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Bien le bonjour du Guerrero

dimanche 20 janvier 2002, par Georges Lapierre

À partir des années 1990, la région de la Costa Montaña (Costa Chica) a connu une insécurité grandissante. Des bandes organisées, protégées par les autorités locales, détroussaient ceux qui se hasardaient sur les chemins, volaient le bétail et violaient les femmes.

Les organisations productives indiennes qui étaient les premières victimes de ces attaques ont commencé dans les années 1992/1993 à s’interroger et à chercher des solutions au cours de leurs assemblées communautaires.

Les communautés indiennes ont coutume de désigner des autorités responsables de la sécurité dans le village, mais cette police ne s’exerce qu’au sein de la communauté, elle ne s’exerce pas au-delà. Les bandes opérant sur toute la région, les villages indiens ont donc décidé de mettre en place une police avec 14 volontaires pour surveiller les chemins.

« En 1995 est née la nécessité de nous revendiquer comme peuples indiens et de mettre en pratique nos propres institutions, comme la sécurité publique indigène, le commissariat communautaire. Ce n’est pas une idée qui est venue de l’extérieur, que quelqu’un nous aurait apportée, non, cette idée est née de l’intérieur même de la région, de la nécessité exprimée par les habitants d’assurer leur propre sécurité. »

Le 15 octobre 1995 est née la police communautaire et surtout l’OCR (Organisation communautaire régionale) au sein de laquelle se trouve la police communautaire et la cour de justice indienne : la Coordination régionale des autorités indigènes de la Montaña et de la Costa Chica AC (Cramcchac). Elle se trouve à San Luis Acatlán et est composée de six commissaires élus en assemblée. Ceux-ci jugent les délits les plus graves et établissent des peines de travail communautaire. Ce système trouve sa légitimité dans les assemblées générales communautaires au cours desquelles la population oriente et contrôle les actions des policiers communautaires.

Les commissaires indiens ont alors informé le procureur de l’État, le gouvernement et l’armée de l’existence de leur organisation communautaire, ceux-ci leur ont dit : « Mais cela ne se peut pas, ce n’est pas légal ! » À quoi les commissaires ont répondu : « C’est que nous ne sommes pas venus vous demander la permission, nous sommes venus vous communiquer la décision prise par l’assemblée, c’est la décision des gens, et, nous, nous sommes venus vous aviser de cette décision, rien de plus. »

« Pour nous, le commissariat communautaire est une institution indienne, elle a émergé du peuple pour le peuple, elle n’appartient à aucun groupe, aucun parti, aucune religion. La question de la sécurité concerne tout le monde, elle n’est pas le monopole de quelques-uns. »

C’est un projet qui n’intéresse pas seulement la population indienne mais toute la société, quand la population non indigène veut, elle aussi, reprendre en main la question de sa sécurité et qu’elle n’attend pas une solution du gouvernement dans ce domaine.

« Nous avons décidé de ne remettre aucun prisonnier, pauvre ou riche, à l’institution du gouvernement. Nous avons beaucoup d’éléments, d’arguments pour expliquer ce refus. Au Mexique, il n’y a pas d’égalité, au Mexique, il n’y a pas de justice, au Mexique, il n’y a pas de démocratie, au Mexique, il n’y a pas de respect, au Mexique, il n’y a pas de futur. »

Les policiers, les commissaires et les commandants sont désignés par les communautés pour un service, bénévole, de trois ans. Les délits que juge et condamne la Coordination sont ceux que « nous considérons comme graves et qui affectent la communauté ou la région. Par exemple, si quelqu’un frappe sa femme, cela se règle dans la communauté, mais quand le délit est grave, par exemple si quelqu’un vole du bétail ou quand il y a assassinat, ce genre de délit n’est pas réglé par la communauté ». La Coordination, après analyse du dossier d’instruction, déterminera la condamnation en temps de prison et de travail pour la communauté (participation à la construction d’une école ou d’un chemin...).

En novembre 2001, 42 communautés étaient concernées, 11 étaient en cours d’intégration, ce qui donnait en tout 53 communautés avec 486 policiers communautaires en uniforme et armés... Très mal armés. Cela n’a pas d’importance qu’ils soient armés ou pas. Quelqu’un peut porter une arme cela ne veut pas dire qu’il a la raison pour lui.

Les policiers communautaires ne sont pas salariés, ils rendent service, à partir du moment où ils sont payés, où ils touchent un salaire, ils ne sont plus au service des gens, ils sont employés et cela fait toute la différence ; tout service social doit être gratuit, c’est donner son temps à la population, à la société.

