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À l’aube de l’an 2000 de la guerre contre l’oubli

juin 1999, par SCI Marcos

À la presse nationale et internationale

Mesdames et Messieurs,

Voici le texte de notre position sur les derniers événements. Au cas où vous l’auriez mis au rancart sur Internet ou oublié à la maison, vous êtes au moins avisés que quelque chose est sorti. Eh ! bien, merci.

Nous, nous n’avons pas d’automobiles ni ne circulons sur le périphérique, mais ici nous allumons des bougies pour dire que nous appuyons le mouvement de grève de l’UNAM. Et peu importe que nous continuions à être attaqués par des policiers et des soldats, qu’ils occupent plus de villages et qu’ils continuent à arrêter de façon arbitraire des indigènes accusés d’être zapatistes, nous allons simplement continuer à appuyer les étudiants universitaires parce que la raison les conduit.

Bien. Salutation et, avant que vous ne balanciez le communiqué dans un coin, joyeux an deux mille ! Ou quoi ?

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, juin 1999.

P-S Je n’ai encore rien compris. Ou peut-être que, pour le gouvernement, le « New York Times » est le journal le plus important et le plus influent du monde s’il applaudit la politique de Zedillo, et n’est plus qu’un pamphlet au service d’obscurs intérêts qui cherchent à porter tord au Mexique lorsqu’il donne des noms de politiciens mexicains liés au trafic de drogue (Liévano, Hank) ? C’est comme cela l’arrange, et en guise de réconfort, le secrétaire du gouvernement s’est fait photographier dans une tribune de football avec l’un des « présumés », Hank González.

P-S QUI FOUILLE. Bref, derrière la campagne « éliminez un extrémiste » (ou un gréviste universitaire), le tremblement de terre, l’exécution de Paco Stanley, la visite du plus grand criminel du pays (Carlos Salinas de Gortari - je dis que si le thème est la sécurité publique, il faut reconnaître qu’il y a criminels et criminels), la petite course de Zedillo pour se cacher à Guadalajara et le « blindage » financier, le cas de l’appui économique de Cabal Peniche à la campagne de Zedillo avec l’argent du narcotrafic reste enseveli.

P-S QUI CHERCHE UNE BOUÉE DE SAUVETAGE. Selon ce que l’on sait, les bateaux qui se « blindent »... coulent

P-S CURIEUX. Quel précandidat du PRI a fini par déclarer qu’il ne se considérait pas comme néolibéral, alors que, au secrétariat de l’Énergie, Mines et Industries para-étatiques, dans la période de 1982 à 1986, il est intervenu dans le processus de vente de plus de 300 organismes d’État ?

2000

Mais il y a un rayon de soleil dans la lutte
Qui laisse toujours l’ombre vaincue

Miguel Hernández

1999, 24 juin. La nuit de la Saint-Jean règne dans les montagnes du Sud-Est mexicain. Et elle règne comme la loi, c’est-à-dire, en pleuvant. Des vents marins ont apporté jusqu’en haut de ce fromager une petite caisse de souvenirs. D’une des commissures de la bouche ouverte du petit coffret, dépasse un serpentin de lumière et, avec lui, une histoire. Et avec elle apparaît subitement, comme la pluie nocturne, le vieil Antonio, qui, comme si de rien n’était, me demande du feu pour allumer la cigarette et la mémoire. Par-dessus le rude tambourinage de la pluie sur le toit de nylon, s’élèvent les paroles du vieil Antonio pour, puisque souvenirs et lumineux serpentins, raconter...

L’histoire de la Voie lactée

Avant que la pluie ne dénude la montagne, tout là-haut, on vit un large chemin de lumière poussiéreuse. Il arrive par-là et s’en va par-là, dit le vieil Antonio avec à peine un mouvement d’un côté et de l’autre. « Voie lactée », disent-ils que cela s’appelle, ou ils le nomment aussi « chemin de Santiago ».

Ils disent que ce sont beaucoup d’étoiles qui, sans que l’on sache pourquoi, sont restées ensemble et toutes petites, devenant fente et petit chemin comme si elles trouaient le ciel. Ils le disent, mais ce n’est pas ainsi, disent-ils aussi. Les plus vieux de nos vieux racontent que ce que l’on voit là haut est un animal blessé.

