la voie du jaguar

informations et correspondance pour l’autonomie individuelle et collective


Accueil > entretiens > « À Oaxaca il n’y a pas de défaite ! » (I)

« À Oaxaca il n’y a pas de défaite ! » (I)

jeudi 5 février 2015, par David Venegas Reyes

Première partie d’un entretien de LundiMatin avec David « el Alebrije », une des plus jeunes figures du soulèvement de la ville d’Oaxaca (Mexique) en 2006, ex-prisonnier politique, membre du conseil de l’APPO (Assemblée populaire des peuples de l’Oaxaca) et d’un groupe créé à la suite du mouvement, Voix d’Oaxaca construisant l’autonomie et la liberté (VOCAL).

Quelques éléments de contexte. Vingt et un ans après le soulèvement zapatiste au Chiapas, huit ans après la « Commune d’Oaxaca », les mouvements pour « l’autonomie et la liberté », indigènes ou non, ne cessent de se démultiplier face à la corruption et l’incurie des partis politiques et des institutions mexicaines, courroies de transmission de la politique étrangère étasunienne et hypocrite paravent des grandes familles de narcotrafiquants. L’État mexicain et ses mafias, qui gouvernent de plus en plus au-dessus d’un volcan, et le savent, multiplient les stratégies retorses pour maintenir leur hégémonie, entre terreur et équilibrisme législatif. C’est ainsi qu’un même pays qui détenait jusqu’à récemment le triste record du nombre de morts violentes sur dix ans, et qui a fait des « disparitions » à caractère politique une spécialité, compte aussi certaines des dispositions législatives les plus osées d’Amérique latine en terme de reconnaissance du droit à l’autodétermination des peuples indigènes.

Réponse logique à la poussée de plus en plus déterminée des mouvements indigènes sur son territoire et à la crainte d’une propagation du soulèvement des indigènes zapatistes du Chiapas voisin, l’État d’Oaxaca, peuplé aux deux tiers d’indigènes, a pris les devants, bien avant l’État fédéral, en reconnaissant légalement la réalité des pratiques indigènes.

Ainsi, le 30 août 1995, le Code des institutions politiques et des procédures électorales d’Oaxaca (Cippeo) est révisé pour autoriser « l’élection des autorités à travers les formes propres d’organisation politique des municipios d’Oaxaca ». Concrètement, cela signifie que les cinq cent soixante-dix municipios (municipalités) de l’État ont pu choisir librement s’ils voulaient élire leurs représentants locaux sous le régime des partis politiques ou bien sous le régime dit des « us et coutumes ». Dès lors, l’État d’Oaxaca établissait que « les élections doivent respecter les traditions, us, coutumes, et pratiques démocratiques des communautés ».

Loin de stabiliser la situation politique cette « légalisation » a ouvert de nouveaux champs de contestation et suscité une montée en puissance de la quête d’autonomie des peuples indigènes. Les nouvelles formes politiques qui émergent de ce creuset ont eu une influence centrale sur les luttes dans tout le Mexique. Cela est d’autant plus clair aujourd’hui où le mouvement pour établir la vérité sur la récente disparition de 43 étudiants de l’école normale rurale d’Ayotzinapa dans l’État du Guerrero, qui secoue le Mexique depuis plus de trois mois, pourrait bien se muer en une force de destitution inégalée jusqu’à lors.

Première partie
« Un monde qui contienne beaucoup de mondes »

L’expérience politique indigène dans l’État d’Oaxaca depuis 1994

LundiMatin : On connaît en général le soulèvement de janvier 1994 au Chiapas, quand les miliciens et miliciennes de l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) ont pris les grandes villes de l’État pour signifier leur opposition à l’entrée en vigueur du traité de libre-échange d’Amérique du Nord. On connaît moins, chez nous, ce que ce soulèvement a facilité dans d’autres États du Mexique ; on sait que les négociations entre les insurgés et le gouvernement ont abouti aux accords de San Andrés qui n’ont depuis jamais été appliqués. En quoi la situation est-elle différente dans l’État d’Oaxaca ?