« Ici, dans l’État, il y a toujours une guerre sociale, le gouvernement de l’État fait toujours la guerre aux peuples indiens. Il a prétendu que, derrière la police communautaire, il y a des groupes armés, qu’il y a d’autres intérêts en jeu, il dit que nous sommes hors la loi ; nous répondons que non, nous sommes dans la légalité : vous, vous avez la force, nous, nous avons la raison. Nous n’avons pas d’argent non plus. »

« Quel est le plus important pour vous, le problème social ou la paix sociale ? La guerre, la guerra sucia, continue contre notre organisation, des policiers communautaires ont été accusés de privation illégale de liberté par un cacique voleur de vaches qu’ils avaient arrêté. Des gens affiliés au PRI ont apporté de faux témoignages et des accusations, tout aussi fausses, contre des membres de l’assemblée régionale. Deux Indiens ont participé à cette guerre sale contre nous et ont fabriqué des délits contre les autorités du tribunal communautaire, et nous avons dû appliquer la justice, contre les nôtres ! C’est la sale guerre, contre nos propres gens ! »

« Nous ne voulons pas que le gouvernement nous soumette à sa volonté, de notre côté nous ne cherchons pas non plus à soumettre le gouvernement. Respecte-moi et je te respecterai. Nous nous coordonnons, nous ne nous subordonnons pas. Et ce que nous voulons n’est pas hors de la légalité, cela répond à la demande des peuples indiens, à la demande des gens... Et c’est bien le peuple, et non un groupe de quelques personnes, qui se trouve derrière toute cette affaire de police communautaire ! Tous ont participé à sa mise en place et continuent à prendre part à l’affaire. C’est la meilleure façon de résoudre le problème de l’insécurité, ici n’interviennent pas des intérêts économiques, politiques ou religieux, mais les intérêts communs à la population indigène de l’État du Guerrero. »

« À partir de là, nous avons commencé à répartir la justice. Nous nous sommes d’abord demandé quel type de sanction nous allions fixer. Le voleur, par exemple, devait pouvoir réparer les dommages qu’il avait causés à la société. Ce fut facile. Une poule par exemple vaut 50 pesos, une vache, disons, 4 000 pesos, nous estimons la journée de travail dans la campagne à 25 pesos (ici il n’y a pas de loi du travail, de règlements, comme en ville), le voleur devra donc 2 journées, dans le premier cas, 160 journées, dans le second cas, de travail à la communauté. C’est une réparation et une éducation, ce n’est pas un châtiment, nous faisons la distinction entre les deux termes. Le châtiment est la justice que répartit le gouvernement ; si quelqu’un commet un délit, il est torturé physiquement, psychologiquement, économiquement. Le fait de chercher à punir détruit la famille qui, elle, n’a rien à voir dans l’affaire et n’est pas coupable. Plutôt que de parler de punition, nous préférons parler d’éducation ou de rééducation, donner une troisième chance à un être humain. C’est à la société que revient la tâche de me rééduquer, non de me détruire. »

"Si une personne a été condamnée à un an de rééducation, qu’elle va passer à travailler pour les communautés de la région, ce temps de rééducation peut se trouver réduit à six mois sur avis favorable des communautés où cette personne aura travaillé. Le condamné a donc la possibilité de se réhabiliter rapidement. Il doit pendant son temps parcourir les 42 hameaux [maintenant ils sont plus de 70], si, pendant les six premiers mois, il a eu un bon comportement dans les communautés où il s’est rendu, il voit sa peine réduite à 100 %, si, au contraire, la majorité des villages n’ont pas apprécié sa conduite, il verra son temps augmenter de 50 %. Il travaille pour le village, il ne peut pas accomplir un service de responsabilité, d’autorité, il effectue un travail banal. Les villages auront toujours un travail à lui donner, il est nourri et logé par chaque village où il se rend. Sa famille a le droit de saisir l’assemblée des autorités régionales qui se tient tous les quatre mois pour le défendre et argumenter afin qu’il revienne à la maison. En général il n’y a pas d’abus et s’il y en a parfois, ils sont minimes car il y a beaucoup de vigilance et les gens sont très critiques et font attention à ne pas commettre trop d’erreurs.

Ce besoin de justice fut le point de départ qui a permis la mise en route et la réalisation de ce projet, d’une police et d’une justice communautaire.

« Notre organisation a sa propre structure régionale, elle a sa propre autonomie. Actuellement, nous cherchons à mettre sur pied un projet plus intégral, nous pensons travailler sur les problèmes écologiques, éducatifs, culturels, productifs, sur la communication et la santé. Nous avons le projet d’un relais radio entre les communautés que nous allons administrer nous-mêmes, nous voulons favoriser une véritable communication entre nous. »

Oaxaca, le 20 janvier 2002
Georges

Source : L’Envolée n°5, avril 2002.
URL d’origine : http://journalenvolee.free.fr/SOMMAIRE/numero5.html.

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