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Impressions d’un Andalou
sur le mouvement anarchiste en Grèce

lundi 15 juillet 2013 (Date de rédaction antérieure : 20 juin 2013).

Je vais essayer de traduire les impressions, résultats d’un voyage, que m’a données le contact avec le mouvement libertaire en Grèce. Malheureusement, je n’ai pu ni rester longtemps ni voir beaucoup d’endroits, de sorte que ce qui est écrit ici ne doit pas être interprété au-delà de ma vision personnelle sur ce que j’ai vécu avec les camarades de là-bas. Ce n’est donc pas une analyse sérieuse du mouvement anarchiste et encore moins sur la situation du pays. Si à cela nous ajoutons que ma militance est plus axée habituellement sur ce que l’on pourrait appeler un travail de base que sur l’analyse et la production théorique, il est certain que je vais commettre beaucoup d’erreurs. Cependant, j’espère pouvoir vous donner une idée approximative de certains aspects du mouvement grec et que cela puisse servir de guide pour les personnes intéressées qui n’ont pas de contact direct avec lui.

Beaucoup de choses qui se passent dans l’anarchisme en Grèce ont un lien certain avec les débats qui se déroulent dans l’État espagnol, car, par-delà les différences, nous avons beaucoup en commun, tant pour ce qui concerne l’environnement du mouvement libertaire que la situation politique générale. Il serait souhaitable de renforcer les contacts et les liens entre les deux mouvements et les autres régions de la Méditerranée, car la situation économique et politique nous oblige à développer un mouvement libertaire fort en raison de ces éléments. En plus de la nécessité de commencer à travailler ensemble (et toujours dans une perspective internationaliste, sans rien retirer de la coordination dans des zones plus vastes de la planète), au niveau local nous pouvons apprendre beaucoup les uns des autres pour éviter les obstacles qui font qu’aujourd’hui le mouvement anarchiste dans les deux pays ne parvient pas à être une référence ou une alternative politique à un niveau populaire. Tout cela dans un moment où la gauche partidaire, qu’elle soit orthodoxe ou qu’elle porte des habits plus alternatifs, est incapable d’articuler une réponse politique claire à la régression évidente en termes de droits que nous subissons, sans même songer à proposer des modèles sociaux rupturistes, et quand, en outre, la menace fasciste se cristallise jour après jour et parvient (en particulier en Grèce et en Europe de l’Est) à établir ses propres parcelles d’activité, à la fois dans la rue et dans les parlements.

Quand on arrive en Grèce, la première chose qui frappe, c’est que la politique en général et l’anarchisme en particulier sont beaucoup plus présents dans la rue que dans notre pays. En arrivant, en voyant le paysage urbain, on ne peut pas s’empêcher de remarquer le grand nombre de graffitis et d’affiches qui couvrent les murs et le mobilier urbain. Cela s’accentue dans les universités, les lycées et les hôpitaux. Leurs murs, en particulier ceux des facs, sont littéralement tapissés avec toute sorte de propagande politique et ils montrent presque toujours une banderole relative à une question politique. De retour dans la rue, à côté des signatures typiques des graffiteurs, abondent les tags antifascistes et surtout les A cerclés. Dans les bâtiments publics tels que les tribunaux et les bureaux du gouvernement, il y a toujours quelques graffitis ou des taches de peinture répandues pour les recouvrir, malgré, comme cela m’a été expliqué, l’effort pour essayer de les garder propres. Par ailleurs, la présence du fascisme d’Aube dorée apparaît également de manière inquiétante sur les murs de certains quartiers des villes sous forme de croix celtiques, mais toujours recouvertes.

Cette importance de la politique en Grèce se confirme lorsque l’on commence à établir des contacts avec les gens de là-bas. Le nombre de collectifs politiques dans des villes comme Thessalonique et Ioannina (où j’ai séjourné la plupart du temps) est décuplé par rapport à des villes de taille similaire dans l’État espagnol. Et cela, tant au niveau des partis de gauche, de dimensions et d’espèces différentes, que des groupes libertaires, des assemblées et des collectifs, ainsi que des squats et des centres sociaux qui servent d’espaces politiques. Pour prendre un exemple qui m’a beaucoup surpris, à Ioannina, j’ai rencontré des étudiants en chimie qui ont formé un collectif de leur faculté qui se réunissait dans un de ces centres sociaux et traitait de questions politiques et sociales, pas seulement en référence au mouvement étudiant. Des groupes comme celui-ci abondent en Grèce, ce qui permet d’avoir une idée de l’effervescence politique, de la quantité et de la variété de collectifs qui existent.