David : Bon, les accords de San Andrés c’est au niveau national. La loi des « us et coutumes » à Oaxaca est une loi qui a été adoptée en 1995 au niveau local. Elle ne remplace pas les accords de San Andrés, rien ne les remplace parce que ces accords, le gouvernement mexicain ne les a jamais respectés. La loi dite des « us et coutumes » dans l’État Oaxaca c’est plutôt une conséquence de la pression du mouvement indigène dont le cœur à ce moment-là était évidement le renouveau du zapatisme. Mais à Oaxaca il y avait un mouvement de résistance indigène depuis très longtemps et on s’est trouvé là à une confluence. Le gouvernement s’est donc senti forcé de légaliser un mouvement, quelque chose qui avait toujours existé, car à Oaxaca les assemblées n’avaient jamais disparu, elles ont seulement été reconnues à partir de ce moment-là.

Pour faire pression sur les communautés, avant 1995, avant le passage de cette loi, le gouvernement n’acceptait la nomination des présidents de municipios issus des assemblées traditionnelles, que s’ils s’affiliaient au PRI (Parti révolutionnaire institutionnel, parti historique, créé en 1929, à l’issue de la révolution mexicaine qui dura de 1910 à 1920). Et donc on aurait pu penser que dans l’Oaxaca tout le monde était du PRI. Et c’est entre autres pour cela qu’il y avait beaucoup de désaccords et de méconnaissances entre les mouvements et organisations sociales, urbaines disons populaires et les communautés indigènes, parce qu’à nos yeux, ici en ville, il semblait que ces dernières étaient priistes alors qu’elles ne l’étaient pas. Quand en 1995 la loi des « us et coutumes » est intégrée à la constitution locale de l’État d’Oaxaca, on a légiféré sur quelque chose qui avait toujours existé, on lui a donné un nom, « us et coutume », et on a fait une série de statuts communaux qui en forment la législation proprement dite. Ce n’est pas une législation unique, quand on parle des « us et coutume », on ne parle pas d’un système en opposition à un autre système. C’est une voie qui englobe beaucoup de formes différentes de s’organiser et c’est à travers les statuts communaux que tout ça est exprimé. Chaque village a ses propres statuts communaux en fonction de ses propres accords. Par exemple, il y a des villages qui sont arrivés à introduire dans leurs statuts communaux, c’est-à-dire au niveau constitutionnel de l’État, qu’il est interdit d’utiliser du plastique dans leurs communautés. C’est-à-dire que là-bas la commercialisation de boissons ou de n’importe quelle autre chose mise sous plastique est interdite. C’est écrit et ils doivent tous l’accepter parce que c’est la loi. Et c’est là qu’on voit que chaque village a manifesté à cet endroit sa vision du monde qui n’a rien à voir avec cette idée que le politique c’est cette vision politique à court terme qu’on voit partout, mais qu’il s’agit d’écologie, du soin de la terre, de toute la vie. Il y a aussi d’autres villages qui ont décidé en assemblée d’interdire l’utilisation de fertilisants chimiques sur leurs terres. Et c’est écrit dans leurs statuts. Donc même si une personne voulait en utiliser elle ne pourrait pas car c’est un accord exprimé par la plupart des gens et qui dit que c’est interdit. Et plein d’autres choses encore que je pourrais raconter même si je ne suis pas spécialiste de ces dispositions.

Il existe une organisation ici à Oaxaca qui tient les villages, les communautés informées. Elle se dédie précisément à aider les villages au niveau légal pour qu’ils avancent le plus possible dans leurs statuts quant aux questions de liberté, de droits, de formes. Dans certaines communautés les us et coutumes sont très avancées, au-delà de la participation égale des hommes et des femmes. La « citoyenneté » dans les communautés ce n’est pas comme ici (en ville) où ce sont les partis qui gouvernent et où tu ne deviens citoyen qu’à dix-huit ans, âge où ils te donnent ta pièce d’identité. Dans certaines communautés s’ils voient qu’un jeune de quinze ans, qui a des frères et sœurs plus petits et qui a la charge de sa famille parce que son père est mort alors ils le reconnaissent comme « citoyen » ou plutôt « comunero ». Comunero avec tous les droits et toutes les obligations dont le droit à la terre. Ce jeune peut dès lors demander de la terre pour la travailler. Il y a aussi des communautés où ils n’y a plus d’hommes et ce sont donc les femmes qui sont comuneras. Ça s’est beaucoup passé dans les communautés qui ont dû migrer massivement et où auparavant seuls les hommes participaient et c’est la réalité qui les a obligés à réinventer. Pour que leur système continue à fonctionner, il fallait changer et donc les femmes « propriétaires » de terre (mais pas dans le sens de la propriété privée sinon communale) se sont mises à participer aux assemblées.

