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En Grèce, migrants et solidaires luttent ensemble contre les rafles policières et les centres de détention

dimanche 19 janvier 2014

Déclaration des onze arrêté•e•s de l’intervention contre l’opération Xenios Zeus et les centres de détention pour immigré•e•s

Le samedi 28 décembre 2013, lorsque nous avons commencé une intervention politique dans les stations de métro contre les pogroms organisés par l’État sous le nom de Xenios Zeus [1] et les centres de détention pour immigré•e•s, nous savions déjà qui nous avions face à nous. Un État qui tend continuellement au totalitarisme et qui applique une politique migratoire raciste menée comme une opération militaire. Une police qui bénéficie non seulement d’un pouvoir excessif, mais qui a aussi de facto le droit d’ignorer la loi où et quand bon lui semble. La partie fasciste/raciste de la société grecque qui, dans la mesure où elle est coordonnée avec les politiques étatiques, croit qu’elle peut dire et faire tout ce qu’elle veut contre les immigrés sans aucune conséquence.

Nous savions aussi qui nous voulions rencontrer. Ceux qui sentent le besoin de se confronter à la barbarie qui se propage, ceux qui du fait de leur position subissent de manière plus intense cette violence. Pour cette raison, certains collectifs de la région et du centre d’Athènes ont décidé d’organiser plusieurs interventions similaires qui aboutiront à une manifestation le 11 janvier 2014. C’est pour cela que nous nous sommes assurés que les textes, affiches et flyers que nous avions soient dans sept langues différentes. De même, nous avons choisi les quartiers multiethniques de Patissia, Ag. Nikolaos et Victoria comme zones pour notre intervention. Quartiers dans lesquels se déroulent quotidiennement des chasses à l’homme de la police contre les immigrés et dans lesquels la sainte alliance flics/fascistes/mafia et des « comités de citoyens » fascistes ont écrit les pages les plus « glorieuses » de son histoire récente. Pogroms, attaques racistes, activités mafieuses, contrôles de police permanents, interpellations et arrestations ayant pour critère la couleur de peau, tortures dans les commissariats.

Ce que nous ne savions pas cet après-midi-là, c’était que nous allions vite nous retrouver face à cette même condition contre laquelle nous avions décidé d’agir, et qu’en quelques heures nous allions presque tous les rencontrer face à face, ennemis et amis.

Prenons les choses depuis le début. Dans la station de métro d’Ag. Nikolaos, alors que se déroule la diffusion de propagande pour la manifestation contre les centres de détention et l’opération Xenios Zeus, quelques-uns, connus pour leurs activités racistes, tentent d’attaquer les compagnons, d’abord verbalement, puis avec un bâton — étant bien entendu en désaccord avec le contenu de notre intervention — et reçoivent une réponse. Alors que la diffusion continue, des unités de police Dias et Delta nous attaquent sur la place Victoria et arrêtent douze personnes, parmi lesquelles un passant étranger à l’intervention qui attendait sur le quai le métro pour le Pirée. Les interpellations se déroulent avec la courtoisie et le formalisme qui caractérisent les flics grecs et les douze sont amenés au quartier général de la police d’Athènes (GADA). Après une attente longue de plusieurs heures au département de « répression de la violence raciste », les contrôles et la douce compagnie des abrutis des Dias et Delta, nous sommes conduits pour une confrontation (avec les fascistes battus). Peu de temps après, ils annoncent que nous avons été arrêtés. Empreintes digitales, encore de l’attente et vers environ minuit nos avocats nous rapportent l’histoire que la police a fabriquée dans leurs bureaux de la sécurité d’État : divers crimes pour tous et quelques-uns reconnus comme auteurs de la « tentative de coups et blessures graves avec préméditation ». Le ridicule de toute la situation prend un tour nouveau quand parmi ceux identifiés par les « victimes » de l’attaque, se trouve le passant qui attendait le métro.

Après tout cela, nous finissons dans les cellules de garde à vue. Là, entre autres, il nous est confirmé que les cellules de GADA fonctionnent tels des centres de détention informels pour immigrés « sans papiers », comme dans la plupart des commissariats du pays. Pendant les deux jours que nous avons passés là-bas, nous avons rencontré des gens d’Asie et d’Afrique qui étaient retenus là depuis des mois sans avoir commis le moindre délit, tout comme plusieurs femmes roms, victimes du « nettoyage » des rues d’Athènes. Des individus auxquels on refuse les droits les plus élémentaires dont la plupart d’entre nous, « citoyens grecs », jouissons, même dans la position de prisonniers ou d’accusés. Certains avaient déjà passé six mois dans différents commissariats et n’avaient pas moyen de savoir ce qui allait leur arriver dans un futur immédiat. Ni où et combien de temps ils allaient être retenus, ni si à un moment ou un autre ils allaient être expulsés. Des personnes qui malgré tout restent dignes et souriantes. Nous avons partagé les quelques trucs qui nous étaient permis d’avoir là-dedans, nous avons échangé des expériences et des opinions, nous nous sommes séparés avec émotion et nous avons confirmé que la solidarité et les vécus communs sont ce qui nous donne de la force et du courage au sein de ces geôles.