Cela nous amène à un aspect important (avec ses avantages et inconvénients) des mouvements politiques et en particulier du courant libertaire en Grèce : la jeunesse de ses membres. L’impression que j’ai eue de ces gars-là a été très positive, et j’ai été surpris par l’énergie et le sérieux avec lesquels ils militent. Quand ils décident d’appeler à une activité quelconque, ils s’engagent à fond pour la faire connaître et l’organiser, en particulier dans le cas d’actions et de manifestations, mais aussi pour des conférences et des événements. Alors que, par exemple, dans une grande partie de l’État espagnol, un collage d’affiches se fait habituellement le plus souvent en un court moment, en Grèce ils couvrent leur ville, et je ne me réfère pas seulement à des espaces dans lesquels beaucoup de personnes ou d’organisations collaborent, mais aussi à des collectifs indépendamment de leur taille. Cette même ardeur, on peut la voir dans les rassemblements, les manifestations et les piquets. J’ai eu la chance de participer à plusieurs de ceux-ci, qui correspondaient à des conflits de l’ESE [1], et j’ai été impressionné par l’énergie dépensée dans ces actions, ainsi que par la capacité de mobilisation d’une petite organisation anarcho-syndicaliste, par rapport celles de l’État espagnol. J’ai trouvé extraordinaire de voir tant de jeunes sur un piquet, leur façon de crier des slogans, leur attitude générale très active, tout cela pendant une longue période si l’on compare aux habitudes d’ici.

Il y a généralement beaucoup d’envie de faire des choses, beaucoup d’énergie. L’impression que j’ai eue des Grecs, c’est que ce sont de bonnes personnes, très généreuses, travailleurs, proches, semblables à nous mais en même temps, sur un point, éloignés. Ils sont très rebelles, beaucoup plus que ce que nous voyons ici, avec un élément, même un peu innocent et idéaliste (en précisant que je viens d’une ville très versée dans le picaresque). Ils ont des perspectives très ouvertes en ce qui concerne l’anarchisme, on remarque qu’ils ne souffrent pas du poids de l’histoire, de la tradition et des organisations qui médiatisent l’anarchisme en Espagne. Peut-être qu’un élément a également à voir avec le caractère des gens du mouvement là-bas ; l’absence frappante de drogues chez les jeunes. À la fois dans le mouvement et dans le milieu universitaire, j’ai été surpris que même dans les raves les gens ne prennent pas autre chose que de l’alcool et qu’il n’y avait personne qui en vendait. On m’a dit que, dans la plupart des squats, s’ils attrapent quelqu’un en train de prendre n’importe quel type de stupéfiant (y compris fumer des joints) ils le jettent de là. Il est vrai que les gens boivent, mais je n’ai pas vu une présence d’alcool aussi permanente qu’ici, et presque personne ne fume du haschisch ou de la marijuana, et encore moins dans la rue.

J’ai perçu beaucoup moins de frivolité qu’il n’y en a ici dans le mouvement okupa. Il est vrai que les gens ont une esthétique plus ou moins reconnaissable, mais ils sont plus austères et ils abusent de beaucoup moins d’éléments décoratifs (piercings, tatouages, dreadlocks, etc.). Je n’ai presque pas vu de tribus urbaines et esthétiques disons précises (punks, skins, hippies...). On ne voit pas non plus la saleté dans laquelle se complaisent souvent dans d’autres parties de l’Europe certains compagnons, que ce soit au niveau personnel ou dans les bâtiments. Comparés aux squats d’ici, la majorité de ceux que j’ai vus étaient beaucoup plus soignés et propres (avec quelques exceptions) : il est évident que les personnes s’en occupent et y travaillent plus.

En général, dans les villes où je suis allé, les squats abondent autant comme logement pour les jeunes que comme centres sociaux, souvent en mélangeant les deux. Il semble que les expulsions sont beaucoup moins fréquentes (par exemple, je suis passé dans un squat à Athènes qui fonctionne depuis vingt ans). La participation dans les squats est très élevée : cela se traduit par un grand nombre d’activités, la plupart avec des salles de sport bien équipées, des conférences, des concerts, des troupes de théâtre, de danse, des supermarchés bio et mille autres choses. J’ai un souvenir particulièrement bon de ceux que j’ai fréquentés à Thessalonique (Scholeio et Orfanotrofio) et à Ioannina (Antibiosis)