LM : Certains commentateurs extérieurs soulignent que ce régime des us et coutumes a aussi permis par endroit le renforcement de positions autoritaires, la non-participation des femmes, ou bien même le retour des caciques (potentats locaux), qu’en est-il ?

Certaines communautés concentrent toutes les critiques des ennemis sur les modes d’organisation indigènes. Ce qui se dit en permanence dans les médias, c’est qu’on accuse les communautés de violer les droits des femmes parce que les femmes ne participeraient pas aux assemblées. Mais c’est un mensonge parce que les femmes participent dans la plupart des assemblées même s’il en existe où les femmes ne participent pas. On se rappelle avoir lu sur la une d’El País (quotidien national espagnol) il y a quelques années, au moment même où la mobilisation contre les éoliennes dans l’isthme de Tehuantepec était très forte — il faut préciser que ces entreprises éoliennes sont en majorité espagnoles, même si elles se font racheter maintenant par des entreprises japonaises, d’un côté, et allemandes, de l’autre, le capital n’a plus de pays ! Mais bon quand elles sont arrivées ici elles appartenaient à des entreprises espagnoles et évidement en Espagne les gens étaient très sensibles aux manifestations indigènes qui avaient lieu ici. Donc la une de ce journal titrait « Les abus et les coutumes à Oaxaca » et ils mettaient en scène la barbarie des pratiques indigènes, pas étonnant de la part d’un tel journal de fachos ! Nous on s’est dit, excusez-moi l’expression, « chinguen a su madre » (qu’ils aillent niquer leur mère) ! En réalité ce n’était que pour défendre leurs intérêts économiques. Et comme les villages en « us et coutumes » sont ceux-là mêmes qui sont en train de mettre dehors avec le plus d’efficacité les Espagnols et leurs entreprises éoliennes, on imagine l’intérêt de les calomnier.

Mais bon, il faut reconnaître qu’il se passe des choses très diverses, des bonnes comme des mauvaises... mais dire ça ne rend pas compte du fonctionnement des « us et coutumes ». Ce qui le définit le mieux, ce qui est très très fort, c’est le fondement, c’est l’âme du système, c’est-à-dire la « communalité », le collectivisme indigène, le faire-partie de quelque chose qui est supérieur à l’individu, ce qui ne veut pas dire évidemment que l’individu n’est pas respecté ou disparaît. Tu vois, ça c’est l’âme, exprimée de plein de manières et de plein de formes différentes. Vous devriez assister à plein d’assemblées et vous verriez qu’elles sont toutes différentes.

Pour commencer les assemblées se font chacune dans sa propre langue et donc en tant qu’étrangers on ne peut pas comprendre de quoi ils sont en train de parler. Il y a même des lieux où ils s’enferment et où ils empêchent ceux qui ne sont pas de la communauté d’entrer tant qu’ils sont en assemblée. C’est très variable. Il y a aussi des communautés qui laissent les gens venir, voire même filmer. Chaque région, chaque village a ses formes propres. C’est aussi le cas pour des pratiques très anciennes comme dans cette partie de la sierra où jusqu’à il y a peu de temps les nouvelles autorités devaient marcher dans la montagne pendant deux jours avec une bougie qui devait rester allumée tout le long de la marche. C’est une manière pour les communautés de dire « il y a quelque chose dont on doit prendre soin ». Il y a aussi des endroits où tu dois garder cette bougie allumée dans ta maison pendant les trois années que dure ta charge. Parce que pour commencer ce n’est pas comme dans le système occidental des partis politiques, ce n’est pas vraiment une charge mais c’est un service que tu rends. Dans les villages quand quelqu’un est président municipal, quand quelqu’un est topil (membre de la police communautaire) on dit « on sert » et non pas « on commande ». Il y a des villages où beaucoup de jeunes ont dû migrer, mais qui ne veulent pas pour autant abandonner leur communauté et qui reviennent prendre part. Quand ils ont l’âge d’accomplir leurs services tous doivent commencer du rang le plus bas en commençant par le rôle d’ayudante (celui qui aide) ensuite le topil qui est la police communautaire, mais pas la police communautaire comme il y a aujourd’hui dans le Guerrero (groupes d’autodéfense populaires contre les narcotrafiquants dans cet autre État du Mexique), c’est différent, c’est beaucoup plus ancien. Les gens ne sont pas armés, ils sont munis de barres, de pinces, de simples radios. De là ils continuent à monter dans les fonctions et ainsi jusqu’à devenir président municipal.