Le vieil Antonio fit une pause, comme espérant une question que je ne posais pas : un animal blessé ?

Il y a beaucoup de temps, lorsque les tout premiers des premiers dieux avaient déjà créé le monde et passaient le temps en fainéants, les hommes et les femmes vivaient de la terre en la travaillant et le temps passait ainsi. Mais ils racontent qu’un jour apparut dans un village un grand serpent qui se nourrissait d’hommes. Il mangeait seulement les hommes, pas les femmes. Et après avoir mangé tous les hommes d’un village, il allait dans un autre et recommençait.

Rapidement les villages se mirent au courant de la grande épouvante qui leur arrivait, et avec beaucoup de peurs, discutèrent de cette grande couleuvre, qui était si grosse et si grande, qu’elle arrivait à entourer tout un village, comme un mur ne laissant ni entrer ni sortir, et une fois là, elle disait seulement que si on ne lui donnait pas tous les hommes, elle ne laisserait sortir personne, et ainsi quelques-uns se rendaient et d’autres se battaient, mais grande était la force de la couleuvre et elle gagnait toujours. Les peuples vivaient dans la peur, n’attendant que le jour qui allait sonner où la grande couleuvre arriverait à manger tous les hommes, à ce qu’ils soient tous engloutis par le serpent. Ils racontent qu’il y eut un homme qui arriva à s’échapper et partit se réfugier dans une communauté qui avait déjà été attaquée. La, devant les femmes seules, l’homme parla de la couleuvre et de ce qu’il avait dû lutter pour la vaincre parce que grand était le mal qu’elle faisait sur ces terres. Les femmes se dirent, que pouvons nous faire puisque nous sommes des femmes ? Comment allons nous nous battre contre elle sans hommes ? Comment allons nous l’attaquer si elle ne vient pas par ici puisqu’il n’y a plus d’hommes, qu’elle les a déjà tous mangés ?

Les femmes s’en furent, très découragées et tristes. Mais l’une d’elle resta, s’approcha de l’homme, et lui demanda comment il pensait qu’elle pouvait se battre contre la couleuvre. L’homme répondit qu’il ne savait pas mais qu’il allait y penser. Et, ensemble, l’homme et la femme commencèrent à réfléchir, échafaudèrent un plan, s’en furent appeler les femmes pour leur en faire part et toutes furent d’accord.

