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Oaxaca

David Venegas « el Alebrije » libre !

Communiqué de VOCAL et paroles de David devant la prison

vendredi 7 mars 2008, par David Venegas Reyes, VOCAL

Note d’information [1] sur Oaxaca n° 27

Ça y est enfin ! David Venegas Reyes « el Alebrije [2] », membre du Conseil de l’APPO, militant de VOCAL (Voix oaxaquègnes construisant autonomie et liberté), adhérent à l’Autre Campagne (d’inspiration zapatiste), a été libéré en fin d’après-midi (heure locale) mercredi 5 mars.

Cela faisait onze mois qu’il était emprisonné au pénitencier d’Ixcotel, à Santa Lucía del Camino, cette commune de la banlieue d’Oaxaca où a été assassiné Brad Will. Son cas représente un parfait exemple de l’utilisation très personnelle de la justice par le malgouverneur Ulises Ruiz Ortiz (URO), ou Ulises « Ruin » (vil, bas) comme l’appelle VOCAL.

David avait été arrêté (enlevé, à vrai dire) le 13 avril 2007. Heureusement pour lui, l’enlèvement avait eu un témoin, l’avocat Isaac Torres Carmona, ce qui avait empêché que David ne disparaisse purement et simplement, comme tant d’autres. Il avait été copieusement et longuement torturé, puis accusé de port d’armes et de trafic de drogue. Pour faire bon poids, on l’avait aussi accusé de l’incendie du palais de justice lors de la manifestation du 25 novembre 2006 ; on se souvient que cet incendie avait fort opportunément détruit les dossiers comptables qui devaient permettre l’audit financier de l’administration Ruiz Ortiz (voir note n° 19).

Ces accusations ne tenaient visiblement pas debout. David n’avait pas tardé à obtenir un amparo fédéral. L’amparo (« protection ») est une sorte de recours lointainement inspiré de l’habeas corpus anglo-saxon, qui accorde la « protection » de la justice fédérale à quelqu’un qui a été manifestement accusé à la légère par la justice d’un État. En l’occurrence, l’amparo ordonnait la remise en liberté immédiate de David.

Le juge fédéral avait trouvé infondées les accusations imputées à David ? Qu’à cela ne tienne ! Un juge local aux ordres en avait aussitôt fourni de nouvelles, assorties d’un nouveau mandat d’arrêt. Que ces nouvelles accusations soient aussi fantaisistes que les précédentes n’avait guère d’importance ; tout ce qui comptait était de garder David en prison.

Et c’est ainsi qu’à quatre reprises David a obtenu un amparo, et qu’à chaque fois, pour le maintenir en détention, on a changé de chefs d’inculpation. Ceux-ci ne vous plaisent pas ? Bon, je remballe, en voilà d’autres. L’exemple de David pourra rester dans les manuels de droit pour illustrer ce qu’on appelle l’acharnement judiciaire !

La dernière fois, cependant, a été celle de trop. La juge de Tlacolula de Matamoros, María de los Ángeles Vásquez García, s’est-elle trop précipitée mardi dernier en rédigeant un nouveau mandat pour « attaques dangereuses » et « résistance de particuliers », accusations qui figuraient déjà dans le dossier précédent ? Toujours est-il que le tribunal fédéral a confirmé son amparo et ordonné la mise en liberté immédiate de David.

Lors du meeting improvisé qui l’a accueilli à sa sortie de prison, David a déclaré : « Je suis heureux d’être avec vous et prêt à continuer la lutte pour un Oaxaca de justice et de liberté. » Il a ajouté qu’il sortait en toute dignité, et capable de « regarder dans les yeux » parce qu’il n’a pas obtenu sa liberté « par une concession du gouverneur, ni par une négociation sous la table ».

Il est vrai que David n’a jamais courbé l’échine. Malgré le chantage d’URO sur sa famille (voir note n° 20), il avait refusé de plier et écrivait, dans une lettre du 2 mai 2007 : « Je me dis qu’il vaut mieux être prisonnier politique que domestiqué et prisonnier au service du gouvernement. » Ses nombreuses lettres de prison, dont une bonne partie au moins a été relayée par la liste de diffusion oaxacalibre(a)no-log.org, ont toujours attesté d’un moral inébranlable.

Alors, même si on sait que cette libération n’est pas la fin de ses soucis, puisqu’il reste encore sous le coup de certaines accusations et devrait passer en procès un jour, ne boudons pas notre plaisir : félicitations, David, et bienvenue parmi les tiens !

6 mars 2008.

Communiqué de VOCAL

Oaxaca, le 6 mars 2008.

Compañeras et compañeros :

C’est avec une joie immense que nous vous informons qu’hier, mercredi 5 mars 2008, notre compañero David Venegas Reyes « Alebrije » a enfin pu démontrer son innocence et qu’il a recouvré la liberté corporelle.

Pour la première fois, après onze longs mois de détention, les portes de la prison centrale de l’État d’Oaxaca se sont ouvertes pour laisser passer « el Alebrije ».