Dans le système des us et coutumes, il y a la partie de l’organisation proprement « politique » disons et puis il y a une autre partie plus importante encore qui est « la terre » et pour cela il y a une autre autorité. C’est un autre organigramme parallèle, et c’est une chose qui n’existe pas dans les autres municipalités. Et comme ils ont leur cabildo (entité publique spéciale dont les membres ont été élus et sont reconnus par la communauté), leur président, leur syndicat, leur secrétaire et tout ça, ils ont un autre système d’autorité très semblable. Il est plus important car il est plus riche. La municipalité reçoit l’argent que le gouvernement envoie au titre des participations fédérales. Mais si un village possède des forêts, c’est l’autorité du comisariado de los bienes comunales (commissariat des biens communaux) qui le gère. Il y a des villages où les gens font des blagues entre eux sur le fait que le président municipal est pauvre et que le sindico est riche parce que dans les villages qui sont riches c’est le comisariado de los bienes comunales qui gère les ressources et non pas le président municipal. Il y a aussi des villages qui n’ont pas de forêt, pas d’entreprise communale, pas de ressources et le seul argent qu’ils ont c’est celui qui arrive au président municipal de la part du gouvernement. Le comisariado c’est la charge la plus importante car c’est directement celui qui représente, qui détient la représentation légale de la terre de toute la communauté. Il y a des villages qui ont jusqu’à 400 000 hectares (comme Chimalapas, le municipio le plus grand d’Oaxaca) et tout ça c’est le comisariado qui le gère. Ce sont eux qui doivent prendre soin des montagnes et quand il y a des incendies dans les forêts, ce sont eux qui appellent tout le village pour aller éteindre le feu. Et il n’y a pas d’équivalence de cette institution dans le système des partis. Il n’y a pas d’autorité qui détient la terre car la terre appartient aux particuliers et à chacun. Ça n’existe pas et ça n’aurait pas de sens.

Au Mexique grâce à la révolution il existe aussi des ejidos (terres publiques exploitées en commun), mais ça ce n’est pas seulement dans l’Oaxaca, c’est au niveau national. Ici il y a des villages qui ont des terres communales et qui ont aussi des ejidos. Et l’autre autorité qu’ils doivent nommer pour l’ejido c’est le comisariado de los bienes ejidados.

Les ejidos c’est une invention mexicaine de la révolution, il y a cent ans. Quand il y a eu la révolution agraire, dans les communautés indigènes il y avait des terres comme des terres communales mais simplement, il a fallu les accepter, les reconnaître, les respecter. Dans la partie du pays où les communautés indigènes n’étaient déjà plus là, où il y avait déjà du métissage et où la culture s’était déjà beaucoup perdue, il a fallu aussi donner des terres aux paysans. Il y avait des anciennes haciendas (domaines agricoles) mais les paysans n’avaient pas de terres communales. Donc ce qu’a fait le gouvernement c’est répartir cette terre. Et pour ne pas la répartir à chacun particulièrement, il l’a répartie en ejidos, collectivement.

Mais ça c’est une question différente de la question indigène même si ces deux questions se ressemblent. Ça correspond plus à une idée socialiste, avec des entreprises collectives, avec des rendements. C’est pour cela que le gouvernement a construit des barrages, des canaux, toutes sortes d’équipements pour que ces lieux soient hautement productifs. Mais il y a eu des expériences très intéressantes comme celle de la Lagune, avec le coton, ou bien dans le sud-est avec le riz ou encore des ejidos côtiers où ils produisent des camarones (crevettes grises). C’est la propriété collective de la terre mais qui a été limitée dès le mandat de Carlos Salinas de Gortari (président de 1988 à 1994). Donc la terre communale et la terre ejidal ce n’est pas la même chose, ce sont deux statuts différents, la terre communale a toujours existé et ce qu’a fait la révolution c’est la reconnaître, point ! Alors que l’ejido a été une invention et donc on a fait une réglementation distincte pour chacun des deux.

