une étape fondamentale de la protestation altermondialiste, comme l’ont illustré divers événements, déclarations et attitudes lors du dernier Forum social mondial. Cependant, depuis plusieurs semaines, un travail de diffusion d’information quant à l’OMC et aux enjeux du sommet de Cancún est réalisé par différents acteurs de gauche et notamment par le quotidien La Jornada.

Sans entrer dans les détails, il faut commencer par signaler que les mouvements sociaux mexicains sont globalement assez divisés, c’est particulièrement le cas au niveau des syndicats dont les plus puissants demeurent ancrés dans la logique corporatiste en vigueur lors des sept décennies du PRI (le parti-État au pouvoir jusqu’en 2000). La méfiance règne entre différents secteurs des mouvements sociaux et la volonté d’unité affirmée par tous les acteurs n’est pas toujours sincère. Certes, tous reconnaissent l’importance de s’unir face à un adversaire commun, dans ce cas-ci l’OMC, mais beaucoup aimeraient que cette convergence se fasse autour de leur mouvement. Différentes coalitions affirment ainsi leur volonté de rassembler tous les mouvements sociaux mexicains contre le néolibéralisme. Face aux sommets de Cancún, plusieurs acteurs se sont organisés. Leur coordination est variable et leur entente parfois mauvaise, quand il ne s’agit pas de « guerre larvée » pour employer le terme de certains leaders. Tous espèrent que la pression liée à la présence des militants étrangers contribuera à rendre une certaine harmonie au contre-sommet de Cancún.

Depuis plusieurs mois, le réseau mexicain de lutte contre l’ALCA, membre de l’importante Alliance sociale continentale s’est transformé en « Espace mexicain contre l’OMC » qui accueille un nombre plus large d’associations mais est toujours formé autour du Réseau mexicain d’action contre le libre commerce (ReMALC). Si les acteurs sociaux de cette coalition sont divers, l’essentiel des débats est mené par quelques représentants d’ONG, et particulièrement celles qui forment le comité de la ReMALC. Certes quelques jeunes et plusieurs mouvements sociaux assistent aux réunions mais gardent un rôle marginal malgré l’importance des actions qu’ils mènent en vue du sommet de Cancún.

Depuis avril dernier, cinq réunions générales de cet espace mexicain ont été convoquées et diverses commissions ont travaillé en vue de l’organisation du Forum des Peuples qui se tiendra à Cancún du 9 au 14 septembre. Appuyé sur divers réseaux internationaux d’ONG et sur le Forum social mondial, ce Forum devrait ressembler à un petit Porto Alegre, comptant plusieurs dizaines de séminaires et d’ateliers organisés dans toute la ville de Cancún, des hôtels au terrain de baseball. Au sein de ce forum des peuples seront notamment organisés deux jours de réunions du réseau de mouvements sociaux né lors du dernier Forum social mondial, une réunion mondiale contre la guerre, le lancement du quatrième Forum social mondial, un forum des femmes ainsi qu’une rencontre très attendue intitulée « Zapatisme et résistance globale ». En effet, lors de la récente ouverture des « Caracoles » (escargots) zapatistes, les insurgés chiapanèques ont pour la première fois accepté l’invitation à participer à un contre-sommet altermondialiste.

Une réelle volonté de rassemblement était à l’origine de ce forum qui entend regrouper des initiatives prises par de multiples associations nationales et internationales. Le forum syndical et celui des indigènes, la foire du commerce équitable et une cinquantaine d’autres événements s’inscrivent ainsi dans ce Forum des peuples tout en demeurant très indépendants. Néanmoins, suite à de nombreuses dissensions, le forum paysan ne s’est pas inscrit dans ce forum des peuples.

Force est de constater que lors de toutes les réunions préparatoires de ce forum des peuples au niveau mexicain, il a été très peu question d’action. Toute l’attention s’est concentrée sur l’organisation de conférences et de discussions autour des thèmes habituels chers aux altermondialistes. Certes, tous participeront à la marche paysanne et relègueront l’initiative internationale du 13 septembre, mais aucune protestation n’est prévue par cet Espace mexicain le jour de l’ouverture de la conférence de l’OMC.

D’autres acteurs sociaux ont obtenu leur accréditation pour participer au sommet de l’OMC. La plupart des personnes accréditées sont des leaders d’ONG qui participent par ailleurs au forum des peuples et des communications quotidiennes sont prévues entre « ceux de dedans et ceux de dehors ». Parmi les multiples initiatives prévues « dedans », signalons notamment la remise d’une pétition d’Oxfam ayant récolté 3,7 millions de signatures.

Depuis janvier 2003, la plupart des produits agricoles ont été libéralisé au Mexique dans le cadre du Traité de libre commerce d’Amérique du Nord (TLCAN). Dans ces conditions, les paysans mexicains laissés à l’abandon ne peuvent concurrencer leurs voisins du Nord bien équipé et subventionnés. Depuis décembre 2002, les mobilisations paysannes sont donc importantes au Mexique. La plupart sont le fait d’une coalition appelée El Campo No Aguanta Más. La plus importante des associations rassemblées en ce cadre, l’UNORCA, fait partie de l’internationale paysanne Via Campesina. Elle a été la première à appeler à la mobilisation à Cancún et a promis d’amener 10 000 paysans. Leurs activités principales auront lieu dans le cadre du Forum paysan ainsi que lors de la manifestation du 10 septembre. Vu l’importance relative du nombre des paysans et étant donné que ces organisations centrent leur mobilisation sur cette date plutôt que sur l’initiative internationale du 13 septembre, le mercredi 10 devrait voir la manifestation la plus nombreuse à Cancún.

