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L’altermondialisme mexicain

samedi 19 juin 2004, par Luis Hernández Navarro

L’altermondialisme au Mexique a une capacité de mobilisation limitée. Depuis février 2001, durant la rencontre régionale du Forum économique mondial, réalisée à Cancún, ses forums alternatifs et ses appels à participer aux protestations ont connu peu de succès en termes d’assistance. Son impact sur la société mexicaine a été faible jusqu’à présent.

C’est un fait qui ne laisse pas d’être ironique. L’altermondialisme en Europe et aux États-Unis reconnaît dans le soulèvement zapatiste de janvier 1994 et dans la réalisation des deux Rencontres pour l’humanité et contre le néolibéralisme, convoquées par l’EZLN, des moments clefs de la fondation de son mouvement.

Il se trouve, de plus, que le Mexique a été le terrain d’expérimentation de l’une des modalités les plus agressives du Consensus de Washington. La globalisation néolibérale a produit ici des millions de victimes sociales et un mécontentement profond dans de larges couches de la population.

Cependant, ceux qui participent aux circuits altermondialistes n’ont pas pu canaliser le malaise de la population à l’égard du libre-échange. Ils n’ont pas été non plus capables de montrer au grand public la relation qui existe entre la détérioration de ses conditions de vie et les accords qui sont pris lors de sommets des organismes multilatéraux qui se réalisent au Mexique.

D’une manière très schématique, on peut dire que dans l’altermondialisme mexicain deux camps coexistent d’une manière problématique. D’un côté, une série d’organisations non gouvernementales (ONG) comptant des années de travail dans le monde de la coopération internationale, dotées d’une infrastructure, d’un personnel professionnel et d’un financement ; elles font fréquemment partie de réseaux transnationaux plus vastes. De l’autre, un archipel de collectifs de jeunes gens sans structure stable, dont beaucoup ont une vocation de contre-culture mais sont dépourvus de ressources économiques.

À ces deux camps se joignent, à des moments spécifiques, aussi bien des associations corporatives de travailleurs ou de paysans qui ne font pas de l’altermondialisme le centre de leur action, que des organisations de partis ou de protopartis d’inspiration marxiste-léniniste classique qui refusent d’être des critiques de la globalisation et s’assument, basiquement, comme anti-impérialistes. Les travailleurs de l’électricité ou les producteurs ruraux de l’Union nationale des organisations régionales paysannes autonomes (Unorca) sont des exemples du premier type d’organismes ; le Front populaire révolutionnaire est un exemple de la seconde classe de groupements.

La majorité des ONG qui interviennent dans le mouvement altermondialiste sont des groupes sans membres. Leur présence résulte des années de travail qu’elles ont consacrées à des sujets comme le commerce mondial, des relations internationales qu’elles ont tissées, des ressources dont elles disposent pour faire leur travail et leurs études et des propositions qu’elles ont élaborées. Elles consacrent fréquemment une partie de leur activité au lobbying ou à des entrevues avec des services publics ou des organismes multilatéraux. La longue liste de sigles que plusieurs de leurs convocations publiques accumulent a régulièrement très peu d’incidence à l’heure de mobiliser des contingents sociaux sur des protestations spécifiques. Les critiques leur reprochent de se comporter comme des colonels sans troupe et d’assumer une représentation au nom de la société civile que personne ne leur a octroyée.

L’archipel des associations qui luttent contre la globalisation néolibérale a crû dans les dernières années de manière accélérée. Pour beaucoup de jeunes gens, l’altermondialisme est devenu une façon d’être simultanément internationaliste, contemporain et authentique. Dotés d’un sens de la solidarité et de la coopération, ils rejettent, parfois pour des considérations éthiques, la marchandisation de la vie quotidienne et la destruction de l’environnement. Ils combinent l’étude, la réflexion, l’art et l’action politique. Ils fondent des bibliothèques, donnent des conférences et se réunissent régulièrement. Ils font tout ce que la gauche de parti a abandonné il y a des années pour se consacrer à organiser des élections. Leur idéologie est ouverte et la grande majorité considère que la résistance civile pacifique est une forme de lutte importante.

C’est ainsi qu’ont surgi des groupes du type de la batucada pink and silver mexicana Ritmos de Resistencia, inspirée en partie par Infernal Noise Brigada, de Seattle, et par les bandes européennes Rythms of Resistance, de Londres et Amsterdam, et Batucada Intergalactique, de Paris. Des initiatives comme Nueva Orden Mundial, dans lequel des étudiants artistes font une performance de rue, comme Acción Informativa en Resistencia qui se propose de produire et répandre une information indépendante sur les mouvements locaux et globaux de résistance ou comme les différents centres de médias Indymedia, établis à Mexico, au Chiapas, à Guadalajara, Sonora et Tijuana, ne sont pas une exception. Elles coordonnent leurs actions dans de plus amples plates-formes comme la Caravana Carlo Giuliani.

Cependant, le cadre de leur action est limité. Leur capacité de convocation se limite, régulièrement, à leur environnement immédiat. Mais leur imagination et leur disposition à l’action ne sont en rien méprisables, et ils ont montré - durant la réunion de l’OMC à Cancún - qu’ils avaient de la discipline et de l’ordre dans des circonstances très difficiles.

Mais, au-delà de leurs limitations, l’acharnement et la haine avec laquelle ces jeunes gens ont été traités par la police et les médias à Guadalajara sont un indicateur du danger que la droite conservatrice perçoit en eux. Le dédain avec lequel les partis de gauche ont fait face à l’altermondialisme (et à la répression qu’il a subie) est un thermomètre qui indique jusqu’à quel point ces garçons sont un défi à leur manière de faire de la politique.

Luis Hernández Navarro

Source : La Jornada, mardi 8 juin 2004.
Traduction : Hapifil, pour RISAL.

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