Il arriva alors que l’homme commence à se montrer ouvertement au milieu du village, et de loin le serpent le vit, parce que cette couleuvre avait de très bons yeux et voyait très loin. Alors le serpent arriva, entoura de son large corps le village et dit aux femmes qu’elles lui remettent cet homme qui allait ici ou qu’alors elle ne laisserait personne entrer ou sortir. Les femmes dirent, oui, nous te le donnons, mais nous devons nous réunir pour nous mettre d’accord. C’est bien, dit la couleuvre. Alors, les femmes se mirent en cercle autour de l’homme et, comme elles étaient nombreuses, le cercle s’élargit de plus en plus, jusqu’à ce qu’il rencontre le cercle que le corps de la couleuvre faisait autour du village. Alors l’homme dit : c’est bien, je me rends. Il marcha jusqu’à la tête du serpent et, lorsque la couleuvre relâcha son attention en mangeant l’homme, toutes les femmes sortirent des bâtons aiguisés et commencèrent à piquer la couleuvre sur tout son corps et, comme elles étaient nombreuses et longeaient tout le serpent, et que celui-ci avait la bouche pleine de l’homme qu’il mangeait, il ne pouvait se défendre. Jamais il n’avait pensé que des faibles l’attaqueraient de cette façon et de partout et il se vit rapidement très faible et vaincu. Alors il dit : pardonnez-moi, ne me tuez pas. Non, dirent les femmes, nous allons te tuer parce que tu as fait beaucoup de mal et que tu as mangé tous nos hommes. Passons un accord, dit la couleuvre, si vous ne me tuez pas d’un seul coup alors, moi, je vous rendrai vos hommes parce que je les ai dans ma panse. Alors les femmes pensèrent que c’était bien de ne pas la tuer mais que le grand serpent ne pouvait vivre sur ces terres et qu’il serait expulsé. La grande couleuvre dit alors : Mais où vais-je vivre et que vais-je manger, l’entente n’est pas possible. Alors elles étaient là avec ce problème quand la première femme dit qu’il fallait demander à l’homme qui était venu, pour voir ce qu’il en pensait et dit à la couleuvre : relâche l’homme que tu as commencé de manger, et voyons s’il a une idée sur ce que nous pourrions faire. Le serpent relâcha l’homme qui était à moitié mort et à moitié vivant, et avec difficulté l’homme parla et dit qu’il fallait demander aux premiers dieux pour voir ce qu’ils pouvaient faire et que lui pouvait aller les chercher puisqu’il était moitié vivant et moitié mort. Et l’homme s’en fut à la rencontre des premiers dieux endormis sous un fromager, les réveilla, leur conta le problème et les dieux se réunirent pour réfléchir et trouver un bon accord. Alors ils s’en furent voir le serpent et les femmes victorieuses, écoutèrent, et dirent que la faute était celle du serpent et qu’il devait être puni, qu’il rendrait donc les hommes qu’il avait pris et qu’il ne mourrait pas, et la couleuvre vomit tous les hommes de tous les villages. Alors les dieux dirent que le serpent devait aller vivre dans la montagne la plus haute, et que, comme il ne tiendrait pas sur une seule montagne il devait utiliser les deux montagnes les plus hautes du monde, que sur une il mettrait sa queue et sur l’autre sa tête, et que, comme nourriture, il mangerait la lumière du soleil et que les milliers de blessures que lui avaient faites les femmes guerrières ne se fermeraient jamais. Alors les dieux s’en furent et alors la couleuvre s’en fut, grand serpent triste, vers les montagnes les plus hautes, et sur une il mit sa tête et sur l’autre il mit sa queue, et étendit son large corps d’un coté à l’autre du ciel et, depuis lors, mange le jour la lumière du soleil et la nuit cette lumière se répand par toutes les fentes de ses blessures.

Pâle est le serpent, c’est pourquoi on ne peut le voir de jour, et c’est pourquoi seulement à la nuit on aperçoit la lumière qui s’en va en tombant et le laisse vide, jusqu’à ce que, le jour suivant, le soleil l’alimente de nouveau. C’est pourquoi ils disent que cette grande ligne qui brille de nuit tout en haut, n’est qu’un animal blessé...

Le vieil Antonio me conta cela et je compris alors que la Voie lactée n’est rien d’autre qu’un large serpent de lumière, qui s’alimente le jour et saigne la nuit.

Il a cessé de pleuvoir en cette nuit de Saint-Jean. Rapidement le ciel est devenu marron clair et, clair, on commence à voir qu’un serpentin de lumière pend de l’épaisse silhouette de mille blessures, d’un coté à l’autre, d’un horizon à l’autre. Douce tombe la frange argentée en haut de ce fromager qui là en bas fait goutter une autre pluie vers plus bas. Du miroir sans visage qui se tue en elle, l’éclat rebondit et va plus loin, jusque là-bas, jusqu’à ce coin où derrière une ombre on voit...

I. L’éducation publique dans la mire du fusil

La vie s’est dispensée, avec quel geste !
De mourir, avec quel art !

Miguel Hernández

En octobre 1998, s’est tenue à paris au siège de l’Unesco, la Conférence mondiale d’éducation supérieure. Dans cette réunion, la Banque mondiale afficha sa position au sujet de ce que devait être la réorganisation de l’éducation supérieure sur la planète. En résumé, c’est la proposition de la globalisation de l’éducation supérieure.

Pour la Banque mondiale, une rénovation radicale de l’éducation supérieure est nécessaire, de façon à transformer l’université « classique » ou « traditionnelle » (dont les fondements sont l’enseignement et la recherche) pour qu’elle réponde aux demandes du marché néolibéral, c’est-à-dire qu’elle définit l’éducation supérieure comme un bien privé, comme n’importe quel bien ou service de ceux qu’offre le marché.