Le dimanche matin, nous avons été conduits à l’identité judiciaire puis amenés dans la foulée devant le procureur. Là, les accusations gonflées des flics sont réduites à deux délits — « coups et blessures graves » et « résistance aux autorités » — et nous repassons par la procédure classique avant d’être reconduits en cellules. Mais à cet instant quelque chose ne tourne pas rond. Tandis que l’on nous rend à tous nos cartes d’identité, le passeport du compagnon E.M. (qui est d’origine albanaise) est gardé sans aucune explication, ce qui nous met la puce à l’oreille. Malgré nos protestations, la même chose se passe le lendemain peu de temps avant de partir au tribunal. Dans la salle d’audience et avant que ne débute le procès, nos avocats nous informent qu’un ordre de détention a été émis contre notre compagnon par la police, avec pour but de l’expulser. Évidemment, les flics font usage d’une disposition de la nouvelle loi sur l’immigration, laquelle leur donne le droit de retenir et d’expulser des immigrés, les premiers arguant qu’ils représentent un danger pour l’ordre et la sécurité publics. C’est la même chose dans le cas des trois immigrés d’ASOEE [2], lesquels, malgré le fait qu’ils aient été innocentés par le tribunal, continuent d’être retenus au commissariat d’Exarcheia [3].

La cour décide de reporter le procès au 8 janvier 2014 et de nous remettre en liberté. Mais les flics continuent à retenir le compagnon E.M. Les compagnons qui se trouvent dans la salle tentent de bloquer toute la procédure de par leur attitude combative. Une perturbation se crée, la cour se trouve embarrassée tandis qu’elle est prise à partie par le public, les forces de police qui se trouvent dans la salle perdent le contrôle, alors que finalement l’intervention d’une unité antiémeute est nécessaire afin de mener à bien l’enlèvement du compagnon. E.M. est ensuite amené dans les geôles de Petrou Ralli, où il est retenu pendant une journée et relâché le lendemain. Juste une remarque concernant la situation là-bas : une grande partie des détenus dans cet endroit ont fait savoir qu’ils préféraient être transférés dans un centre de détention, comme Amygdaleza, plutôt que rester dans ce trou à rats d’« Allodapon ». Peu de temps auparavant à GADA, des prisonniers nous avaient dit la même chose — toutes proportions gardées : plutôt ici qu’au commissariat d’Ag. Panteleimonas... Entre un enfer et un autre.

Malgré les moments difficiles que nous avons vécus et le fait que nous faisons face à des accusations, nous sommes sortis renforcés de cette expérience. Et cela nous le devons tout d’abord à tous les compagnons qui ont embrassé notre lutte, qui se sont retrouvés samedi soir et lundi après-midi devant GADA, le dimanche et le lundi au tribunal, le mardi matin à Petrou Ralli. Nous le devons aux regards de surprise des flics quand chacune de leurs tentatives de nous éparpiller est tombée à plat. Pour finir, nous le devons à tous les prisonniers, immigrés ou non, qui, malgré le fait qu’ils ont été pris dans les rouages de la machine, dans des conditions extrêmement défavorables, restent dignes, combatifs et humains.

À partir de là, nous continuons encore plus sûrs de nos choix, plus décidés quant à leur importance au sein de cette dystopie [4]. Parce que nous avons besoin les uns des autres pour détruire les murs qui nous séparent.

Athènes, 2 janvier 2014.

Notes

[1L’opération Xenios Zeus est une cam­pagne de net­toyage raciste et haineuse menée depuis août 2012 par l’État grec contre les migrants et portant ironiquement le nom du dieu de l’hospitalité dans la mythologie grecque (note de “la voie du jaguar”).

[2Une Assemblée immigré·e·s et solidaires, fondée sur l’auto-organisation, se tient chaque jeudi à l’ASOEE, Université d’économie d’Athènes (note de “la voie du jaguar”).

[3Exarcheia est un quartier d’Athènes connu pour son caractère rebelle, bohème et libertaire (note de “la voie du jaguar”).

[4Dystopie, forme littéraire également appelée contre-utopie : 1984, de George Orwell, en est un exemple (note de “la voie du jaguar”).

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