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Assemblée avec les ancêtres à Wirikuta

lundi 20 février 2012, par Eduardo Guzmán Chávez

Quand nous parlons de richesse culturelle, nous risquons de patiner en surface. On dit que le Mexique est reconnu dans le monde comme siège d’une grande diversité de cultures. Ce qu’on s’évertue à promouvoir depuis les institutions officielles comme « la richesse de nos peuples » n’est que pure curiosité touristique et discours folklorique, qui omettent la reconnaissance constitutionnelle du droit des peuples indigènes à conserver et améliorer leur habitat et à préserver l’intégrité de leurs terres. Rien de moins que ce sur quoi se dresse précisément la conscience de leur identité indigène, pour ne pas parler du patrimoine intangible de leurs savoirs pluriterrestres et anthropocosmiques.

Quelle est la source nourricière des savoirs à la fois ancestraux et extrêmement novateurs des peuples originaires ? Quelle est cette braise ardente qu’il vaut la peine de défendre dans les termes de la libre détermination mentale et de l’autonomie des esprits libres, obligés par conséquent à la solidarité avec ces Mexicains dont l’expérience s’est forgée dans l’offense et la discrimination, dans la spoliation de leurs terres et le déni de justice ?

Vision cosmo-ardente, ou brasero-vision cosmique, nos peuples indigènes tout simplement n’ont jamais oublié que la Terre est, dans leur cosmovision, vive, sensible, pensante, et loquace, dans sa langue si concrète et si belle qu’ils n’ont cessé de l’étudier pour parler avec Elle, comme on parle à la Mère, avec Elle comme conjonction de racines aïeules. C’est ainsi qu’ils plient et déplient leur vie : en harmonie avec cette ascendance généalogique.

Le peuple wixárika, ou huichol, de la Sierra Madre occidentale est un peuple de chanteurs, de semeurs mésoaméricains du maïs prétoltèque, de grands pèlerins, de prieurs, de soigneurs, de pratiquants consommés de l’art de se couler dans les cycles saisonniers de l’année solaire, en installant harmonieusement leur prière quotidienne dans les niches énergétiques de la nature. Ils sont d’habiles brodeurs du dessin qui met en relief par la couleur la trame sacrée qui unit tout le vivant. Ils nous demandent à présent d’écouter la voix de leurs anciens qui est celle de la nature, et ils demandent le respect pour cette parole.

Des aînés huichols ont révélé depuis une vingtaine d’années que les bougies qui soutiennent la vie aux points cardinaux sont presque éteintes, et que seule celle qui se dresse au centre répond encore, tout bas, faiblement.

C’est une métaphore du désastre écologique dirigé par la science. Quelques anciens ont dit qu’une offrande qui rassemblerait la force de tous les centres cérémoniels wixaritari [1] sur l’autel de Wirikuta pourrait servir à raviver ces bougies primordiales.

Wirikuta elle-même, le jardin sacré où est archivée en fleur la mémoire de l’origine et où sont renouvelés les permis de fertilité, est aussi une métaphore du désastre écologique à venir : des consortiums miniers et agro-industriels sont capables de rompre le fragile équilibre de ce paysage sacré. Par leur activité productive, tandis que se gonflent les revenus actionnaires à la Bourse, ils sont capables de pareille prouesse.

Des délégations du peuple wixárika sont allées au siège de l’ONU à New York, et à Vancouver, au Canada, où se trouve la matrice de l’entreprise First Majestic, et là elles ont exposé l’importance de Wirikuta du point de vue de la continuité de la vie. Ici, au Mexique, ils ont demandé aux gouvernements de la Fédération et de l’État de San Luis Potosí de tenir leur engagement institutionnel de garantir la préservation de ce trésor culturel et environnemental. C’est sur ce chemin qu’ils ont marché en octobre dernier jusqu’à la résidence présidentielle de Los Pinos pour demander que tous les lieux sacrés, et en particulier Wirikuta, soient respectés.

Des articles fondamentaux de la Constitution politique des États unis mexicains, des décrets d’État et des plans de mise en œuvre alignés sur des lois environnementales et des conventions internationales, tout cela ne suffit pas à arrêter l’avancée vorace et déprédatrice des entreprises minières à Wirikuta ?

À présent, le peuple wixárika se concentre et se mobilise sur l’unité de toutes ses communautés, de tous ses centres cérémoniels, et vient consulter la voix des ancêtres qui habitent Wirikuta pour savoir comment protéger et renouveler la vie. C’est une réunion avec les générations passées dans la perspective pressante du futur immédiat. C’est la continuation d’un dialogue avec la nature, ici traquée.

De leur côté, les investisseurs rêvent des volumineux profits que pourrait leur rapporter l’extraction des minerais du semi-désert de Potosí, dans le polygone des 140 000 hectares qu’actuellement le décret d’État reconnaît comme la Zone naturelle protégée de Wirikuta. Mais nous voyons que dans cette même zone est en jeu le fondement énergétique grâce auquel se régule l’équilibre qui permet la vie, et ses dons de fertilité et de créativité.

Le savoir de la vérité dissout dans ce litige tout faux dilemme entre tradition et modernité. Le droit d’investir et de faire des affaires est une chose, c’en est une tout autre que de supposer que tout lieu, absolument tout endroit de la surface du territoire national, peut être soumis à la logique du capital. L’exploitation minière à grande échelle à Wirikuta transgresse, pour commencer, le postulat constitutionnel selon lequel la composition pluriculturelle de la nation s’appuie au départ sur ses peuples indigènes. Nous sommes une nation pluriethnique et plurilinguistique, ce qui veut dire que la vision du profit n’est pas la seule manière de regarder et de vivre sur nos terres. Donner son aval à l’exploitation minière à ciel ouvert à Wirikuta, c’est décréter dans les faits la mort d’une culture en faisant table rase — avec un peu plus que des mantras au progrès et à la compétitivité — de leur source nourricière au nom du calcul égoïste. Écocide et ethnocide sont des crimes de lèse-cosmovision.

Des représentants de tous les centres cérémoniels du peuple wixárika des États de Nayarit, Jalisco et Durango ont fait le pèlerinage et, le 6 février dernier, ont consulté la nature dans un accord profond pour renouveler l’accord de la vie. Fonctionnaires, universitaires, philosophes, artistes, paysans : écoutons avec attention le message de ces chanteurs pèlerins anciens. Et faisons honneur à ce privilège.

Eduardo Guzmán Chávez
Las Margaritas « Wirikuta ».
Février 2012.

Traduit par el Viejo.

San Miguel de Allende, la Déclaration de Wirikuta
remise à l’ambassadrice du Canada au Mexique

(en espagnol)

Notes

[1Pluriel de wixárika, NdA.

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