Conformément à cela il faut redéfinir les acteurs du processus éducatif supérieur. Les « consommateurs » sont les entreprises, les « fournisseurs » sont les administrateurs et les professeurs, et les « clients » sont les étudiants. Dans ce cas, dit la Banque mondiale, les « fournisseurs » ne savent pas ce qui convient au marché, les « consommateurs » savent mieux que personne ce qui se « vend », puisque ce sont eux les « acheteurs ».

Un premier pas est de convertir l’université en une entreprise autofinançable. Pour cela, la Banque mondiale recommande l’augmentation des colegiaturas, l’élimination totale ou partielle des bourses, l’encaissement total des services et appuis universitaires, prêts et encaissement de ceux-ci aux taux d’intérêt en vigueur par des compagnies privées, impôts aux diplômés, réorienter la formation des professeurs pour les convertir en chefs d’entreprise, vente des recherches et augmentation et promotion des universités privées. La prise de décision dans l’éducation supérieure doit revenir, selon la Banque mondiale, aux consommateurs.

La Banque mondiale soutient que les gouvernements et les universitaires ne sont pas sensibles aux nécessités du marché global. C’est pourquoi elle se propose de changer la répartition des budgets selon des critères classiques (inscription et prestige) par des critères de rendement selon ce qu’indiqueront les consommateurs. Donc, les universités devront se réorienter (c’est-à-dire réassigner les budgets) selon les nécessités des « consommateurs » (les compagnies privées).

La Banque mondiale situe le professorat comme un élément à « réajuster » selon ce critère mercantile. La liberté académique et le définitif sont une gêne, de même que les syndicats et les associations académiques. C’est-à-dire que l’on aura besoin de moins d’académiciens et de chercheurs, mais de « différents académiciens, chercheurs, travailleurs manuels et administratifs ». En somme : réapprentissage et restructuration. (Tout cela est détaillé dans le bulletin de la Canadian Association of University Teachers, traduction de Luis Bueno Rodríguez, UAM-I.)

La coïncidence de cette approche avec l’offensive de privatisation et de reclassification que le gouvernement de Zedillo a dirigé contre les universités publiques du pays est évidente. L’Université nationale autonome de Mexico (UNAM), l’Université autonome métropolitaine (UAM), l’École nationale d’anthropologie et d’histoire (ENAH), l’Université pédagogique nationale (UPN) et l’Institut polytechnique national (IPN) sont maintenant dans la mire du fusil gouvernemental. À des degrés divers et avec des nuances, ces instituts d’éducation supérieure sont en train de souffrir des accès d’une « modernisation » qui ne cherche qu’à liquider le concept universitaire public.

L’attaque privatrisatrice qui cherche à « refonctionnaliser » l’éducation publique supérieure a rencontré une résistance ferme de la part estudiantine, bien qu’il soit évident que se sont les secteurs académiques, de recherche et administratif, qui sont l’objectif principal.

Avoir élu l’université publique comme cible prioritaire de ses tirs n’est pas innocent de la part du gouvernement. Abattant cette cible, d’autres se présentent de façon à être démolies : l’histoire, l’électricité, le pétrole.

L’initiative de loi générale du patrimoine culturel sert à privatiser le patrimoine culturel dont l’objectif est de redéfinir la politique culturelle du gouvernement et d’étendre la vague de privatisations aux monuments et zones archéologiques, artistiques et historiques du Mexique. L’initiative de loi en question est un authentique oursin : ses pointes blessent non seulement le patrimoine historique mexicain, mais attente à l’investigation anthropologique et historique, l’enseignement et, par conséquent, à un des mouvements étudiants les plus combatifs du Mexique, celui de l’École nationale d’anthropologie et d’histoire.

C’est pourquoi le mouvement étudiant, non seulement celui de l’UNAM, mais aussi celui de l’École nationale d’anthropologie et d’histoire, l’UAM, la Pédagogie nationale et le « Poli », affrontent tant de forces diverses qui les agressent. Et la méconnaissance de ce que cachent les « réformes » que leurs autorités développent est une des raisons pour lesquelles on leur a non seulement rogné les appuis, mais aussi ce pour quoi ils ont été attaqués de la part de secteurs qui seraient les plus affectés si ces « modernisations » avaient du succès.