Mais, au niveau de la société civile qui se rend à Cancún, le groupe le plus novateur est sans aucun doute celui des jeunes Mexicains. Si leur réseau a tardé à se mettre en place, depuis plusieurs semaines, ils sont parvenus à se réunir au sein d’une très large coalition baptisée « Résistance globale » qui rassemble des anarchistes radicaux aux jeunes proches d’ONG. Ayant été capable d’aborder ensemble des problèmes clés tels que ceux de la violence et de l’autonomie de chaque association, ils ont construit une convergence solide et espèrent que « Cancún servira de trampoline pour réveiller les mouvements sociaux qui sont endormis ». Une caravane d’une quinzaine d’autocars partira du centre du pays ce 6 septembre pour rejoindre Cancún deux jours plus tard, s’arrêtant dans plusieurs villes pour de brefs meetings. Cette caravane sera rejointe par quatre autocars du Chiapas.

S’ils ne sont pas extrêmement nombreux par rapport aux rendez-vous altermondialistes européens ou nord-américains, ces jeunes sont particulièrement motivés et bien organisés. Ainsi, des dizaines de groupes d’affinité ont d’ores et déjà été formés et se regroupent dans trois blocs de couleurs différentes suivant le type d’action et le degré de confrontation envisagés. Dans le campement des jeunes proclamé « sans drogue et sans alcool », des ateliers, des débats et des discussions seront certes organisés, mais, contrairement aux ONG, là n’est pas l’essentiel pour ces jeunes qui seront à Cancún principalement pour manifester leur opposition à l’OMC dans les rues de la ville. Ainsi, chaque jour différents types d’action sont prévues. Si certaines tenteront de bloquer les ministres qui se rendront au sommet, la plupart des actions laissent une large place à la créativité. Les jeunes reprendront ainsi symboliquement les espaces devenus privés, comme les rues et les plages de Cancún. Ils entendent également dénoncer la privatisation des services publics.

Par ailleurs, divers partis politiques mexicains ont également décidé de se rendre à Cancún, notamment le PRI et le PRD. Comme à Porto Alegre, un forum parlementaire s’y tiendra le 8 septembre.

À ces militants de la société civile mexicaine viendront s’ajouter bon nombre d’altermondialistes internationaux, bien que les conditions d’accès au territoire mexicain aient été restreintes. De nombreuses ONG internationales, surtout nord-américaine, sont ainsi mobilisées alors que Via Campesina, dont le siège est au Honduras, amènera des paysans d’Amérique centrale et du monde, même si José Bové, l’une des figures de proue de la bataille de Seattle, a été retenu par les autorités françaises. De nombreux jeunes étrangers se sont rendus à la mi-août au grand rassemblement zapatiste des Caracoles. Une partie d’entre eux ont prolongé leur séjour jusqu’à Cancún. Cependant, le nombre de participants et le succès de la protestation dépendent avant tout des militants locaux et nationaux. Or ceux-ci devraient être bien moins nombreux que lors des récents sommets internationaux en Europe ou en Amérique du Nord. De plus, à ce niveaux, les militants mexicains restent sur deux échecs : ceux des contre-sommet de Cancún en 2001 et de Monterrey en 2002.

Mais un autre facteur pourrait changer les choses. En effet, plutôt que les mobilisations contestataires, ce sont les dissensions internes de l’OMC qui ont été déterminante dans l’échec des « négociations du millénaire » à Seattle. Avant l’ouverture du sommet de Cancún, les divergences sont peut-être plus grandes que jamais. Dans les deux principaux domaines de négociation à l’ordre du jour (l’agriculture et la propriété intellectuelle) [1], différents pays du Sud ont lancé des contre-propositions face à l’accord Union européenne - États-Unis. Ainsi, le 20 août, le Brésil a diffusé un texte alternatif en matière d’agriculture qui est aujourd’hui soutenu par bon nombre de pays du Sud, parmi lesquels la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud. En ce qui concerne les nouveaux thèmes à négocier, les pays du Sud ont affirmé qu’il n’y aurait pas de pourparlers avant que ne soient accomplies les promesses des pays du Nord en matière d’agriculture et de propriété intellectuelle. Néanmoins, il ne s’agit pas de sous-estimer les moyens de pressions dont disposent les pays riches. De plus, ces derniers n’ont jamais hésité à lancer des promesses et à signer des accords afin de faire avancer leurs intérêts dans les négociations, quittent à revenir quelques mois plus tard sur les accords signés.

Lors du dernier sommet de l’OMC à Doha, peu après le 11 septembre 2001, Robert B. Zoellick, délégué du commerce de l’administration Bush, avait posé le libre commerce et le néolibéralisme comme unique alternative au terrorisme, s’appuyant sur la tragédie du 11 septembre pour exiger l’union derrière les États-Unis et faciliter l’acceptation de leurs propositions. Cette année, le second anniversaire des attentats marquera la moitié du sommet de Cancún, mais les opposants aux libéralismes entendent commémorer ce même jour le trentième anniversaire du coup d’État sanglant du général Pinochet au Chili, appuyé par les États-Unis et considéré comme « le début de l’imposition du néolibéralisme en Amérique latine » et la fin de l’expérience menée par ce pays.

Geoffrey Pleyers

Source : RISAL

Notes

[1Parmi les nombreux textes présentant les enjeux des négociations de Cancún, celui d’Arnaud Zacharie est particulièrement clair et intéressant. Cf. « Les enjeux de la conférence de Cancún », Centre national de coopération au développement, Vade mecum, août 2003.

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