Devant la prison, des dizaines de personnes attendaient sa sortie. Pendant ce temps, la police de l’Oaxaca tentait d’intimider avec ses armes les personnes qui se sont battues tout au long de ces derniers mois pour obtenir la libération de David et celle des autres compañeras et compañeros emprisonnés.

« Alebrije » est sorti aux alentours de 17 h 30, le poing levé, la tête haute.

Cédons la parole à « Alebrije », qui s’est adressé aux gens qui l’attendaient à sa sortie.

"¡No que no, si que sí ya volvimos a salir !
¡Ya cayó, ya cayó, Ulises ya cayó !
¡Ni con tanques ni metrallas al pueblo se le calla !"

("Non, mais non ! Si, mais si ! On est sortis !
Il est tombé, il est tombé, Ulises est tombé !
Ni les tanks ni les balles ne feront taire le peuple !")

Paroles de David devant la prison

« Compañeros et compañeras, je suis très ému et j’éprouve un immense plaisir à vous retrouver aujourd’hui, après onze mois passés en prison avec d’autres compañeros et compañeras, qui restent, hélas, emprisonnés. D’un côté, je me sens terriblement heureux de me retrouver parmi vous ici, dehors, prêts à poursuivre notre lutte pour un monde meilleur, pour un Oaxaca où règne la justice et la liberté, pour bannir Ulises Ruiz, ce tyran assassin et oppresseur. Pourtant, d’un autre côté, j’éprouve une grande tristesse à l’idée de laisser tant de bons compañeros et de bonnes compañeras enfermés là. Une des choses que m’a apprises cette phase différente de la lutte qu’est la prison (une phase qui semble inévitable dans l’Oaxaca parce qu’il semble que ce soit une étape que l’on oblige ceux qui luttent pour un monde meilleur à subir), c’est de pouvoir connaître d’autres souffrances, dues au passé ou à la situation actuelle, celles de compañeros et compañeras qui sont emprisonnés ici pour les mêmes raisons que celles qui m’ont fait y rentrer et qui m’en ont fait sortir : à cause de notre lutte, pour le fait d’exiger un Oaxaca juste et digne dans la liberté, la justice et la paix. Ces nombreux compañeros et nombreuses compañeras restent enfermés ici, mais je veux leur dire qu’ils y restent avec une très grande dignité et un très grand courage. J’ai eu beaucoup de mal à me séparer d’eux en ce jour, j’ai eu beaucoup de mal à être obligé de leur dire au revoir, mais ce n’est pas un adieu. Mais je suis quand même très content, et eux aussi, de savoir que si je sors c’est pour continuer à nous battre. »Je remercie énormément toutes les personnes ici présentes et toutes celles qui n’ont pas pu être là aujourd’hui, parce que c’est grâce à vous, compañeros et compañeras, que je sors en pouvant vous regarder droit dans les yeux, parce que je sors avec toute ma dignité, presque aussi grande que la vôtre, car le gouverneur tyran et assassin Ulises Ruiz, malgré toute la violence qu’il emploie, malgré tous ses crimes et toutes ses menaces, n’est parvenu ni à nous faire plier, ni à nous faire flancher, ni à nous faire trahir notre cause, ni vous ni moi.

« C’est nous, vous et tous les autres qui ne sont pas là, le peuple et les gens qui forment les bases des enseignants de la section 22, nous tous qui formons l’APPO, qui constituons le mouvement social, c’est nous qui avons fait ces grandes et merveilleuses choses qui ont fait qu’une grande partie du monde puisse voir que l’espoir et la liberté existent dans l’Oaxaca, c’est nous qui avons créé ce mouvement, c’est encore nous qui avons dressé les barricades, qui avons marché jusqu’à Mexico et qui avons défendu notre ville, et c’est à nous qu’il incombe de relancer notre mouvement et d’obtenir la victoire, et non pas à ces autres qui se prétendent les leaders et qui ont vacillé, failli et trahi ce mouvement en négociant derrière le dos du peuple. Eux ne sont pas l’APPO, ce n’est pas eux qui ont effectué ces actes retentissants et ce n’est pas eux qui nous inciteront à les refaire. Ce sera nous tous et nous toutes, ceux et celles d’en bas, qui feront qu’Oaxaca constitue à nouveau un exemple, qu’il soit un songe réel, un souffle de liberté pour l’ensemble du Mexique et pour le monde entier. »

« Je vous demande humblement, compañeros, car je ne suis pas en situation d’exiger de vous quoi que ce soit, c’est la dignité et le courage que vous avez démontrés au dehors pour me défendre et exiger ma liberté et celle de tous nos compañeros et pour défendre les causes les plus justes de ce mouvement qui m’impose de vous demander simplement et humblement de continuer ensemble d’aller de l’avant. De continuer, parce que ce n’est pas quelque chose que vous ne faites pas ou que vous n’avez pas fait ou avez cessé de faire depuis cette merveilleuse année 2006. »Si ma liberté doit servir à quelque chose, que ce soit pour vous fournir un élan de victoire. Parce que cette liberté que vous avez conquise pour moi, c’est votre victoire à vous, compañeros et compañeras. Ce n’est qu’une petite victoire car je ne représente qu’un de tous ceux et de toutes celles qui sont privés ou ont été privés de leur liberté, je ne représente qu’une seule de toutes les injustices commises.