Pour cela, aujourd’hui...

II. Les étudiants universitaires sont dans la mire du fusil

Mais la cicatrice la plus dure et la plus vieille redevient blessure au moindre coup

Miguel Hernández

Dans les derniers jours, quelques journaux de tout le spectre politique se sont unis au gouvernement et à Barnés en affirmant que les « extrémistes » (comme ils les appellent) ont tord de ne pas cesser la grève. Les dénommés « modérés », dans ce besoin urgent de distribuer des étiquettes avec celui dont l’« intelligentsia » cache l’ignorance et le manque d’analyses sérieuses, réclament justice. Ils se plaignent de harcèlement (on leur crie après) et de menaces ( on les appelle « briseurs de grève »), et appellent tout le monde à une sainte croisade contre l’ennemi principal du mouvement universitaire. La Banque mondiale ? La politique de Barnés ? Non, les « extrémistes ».

La clameur demandant justice a trouvé rapidement un écho dans des personnes à claires vocations démocratique, de justice et de liberté : Ernesto Zedillo Ponce de León, Francisco Barnés, Diódoro Carrasco, Francisco Labastida, Guillermo Ortega, Abraham Zabludovsky, Ricardo Salinas Pliego, Javier Alatorre, Sergio Sarmiento et autres vénérables et vénérés « défenseurs » de l’université publique et gratuite.

Incapables de gagner par leurs positions la base étudiante (qui sont ceux qui ont installé et maintenu la grève), les néo-déplacés des assemblées se réfugient dans quelques médias pour essayer de regagner de cette façon ce qu’ils ont perdu dans le mouvement étudiant, c’est-à-dire, autorité morale, légitimité, crédibilité. Les médias qui ont « redécouvert » par le cas Stanley l’augmentation des ventes que produisent les scandales se sont unis dans cet absurde grand front contre les universitaires en grève, présentant le mouvement dans son ensemble sous l’image et la ressemblance, particulièrement travaillée pour son ridicule, de quelques étudiants des courants les plus radicaux que l’on puisse trouver, auprès de beaucoup d’autres, au sein du mouvement.

La clameur unanime dans la presse contre les lynchages, qui s’éleva quand TV Aztzeca et Televisa utilisèrent l’exécution de Stanley pour mobiliser l’opinion publique contre Cauhtémoc Cárdenas, a désormais été substituée par ce nouveau lynchage contre les étudiants universitaires.

Non seulement cela, mais ceux qui hier se plaignaient de la façon dont les médias électroniques avaient « lynché » Cárdenas se pressent aujourd’hui en tête d’une campagne de discrédit contre les étudiants.

Soudain, les étudiants grévistes sont des brebis martyres conduites par un berger pervers (qui montre son ventre, horreur !) et attendent seulement d’être délivrées par la claire intelligence qui comprend que « ce-n’est-pas-le-moment-pour-le-radicalisme ». Volte-face courantes dans le monde, les arguments qu’hier les autorités utilisaient contre eux (quand ils étaient à la tête des mouvements) sont maintenant brandis face à ces ennemis « extrémistes » qui sont, c’est indéniable, très commodes et donnent l’alibi parfait qui justifie le manque d’arguments pour les positions vraies et le manque d’ascendance morale dans un mouvement qui - ne s’en rendent-ils pas compte ? - est nouveau en son fond et en sa forme.

Un peu d’histoire ? Quand le PRD a gagné les élections pour le DF, toute une portée de leaders incrustés dans les mouvements sociaux (et avec une indéniable ascendance politique en leur sein) passa à des fonctions de gouvernement dans la ville de Mexico. Dans l’université les « extrêmes » existaient déjà (y eut-il un temps où ils n’existaient pas ?) et leurs positions et arguments ne différaient pas beaucoup (ni les cris ou les accusations de « briseurs de grève ») de ceux de maintenant. Cependant, l’ascendance morale des leaders étudiants leur donne la majorité. En abandonnant le mouvement universitaire pour couvrir, en premier, les travaux de la campagne électorale et, ensuite, les fonctions du gouvernement, les leaders universitaires liés au Parti de la révolution démocratique ont laissé un espace inoccupé.

