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L’autre guerre d’Oaxaca

lundi 23 octobre 2006, par Carlos Beas Torres

« Maintenant on est prévenus, ceux de San Felipe et ceux d’El Porvenir, on se tient prêt pour quand ils arriveront, ces sales Indiens de l’APPO. » C’est avec ces mots que don Angel, un riche éleveur de bétail du Bajo Mixe, dont les liens avec la mafia sont bien connus, a menacé à mots couverts un dirigeant indigène de cette région. Deux jours après, le petit groupe de commerçants et d’éleveurs qui dominent la vie du village de Maria Lombardo, Cotzocón, Oaxaca, a propagé la rumeur : « Ceux de l’APPO vont arriver, ils vont saccager les magasins et brûler les maisons », créant ainsi un grand alboroto [tapage], comme on dit dans la région.

Ce même type de rumeur et de menaces circule constamment dans toutes les régions de l’État [d’Oaxaca] ; et pas seulement dans les petits villages isolés, mais aussi dans les grandes villes comme Tuxtepec, Marías Romero ou Miahuatlan. À Matías Romero, des priistes [partisans du Parti révolutionnaire institutionnel, PRI] bien connus ont brûlé la radio La Consentida et le lendemain ont diffusé la rumeur selon laquelle l’APPO irait saccager les locaux du marché du 12 octobre, créant peur et angoisse chez quelques commerçants crédules.

Dans l’Isthme, les opérateurs des radios indigènes sont constamment harcelés et menacés de mort, menaces qui se sont étendues à leurs proches. Elles ont d’abord été dirigées contre Radio Huave, la plus puissante radio communautaire de l’Isthme, puis sur le coordinateur de Radio Ayuuk, et aujourd’hui le président municipal de San Dionisio del Mar menace lui-même le responsable de Radio Umalalang. C’est l’« autre guerre », celle qui s’étend aussi aux opérateurs de radio et en particulier aux journalistes du quotidien Noticias.

Mais, au-delà des menaces et des rumeurs qui sèment l’angoisse et créent un climat de lynchage, c’est la guerre sale et déclarée des porros [nervis] et policiers en civil, qui séquestrent et torturent des étudiants et des activistes comme Pedro García García et Ramiro Aragón. C’est l’agression vicieuse, qui opère dans l’ombre et a coûté la vie à au moins six habitants d’Oaxaca, comme Alejandro, un peintre d’enseignes solidaire assassiné par un militaire et un enseignant opposant au mouvement. Ils auraient bien pu être assassinés par les promoteurs de cette guerre sale pour faire endosser le crime à l’APPO et déclencher ainsi de graves affrontements.

C’est la guerre sale, menée par des groupes de priistes, qui se présentent comme de bons pères de famille, mais sont en réalité des policiers habillés en civil accompagnés de chauffeurs de taxis.

Les menaces et agressions de la part des représentants du gouvernement fédéral, des présidents municipaux et des dirigeants du PRI font partie du plan exécuté depuis plus de trois mois par le gouverneur Ulises Ruiz, qui cherche désespérément à se maintenir au pouvoir, sans prendre en compte le coût que pourraient avoir ces affrontements.

Les grands médias ont porté toute leur attention sur l’autre visage de la guerre, ils ont rendu compte des vols d’hélicoptères sur la ville d’Oaxaca et du débarquement en nombre des soldats à Salina Cruz et Huatulco. Pourtant l’autre guerre, celle de tous les jours, celle qui ne s’écrit pas, celle qui avance masquée, se poursuit, nourrissant le danger d’une grande confrontation à Oaxaca.

Il y a deux guerres à Oaxaca. L’une au visage de l’invasion militaire, l’autre perpétrée par les caciques et gouvernants locaux qui sont prêts à tout pour éviter de perdre les privilèges qui leur ont permis de gouverner de manière ininterrompue depuis soixante-dix-sept ans. Et tandis que le Sénat de la République résiste à défaire le pouvoir de cette région, les agresseurs agissent la nuit, et rapidement.

Carlos Beas Torres,
membre de l’Ucizoni
(Union des communautés indigènes
de la zone nord de l’Isthme)

Tribune parue dans La Jornada,
le 16 octobre 2006.

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