« Mais quand les prisonniers, les morts, les communautés réprimées, les enseignants assassinés et le peuple violenté deviennent des causes, quoi qu’il arrive en ce jour, le gouvernement n’est plus en mesure de nous garder en prison et de nous écraser sous son oppression, il doit nous remettre en liberté. Il n’y a là aucun geste conciliant du gouvernement criminel, despote et assassin d’Ulises Ruiz. Ce n’est pas non plus le résultat de quelque obscure négociation sous la table, qui aurait eu lieu sans que vous en sachiez rien. Cette liberté qui est aujourd’hui mienne et la liberté de tous les compañeros qui viendront après nous ont été conquises et seront conquises grâce à notre dignité, à notre courage et à notre combativité, compañeros. Je vous convie à ne pas cesser de lutter, à ce que nous ne cessions jamais de lutter, compañeros et compañeras. Nous sommes un peuple libre, nous avons conquis la liberté de notre esprit et on ne parviendra plus désormais à nous tromper. Parce que nous avons ouvert les yeux, parce qu’ils ne réussiront plus jamais à nous faire croire en leurs mensonges. Luttons pour que cette liberté dont nous jouissons déjà dans notre esprit, tous et toutes puissent l’avoir dans l’Oaxaca, au Mexique et dans le monde entier, compañeros et compañeras. »

Vive la lutte des peuples de l’Oaxaca !
Vivent les compañeros et compañeras morts dans la lutte !
Vivent nos compañeros prisonniers et nos compañeras prisonnières !

« ... David, amigo, nous sommes avec toi ! »

David Venegas a poursuivi par la lecture de la longue liste de prisonnières et de prisonniers politiques et d’opinion dans l’Oaxaca : Gonzalo López, Isabel Almaráz, Pedro Castillo, Adán Mejía, Miguel Ángel, Víctor Martínez, nos douze compañeros de Loxicha, ceux de San Blas Atempa, de Guevea de Humboldt et de Santiago Xanica. En même temps, on a exigé la liberté de tous les prisonniers politiques de l’État d’Oaxaca, du Mexique et du monde.

Se tournant vers la prison, levant les yeux vers les gardiens et les murs de la centrale pénitentiaire qui lui a dérobé sa liberté onze mois durant, il a déclaré :

"Compañeros et compañeras, je vous garantis que cette liberté que nous respirons aujourd’hui est la même liberté que celle que respirent nos compañeros et compañeras prisonniers. Ces murs qui se dressent là et toutes ces armes, toute cette indignité et ces immondices ne parviennent pas à empêcher la liberté de gravir et de déborder ces murs. Ceux et celles qui s’y trouvent enfermés sont aussi libres que nous, parce qu’ils ont ouvert les yeux, parce qu’ils continuent de se battre et qu’ils continueront de le faire à leur sortie. Personne ne va arrêter ça, compañeros.

« Hasta la victoria siempre, compañeros ! »

Compañeras et compañeros, nous voulons vous remercier de votre lutte et de votre soutien ainsi que de la solidarité désintéressée que vous avez manifestée pour notre compañero David « Alebrije ». Et comme il l’a dit lui-même : « Ma liberté, c’est aussi votre victoire. »

Il faut cependant que vous sachiez que David a réussi à être totalement innocenté en ce qui concerne cinq des chefs d’accusation liés à la répression du 25 novembre 2006 dans l’État d’Oaxaca, mais qu’il a dû quand même payer une caution de 4 000 pesos pour l’absurde accusation qui avait servi de premier prétexte à sa détention, un délit contre la santé publique, délit pour lequel il a pourtant démontré son innocence pendant l’instruction de son procès.

Nous vous remercions aussi d’avoir été à nos côtés, vigilants, tout au long des derniers mois. La résistance locale et la solidarité reçue de nombre d’endroits au Mexique et dans le monde ont réussi à briser le blocus médiatique avec lequel on voulait occulter la détention de David.

Nous ne sommes pas tous et toutes réunis, il manque les prisonniers et les prisonnières !
Abattons les murs des prisons !

VOCAL
Voces Oaxaqueñas Construyendo Autonomía et Libertad
Voix d’Oaxaca construisant l’autonomie et la liberté

Traduit par Ángel Caído.

Notes

[1Ces notes d’information sont écrites pour SUD Éducation. On peut lire les précédentes, toutes remarquablement bien faites, sur le site de SUD Éducation.

[2Surnom intraduisible : un alebrije est une sorte de créature chimérique et multicolore née de la tradition artisanale oaxaquègne.

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