Le temps (est-il nécessaire de la rappeler ?) passe, l’espace se remplit de nouveau. Mais, pourquoi se leurrer et tromper en disant que cet espace a été occupé par les « extrêmes », ils savent très bien qu’aucun groupe ou tendance de ceux qui évoluent à l’intérieur de l’UNAM ne peut maintenir une initiative s’il n’a pas l’appui étudiant ? Dans ce cas, pas même les « extrêmes » ne dirigent (et eux le savent) et une nouvelle génération est en train de planter à l’université non seulement la rénovation du leadership étudiant, mais aussi la conception même de ce leadership.

Les étudiants se crient après dans les assemblées et se menacent. Et au Congrès de l’Union ? Les députés et les sénateurs ne sont-ils pas le plus grand pouvoir de la fédération ? N’en sont-ils pas arrivés jusqu’aux coups ?

Les étudiants passent des heures et des heures en assemblées, discutant sans arriver à un accord ? Était-ce différent lorsque les « modérés » dirigeaient le mouvement ?

Si les « extrémistes » sont un groupuscule sectaire, intolérant et d’avant-garde, et si les extrémistes sont ceux qui empêchent que la grève ne se termine, comment un groupuscule peut-il maintenir les installations en grève, embrigader, fermer des rues, menacer et harceler les « modérés » et, de plus, être présent dans des assemblées qui durent jusqu’à douze heures, tout cela en même temps ?

Quelques faits réels et « oubliés » par les médias : les « extrémistes » n’ont violé, battus ou incarcéré aucun étudiant, ils n’ont pas tenté d’imposer un règlement de paiements à l’échelle de la communauté universitaire, ils n’ont pas dressé de procès-verbaux aux universitaires, ils n’ont pas initié les classes extra-muros et n’ont pas (c’est évident) orchestré une campagne de médias à l’encontre du mouvement.

Les rumeurs sur les armes à l’intérieur de leur groupe sont du genre « ils disent qu’un a dit que quelqu’un les a vues », et sont plus graves que celles qui désignèrent des fonctionnaires du DF, ex-leaders universitaires, se cachant dans la nuit pour porter des oranges aux grévistes lors des premiers jours. Ne pourrait-on dire, suivant la consigne marquée par les accusations que les « extrémistes » sont armés, qu’ils veulent gagner avec des oranges ce qu’ils ne peuvent gagner avec des arguments ? Mais en clair, personne n’a été poursuivi ou emprisonner pour avoir porter des oranges, mais pour avoir porter une arme....

Sur quelques-uns uns des groupes de tendances les plus radicales ou « extrêmes » qui évoluent à l’intérieur de l’UNAM et son féroce antizapatisme, il n’y a pas beaucoup à dire, peut-être se souvenir de quelques faits : Quelqu’un se souvient-il que le señor Alan Arias était un des dénommé « extrêmes-extrêmes » dans ses temps universitaires, féroce opposant aux positions « bancales », « dialoguistes » et « peureuses » de la droite « réformiste » (alors le PCM et le PRT) ? Le señor Alan Arias n’est-il pas aujourd’hui un employé de troisième ou quatrième catégorie au secrétariat du gouvernement ? Et Adolfo Orive ? Et Raúl Salinas de Gortari ? N’était-ce pas « el Wama » le surnom que le général Chaparro Acosta utilisait dans le milieu universitaire pour adopter des poses ultraradicales et détecter après qui torturait dans les prisons clandestines de la « Brigade blanche » ?

Ce sera la pratique et non le discours qui, le temps passant, définira les radicalisations et les conséquences. Alors nous verrons où sont les « hésitants », « dialoguistes », « peureux » et quelques autres « istes » qui m’ont échappé mais qui n’ont pas beaucoup changé d’hier à aujourd’hui.