Pendant le mandat de Carlos Salinas il y a eu une grande réforme régressive au Mexique, la réforme de l’article 27 de la Constitution qui parlait du statut de la terre et qui disait que la propriété communale et la propriété ejidal étaient toutes les deux inaliénables, c’est-à-dire qu’elles ne pouvaient ni s’acheter ni se vendre. Ce qu’a fait Salinas dans les années 1990, c’est enlever cette restriction constitutionnelle dans la partie sur l’ejido et donc à partir de là, oui, les ejidos ont pu s’acheter et se vendre. Mais pour ce qui est de la propriété communale c’est beaucoup plus difficile qu’ils puissent la modifier comme ça car là on touche à la question indigène. La corruption du gouvernement a fini de détruire l’idéal de l’ejido parce que le même gouvernement qui voulait élever les rendements de ces endroits était aussi celui qui faisait des transactions sur leurs crédits, qui changeait leurs outils, qui les volait quoi ! Donc les gens ont fini par vendre leurs machines, leurs animaux, fermer leurs parcelles et c’était fini. Mais ça a été une période très importante car des millions de paysans qui n’avaient pas de terre avant la révolution en ont eu par la suite. D’ailleurs le gouvernement a continué à récupérer de grandes quantités de terre et à les répartir jusque dans les années 1970. Jusqu’à ce qu’ils disent qu’il n’y avait plus de terres à répartir. Cela aurait voulu dire qu’ils en avaient fini avec tous les monopoles de la terre, ce qui était évidemment un mensonge. Au fond ils n’avaient plus l’intention de le faire car ce n’était tout simplement plus un gouvernement révolutionnaire... il était déjà en franc recul.

C’est toute cette histoire qui a fait que le PRI a eu et a toujours un grand contrôle corporatiste de la société. Le PRI achetait la loyauté : tu ne disais pas « la révolution », tu disais « mon parti ». Et les gens se sentaient obligés de se dire priiste alors qu’en réalité ces conquêtes dataient de la révolution. Et c’est par cette voie des syndicats, des organisations populaires, paysannes et indigènes qu’ils ont réussi à contrôler de grands secteurs de la population. Tout ce pouvoir va s’user, ça l’intéresse de moins en moins, il a moins à offrir et il se fait de plus en plus néolibéral. Mais le PRI a toujours un grand pouvoir corporatiste. Maintenant c’est par la télévision qu’il exerce son pouvoir sur la masse idiote, il ne doit même plus rassembler les gens dans des syndicats ou dans des organisations. La forme de contrôle a changé.

La loi des us et coutumes n’a pas seulement aidé les peuples à battre le PRI dans leurs régions mais bien à le faire partir complètement. La plupart n’ont jamais été priiste, le PRI n’avait jamais été aussi fort qu’il le laissait croire dans l’État d’Oaxaca, mais c’est ce qu’il paraissait être aux yeux de tous. Cette loi leur a permis de dire « le PRI jamais plus, jamais plus d’escroquerie ». Quatre cent dix-huit municipalités de l’État d’Oaxaca sur les cinq cent soixante et onze existantes décident alors démocratiquement, en assemblées, d’être régies par le système récemment créé par la loi des us et coutumes et de ne pas ou plus être dans le système des partis.

Le problème c’est que beaucoup de communautés, à cause de débats internes inachevés, de mauvaises informations ou peut-être parce qu’ils pensaient à ce moment-là que le mieux c’était les partis politiques, prirent la mauvaise décision. Mais quand, juste après, des villages ont voulu exiger d’être rattachés à la loi des us et coutumes — et ils sont encore nombreux maintenant —, le gouvernement ne l’a plus permis. Il a laissé faire un moment mais devant un résultat aussi massif, il a cessé de donner suite.