Il y a une autre façon de maintenir des espaces politiques appelés là-bas « centres sociaux », qui consiste à louer des locaux, organisés de manière assembléaire par différents collectifs et avec un caractère plus stable. Parmi ceux-ci, j’ai été impressionné par « Micropolis », à Thessalonique, un bâtiment géré par le Mouvement antiautoritaire (Antieksousiastiri Kinisi, AK). Le loyer est payé grâce à un café-bar situé au premier étage et, dans les étages supérieurs, il y a différents projets coopératifs tels qu’un atelier d’impression, un supermarché de produits locaux issus du commerce équitable, une garderie, une bibliothèque, une infirmerie pour animaux blessés ou malades et d’autres trucs. J’ai été surpris de voir comment cela était bien organisé, mais je n’ai malheureusement pu en savoir beaucoup plus sur l’organisation ou le mouvement qui le gère, au-delà de ce qui semble être une intention organisationnelle formellement située dans la sphère libertaire, qui apparemment est maintenant assez focalisé sur le thème de l’économie sociale et de la récupération d’espaces. Les références que j’ai obtenues par d’autres anarchistes étaient que, dans de nombreux cas, cela semble être une organisation quelque peu centralisée, ce qui a provoqué des frictions avec d’autres collectifs, mais je n’ai malheureusement pas beaucoup d’informations sur ce sujet.

Un aspect essentiel à la compréhension du mouvement anarchiste grec, comme je l’ai déjà indiqué plus haut, c’est l’absence de tradition et d’organisations anarchistes plus ou moins classiques. Comme je l’ai déjà dit, cela a un effet positif car cela a permis l’existence d’un mouvement très jeune, ouvert et doté d’une grande force et de dynamisme. Contrairement à l’Espagne, il n’est pas tombé dans le bureaucratisme, la rigidité et les polémiques absurdes qu’a souvent engendrés l’« anarchisme classique » et ses organisations, ni, de l’autre côté, dans la frivolité et la superficialité dont, peut-être par réaction, fait preuve l’anarchisme plus autonome. Mais il est également vrai qu’il a ses problèmes. En Grèce, selon ce qu’on m’a rapporté, il y a une identification, qui frôle l’absurde, de l’organisation avec l’autoritarisme et les partis politiques. Cela en arrive à influer sur les processus assembléaires dans leurs aspects les plus élémentaires. Dans de nombreux cas (ici je parle par ouï-dire parce que je ne comprenais rien des réunions auxquelles j’ai assisté), l’idée de développer des accords pris par une assemblée à travers des groupes de travail est inconnue, ce qui pose même des problèmes pour collecter les résolutions et nommer des responsables de tâches. Il en résulte une difficulté pour la participation des personnes ayant moins de disponibilité en termes de temps que les jeunes et une difficulté pour maintenir des structures organisationnelles complexes.

Il y a aussi quelque chose que la « tradition » anarchiste (en grande partie l’anarcho-syndicalisme) nous a laissée dans l’État espagnol et qui manque : la conception de l’anarchisme comme une expression de la classe travailleuse et des personnes pauvres en général. Ce n’est pas qu’ici non plus nous soyons récemment submergés sur ce point, mais il y a plus de tentatives dans ce sens, du moins en comparaison avec un mouvement anarchiste d’une ampleur considérablement plus grande comme l’est le mouvement grec. Il n’y a pas en Grèce autant de mouvements de quartier ou de luttes sociales avec un caractère antiautoritaire, sans être spécifiquement anarchistes, que dans l’État espagnol. Tout semble beaucoup plus politisé, il ne semble pas y avoir le concept des mouvements sociaux tel que nous l’avons ici. Il est intéressant de noter l’évolution différente qu’a connue le mouvement d’occupation des places qui a commencé à Syntagma [2], par rapport au « 15M » espagnol [3] ; le mouvement grec a eu un caractère beaucoup moins de gauche et la plupart des anarchistes n’y ont pas participé. Est-ce un avantage ou un inconvénient ? Compte tenu de la situation politique en Grèce, il est possible qu’à partir de l’anarchisme puisse se créer un mouvement populaire libertaire, sans avoir à participer à des mouvements sociaux avec la gauche étatiste, mais je ne sais pas si le fait d’être directement autodésigné comme anarchiste peut être une limite pour l’action politique de masse.