Revenant à ces « pervers » grévistes qui « maintiennent l’UNAM séquestrée » (qui, nous le savons maintenant, appartient à Barnés et à ses bureaucrates) : la grève est-elle gagnée ? Ne disaient-ils pas hier, avant qu’elle ne s’installe, que c’était une provocation et que se serait un échec, qu’elle serait minoritaire, etc. (de fait, ces arguments furent ceux qui enhardirent Barnés) ? Il en résulte maintenant que la grève, qui avait raison d’être et a, en outre, déjà gagné, doit se lever ? N’est-ce pas l’argument central du discours de Zedillo de ce 24 juin ? Pourquoi vont-ils les croire maintenant ? Comment demandent-ils que se termine un mouvement pour lequel ils n’ont rien fait, pas même ne pas encourager la campagne de diffamation à son encontre ?

Bien, maintenant supposons qu’ils aient du succès, que les « extrémistes » reçoivent la répudiation unanime de la population et que le gouvernement, sensible comme il l’est aux demandes populaires, opte pour réprimer massivement le mouvement et frapper les « extrémistes » pour libérer l’UNAM. Comment est le visage d’un « extrémistes » ? Y a-t-il quelque croyance ou identification des « extrémistes » pour que le coup ne touche qu’eux ? Finalement, refuser de lever la grève parce que, comme dit le CGH, leurs demandes n’ont pas été respectées, c’est être « extrémiste » ? N’a-t-il pas été demandé de réprimer le CGH en son entier, à des centaines d’étudiants qui maintiennent la grève, font des brigades et prennent contact avec d’autres organisations et à des dizaines de milliers d’universitaires qui ont assisté aux mobilisations convoquées par le CGH et ont appuyé, sans éteindre les phares de leurs automobiles, le mouvement pour la défense de l’éducation publique et gratuite ?

Quelle est la stature d’une organisation politique dont les militants ne peuvent mettre en avant leurs approches politiques parce que les « autres » leur crient après et les disent « briseurs de grève » ?

La grève a-t-elle triomphé et doit-elle maintenant cesser ? Doit-elle continuer ? C’est une question à laquelle répond et répondra le mouvement étudiant, ceux qui ont fait la grève et ceux qui l’ont maintenue malgré la pire campagne de harcèlement médiatique que l’on ait vue ces dernières années.

Elles et eux, les jeunes qui font le mouvement, sont ceux qui décideront. Pas les « extrémistes », ni les « modérés », ni aucune des « étiquettes » avec lesquelles on prétend réduire la nouveauté de ce mouvement au confortable, et inutile, schéma de l’âge.

Nombreuses sont les initiatives que les dénommés « extrémistes » ont gagné dans le CGH et perdu dans les assemblées des écoles et facultés et, par conséquent, de nouveau dans le CGH. Deux exemples ? La prise de routes et le congrès constituant. La majorité des écoles n’approuve pas la prise de routes et s’est prononcée pour un congrès résolutif.

Pour le moment, dans son manifeste du 22 juin, le Conseil général de grève est implacable.

"Nous avons soutenu tout le temps notre position et notre intérêt pour que le dialogue s’ouvre, revendiquant un drapeau que le mouvement étudiant a revendiqué depuis plus de trente ans, qui est le dialogue public et ouvert... (...)

Parce que nous n’avons rien à cacher, parce que nous voulons que tous nous regardent et nous écoutent, parce que nous voulons que tous sachent quels sont nos arguments et ceux des autorités.

De quoi s’étonne-t-on ? De ce que nous soutenions avec fermeté les caractéristiques de ce dialogue, de ce que nous voulions faire honneur aux meilleurs enseignements du mouvement étudiant. Pourquoi vous étonnez-vous que se posent des conditions élémentaires pour le dialogue, si ce que l’on demande est que l’on cesse de réprimer, que s’arrêtent les procès-verbaux, qu’ils arrêtent le travail de leurs classes extra-muros corrompues contre la grève ? C’est ce que le CGH a planté."

Il semble que c’est clair.

Nous, les zapatistes, nous appuyons le CGH s’il décide de poursuivre la grève et nous l’appuyons s’il décide de la lever. Nous les appuyons parce qu’elles et eux représentent légitimement le mouvement universitaire. Ils ont le respect et la légitimité qu’ils ont gagnés en travaillant avec leurs gens. Ils sont donc représentatifs.

D’autres parts, si aujourd’hui ceux qui veulent maintenir la grève à l’UNAM sont « extrémistes », s’il faut les exorciser, où seront les "extrémistes de demain ? dans le mouvement urbain populaire ? dans l’enseignement démocratique ? dans le Syndicat mexicain de l’électricité ? ou dans les montagnes du Sud-Est mexicain ? Ce sont des questions auxquelles ceux qui aspirent à être gouverneur doivent répondre.

Sur la visite qu’une délégation du CGH fit à La Realidad et sur le fait que l’EZLN fait ingérence dans le mouvement, il faut être clair : à La Realidad, nous n’avons pas vu les « extrêmes » parce que pour eux nous sommes « réformistes » et « dialogueurs », nous n’avons donc vu que les « modérés » parce que pour eux nous sommes « extrêmes » et « radicaux ». Des étudiantes et étudiants universitaires sont venus ici et, dans une longue cession de cinq heures où eux seuls ont parlés, ils ont exposé ce que le CGH pensait de la grève. Attention : le CGH et non eux en particulier (qui ont leurs points de vue personnels sur le mouvement). L’impression qu’ils nous laissèrent est qu’elles et eux, et ceux qu’ils représentent, sont des personnes honnêtes, qui croient à ce pour quoi ils luttent et qui vivent comme ils pensent. Ils comprennent leur mouvement et savent que ce sont ceux qui sont dans les barricades et dans la brigade qui donnent cap et direction aux mouvements. Aucun ne vint demander que faire (ce qui fut un soulagement parce que nous ne le savions pas), ils sont venus dire leur parole pour que nous connaissions les raisons de leur mouvement. Nous les connaissons, nous les comprenons et les appuyons.

De plus, nous ne pouvons cacher l’admiration et le respect qu’elles et eux (et je me réfère surtout à ceux qui s’occupent du mouvement au quotidien, même s’ils ne sont pas dans le CGH) nous causent. Pour cela, nous disons ici que nous ne faisons aucune ingérence dans le mouvement étudiant, mais que nous croyons que le mouvement étudiant fait déjà lui, ingérence dans l’EZLN (tu lis bien Rabasa ? Ne donnes-tu pas cela à la presse pour une autre déclaration ? Je dis que tu dois faire quelque chose pour justifier le chèque, non ?).

Peut-être pour cela, pour l’admiration que nous avons pour eux et pour la fierté que nous donne le fait de les connaître et d’apprendre de leurs étudiants, les communautés zapatistes souffrent d’une nouvelle attaque politico-militaire. Peut-être est-ce pour cela que nous revenons.

III. Les zapatistes dans la mire du fusil

Ici la vie est un détail : fourmi, mort, affection, peine,
pierre, horizon, fleuve, lumière, épi, verre, sillon et sable.
Ici est la saleté.
Dans les rues, et non pas dans les cœurs.
Ici tout se sait et se murmure :
On ne peut avoir caché la créature mauvaise
Et encore moins les mauvaises intentions.

Miguel Hernández

24 juin 1999, nuit de la Saint-Jean.

Dans les montagnes du Sud-Est mexicain expirent 2 000 jours de guerre. 2 000 jours à répéter le ¡Ya basta !. 2 000 jours à défier la mort, l’oubli, le silence, 2 000 jours à miser sur la vie, la mémoire, l’espérance.

Et dans l’aube 2000 de la résistance, les tisserands et les tisserandes zapatistes, traces de multiples lumières et de noms divers, travaillent dur. Ils tissent et ils tissent. Et en tissant ils luttent. Et en tissant ils chantent.

Il y en a qui disent que ce qu’ils tissent est un filet pour que la mémoire ne s’échappe pas.

Il y en a qui disent que c’est une toile de diverses couleurs pour vêtir l’espérance.

Et il y en a qui disent que ce qui se tisse à l’aube 2000, c’est le lendemain...

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, 24 juin 1999.

À l’aube de l’an 2000 de la guerre contre l’oubli.

Traduction C. G.

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