D’autre part, certains secteurs des anarchistes grecs (appelés nihilistes, qui pour ce que j’en sais ont une forte ressemblance avec l’insurrectionnalisme qui était en vogue ici il y a quelques années) font étalage d’un maximalisme qui leur rend difficile la connexion avec la population et qui tombe dans la même erreur, souvent commise ici aussi, d’avoir une attitude de rejet des « gens normaux ». En faveur de ce secteur de l’anarchisme grec, il faut dire qu’il bouge beaucoup plus qu’ici, avec des actions d’une force que nous connaissons tous. Contre lui, ce caractère maximaliste les conduit souvent à traiter le reste du mouvement acrate comme « non anarchiste », jusqu’à des attaques contre le reste du mouvement anarchiste de Thessalonique, ce qui a conduit à une lamentable lutte de tendances.

Il existe des initiatives intéressantes telles que celle des compagnons de l’ESE, qui essaient de créer une organisation anarcho-syndicaliste dans le complexe système grec (dans lequel il n’y a pas de syndicats proprement dits comme ici, mais une sorte de corporations étatiques aux élections desquelles concourent les groupes syndicaux). Comme je l’ai dit, j’ai été surpris de l’énergie déployée sur les piquets ainsi que des excellentes relations qu’ils entretiennent avec les membres des squats anarchistes (en y participant et étant soutenus par eux). J’ai trouvé un bon point en faveur de cette organisation qui, du fait d’être petite et relativement nouvelle, n’a pas à supporter le poids des structures et souvent le folklore hérité dont nous souffrons dans l’État espagnol. D’autre part, en maintenant l’idée de la nécessité de s’organiser et de lutter dans le milieu du travail, c’est en Grèce une grande contribution à un mouvement qui pendant des années qualifiaient ces luttes comme réformistes et contraires à l’anarchisme.

Une autre initiative intéressante est l’autogestion de l’usine de matériaux de construction Vio.Me. L’employeur veut la fermer, l’abandonner ; la réponse des travailleurs, soutenus par l’ESE, le Mouvement antiautoritaire (AK) et d’autres collectifs libertaires, est de relever le défi de poursuivre l’entreprise collectivement. Actuellement, ils cherchent à relancer la production dans l’usine en réunissant les fonds nécessaires par la vente de produits de nettoyage à travers un réseau de commercialisation coopératif, avec la perspective de participer à un processus de création d’une économie sociale qui permette une alternative aux pratiques capitalistes.

Comme vous le voyez, il y a des problèmes similaires à ceux de l’État espagnol, avec des discussions semblables sur la façon de s’organiser et de se connecter avec le peuple. Malheureusement, en Grèce, en dépit de la puissance du mouvement, je n’ai pas vu une grande relation avec les classes populaires qui subissent les coupes sociales. En parlant de cela avec les compagnons de Thessalonique, nous faisions remarquer que, dans le CSOA [centre social occupé et autogéré] où nous étions, il y avait de très nombreuses activités mais que presque tous les participants étaient jeunes, pour la plupart des étudiants. C’est une extrapolation qui vaut pour le reste du mouvement anarchiste grec. À ma question sur l’activité d’Aube dorée, ils m’ont répondu qu’ils n’apparaissaient pas dans le centre-ville, car cette zone est largement dominée par les anarchistes. En revanche, dans les quartiers périphériques et pauvres, ils ne savaient pas avec certitude quelle était la situation, en étant sûr toutefois qu’ils avaient ouvert un local à côté d’un commissariat de police pour ne pas être attaqués, ce qui prouve leur faiblesse dans la rue. Ils soupçonnaient qu’Aube dorée étaient derrière l’organisation d’assemblées d’habitants pour protester contre la prostitution et l’immigration dans le quartier où vit un compagnon, mais les compagnons n’ont pas participé à celles-ci pour contrer cette activité. J’ai trouvé un phénomène semblable lorsque j’ai posé la question à Athènes : là, la présence d’Aube dorée est plus forte, en particulier dans les quartiers pauvres, tandis que l’anarchisme est présent dans les zones centrales. Cela devrait nous conduire à une importante réflexion. Dans une région où, il y a quelques années, la présence de nazis dans la rue et dans la vie politique était impensable, ils ont réussi à se glisser dans les institutions et commencent à avoir leurs propres espaces dans certaines villes. Ils ont su voir et profiter des vides et des ouvertures qui leur ont été laissés, en manœuvrant habilement, en utilisant intelligemment les coups médiatiques, en réussissant à agir dans la rue avec un prétexte assistancialiste, par exemple à travers des distributions de nourriture (ce qui rend impossible une attaque directe de la part de l’antifascisme).

Globalement, l’image d’Aube dorée que j’ai rapportée est, d’un côté, moins forte que l’alarmisme créé par les médias en Europe, mais, de l’autre, elle est celle d’un mouvement beaucoup plus sinistre et dangereux, celle d’un mouvement insaisissable et qui a su se rendre difficile à arrêter. Nous devrions analyser cela maintenant que nous avons encore le temps. En Grèce jusqu’ici, ils ont réussi à faire face à une écrasante majorité de gauche dans la rue, à un mouvement anarchiste beaucoup plus développé et plus fort que le nôtre et à un antifascisme très sérieux, préparé et décidé. Mais les néonazis ont profité du manque de syntonie de l’anarchisme et de la gauche avec une grande partie des gens qui souffrent des coupes sociales en Grèce. Beaucoup de ceux qui sont tombés du système clientéliste du PASOK et les petits commerçants ruinés entrent dans le jeu d’Aube dorée. Si les camarades grecs sont incapables de viser juste, ils pourront faire face à un problème très grave dans les années à venir, car il y a un reflux (comme ici) des masses, fatiguées des manifestations et des protestations qui ont échoué à arrêter la paupérisation et la perte des droits dont ils souffrent. Si l’on ne parvient pas à construire une alternative pour les besoins concrets des Grecs appauvris — nourriture, travail, logement et santé — beaucoup d’entre eux vont aussi tomber dans le chantage clientéliste d’Aube dorée, leur fournissant une force dans la rue avec laquelle ils s’affronteront à la gauche et un appui dans les institutions qui peut renverser la situation politique. Je pense que c’est là la grande question en suspens des anarchistes grecs, car la puissance du mouvement ne sera pas suffisante s’ils ne parviennent pas à articuler cette alternative populaire. Nous ici, dans l’État espagnol, nous devons également prendre note de cela, parce que si, dans un pays comme la Grèce, les nazis obtiennent ces choses, ils peuvent le faire ici aussi et peut-être plus facilement.

Mais je pense que les camarades grecs ont un grand potentiel pour sortir gagnants dans cette attaque. Ce sont, comme je l’ai déjà dit, des gens de grande qualité militante, ils sont dans un pays où la gauche a toujours été forte et surtout, dans de nombreux cas, ils expriment un grand intérêt pour dépasser le plafond que le mouvement anarchiste en Grèce semble avoir touché malgré toute sa force : le manque d’organisation et de connexion avec les besoins des Grecs paupérisés. Lors de mon séjour, les discussions que nous avons eues après les exposés présentant le mouvement pour le logement décent et l’occupation des terres en Andalousie étaient très intéressantes et m’ont permis de voir que les gens réfléchissent beaucoup sur ces questions et sont conscients de ce qui se passe avec la montée du fascisme et les coupes sociales par le gouvernement. Au final, les défis et les débats sont semblables à ceux que nous avons ici, même si nous disposons peut-être de ressources différentes lorsqu’il s’agit de les affronter.

Que pouvons-nous tirer clairement de tout cela ? À mon avis, le fait que, pour construire un mouvement libertaire fort et qui soit une véritable expression de la lutte populaire, il est indispensable de comparer les expériences, d’établir des liens, de nous voir, de parler, de nous comprendre et finalement de combattre ensemble, ici, en Grèce et dans le reste du monde. Nous devons procéder calmement, écrire posément et clairement, mais nous ne pouvons pas nous endormir. Tout le temps que nous perdons et les occasions gaspillées sont mis à profit par le système, tant dans son versant « démocratique », lorsqu’il nous fait reculer dans la perte de droits qu’il nous coûtera cher de récupérer, que dans son versant fasciste qui se prépare comme alternative pour le cas où l’instabilité engendrée par la crise le rende utile pour les capitalistes.

Le 20 juin 2013.

Texte original : alasbarricadas.org
Traduction : OCLibertaire.

Rapide présentation de la tournée de l’ESE en France (mai 2012)

Le parc autogéré d’Exarchia

Manifestation du 12 janvier 2013 à Athènes
en défense du squat libertaire Villa Amalias

Notes

[1ESE : Union syndicale libertaire (note de “la voie du jaguar”).

[2Grande place du centre d’Athènes qui fait face à l’actuel bâtiment du Parlement (note de “la voie du jaguar”).

[3Le mouvement des Indignados, né à Madrid le 15 mai 2011 (note de “la voie du jaguar”).

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