Nous ici on se demande aussi : « Que se passe t-il si une ville entière décide de passer en us et coutumes, pourquoi ne pourrait-elle pas le faire ? » Le problème ne devrait pas être une question légale mais bon le gouvernement et la légalité on sait ce que c’est. Il est là pourquoi le gouvernement ? Pour servir ses propres intérêts et ceux des riches.

Mais la vraie question est pour nous : En serions-nous capables ? Il ne s’agit pas seulement de nombre, il ne suffit pas de dire « on est horizontaux, on est assembléistes ». S’il s’agissait juste d’aller à une assemblée pour être assembléiste tout le monde le serait. Mais ça demande aussi de savoir écouter, de savoir attendre, de savoir attendre que les autres finissent de développer leurs points de vue pour voir si le nôtre n’a pas déjà été exprimé. D’ailleurs nous ne pensons pas que nous sommes capables d’être vraiment assembléistes. Moi je suis né ici en ville et nous ne pensons pas que nous sommes aussi assembléistes que les peuples indigènes. C’est d’eux que nous devons tout apprendre parce qu’eux ont toujours fait comme ça. Et on a vu comment les communautés sont capables de résoudre y compris de graves problèmes par cette voie.

Il y a eu des villages qui se sont entretués pour des conflits de terre. À Oaxaca dans la Sierra du Sud, il y a eu une guerre. Huit cents morts en trente ans. Des massacres entre différentes familles. Il est arrivé un moment où les deux villages se sont mis d’accord sans passer par le gouvernement. Ces événements ont eu lieu sous la présidence d’Ulises Ruiz (gouverneur PRI d’Oaxaca), le « mandat de la mort ». Ces peuples qui ont été en guerre depuis si longtemps, se mettent d’accord, prennent des accords. Mais qu’est-ce qui a permis cela ? Précisément ces institutions des assemblées communales où la plupart des gens ont pu dire qu’ils étaient fatigués de ces conflits. Eh oui, il faut encore voir quoi faire avec ceux qui en veulent encore aux autres, ceux qui sont encore plein de ressentiment, mais pas par la voie de la revanche, par la voie de la solution. C’est quelque chose que le gouvernement n’est jamais arrivé à faire dans des conflits comme ceux-là. Les blessures restent toujours ouvertes, il y a toujours l’impunité et le désir de vengeance de ceux qui ressentent de l’injustice. Alors que quand, comme là, ce sont les communautés qui se mettent d’accord entre elles, on parvient à cela que, jusqu’à maintenant, la paix règne toujours. Aujourd’hui ces communautés se sont même alliées ensemble avec d’autres contre les projets miniers dans la Sierra du Sud qui est, à ce qu’ils disent, la réserve de fer la plus grande d’Amérique latine ou d’Amérique je ne sais plus. Dans la grande compétition impérialiste qui a cours ces matières sont devenues fondamentales et là, il y en a plein. Tu le sens jusque dans les pierres que tu ramasses qui sont super-lourdes. Les rivières sont couvertes de sel, pas de la mousse, comme une couche de sel blanc, c’est plein de minéraux dans toute cette zone. Enfin voilà, tout ça sont des exemples de comment le système des us et coutumes a pu contribuer à tout ça.

LM : Quelles formes de coopération, de fédération existe t-il entre les municipios qui ont choisi ce système ?

Il existe à Oaxaca plusieurs petites coordinations qui réunissent des groupes de municipalités mais il n’existe rien qui prétende toutes les rassembler. Dans l’Oaxaca, l’organisation des villages se fait plus au niveau territorial, c’est-à-dire au niveau de la région. Ce ne sont pas seulement des régions géographiques différentes, elles ont leur propre culture, leur propre histoire. Les régions correspondent d’une certaine manière aux territoires ancestraux des communautés. Mais une coordination au niveau de l’État de toutes les municipalités d’us et coutumes, non, ça n’existe pas.

Dans la sierra on trouve la « Ligue des municipalités libres de la Sierra du Nord ». Ce sont des expériences de ce type, très déterminées, très focalisées. Surtout parce que de notre point de vue, les municipalités du régime us et coutumes, c’est-à-dire les autorités choisies par les assemblées des villages sont le plus haut niveau de représentativité qu’on puisse avoir. C’est-à-dire qu’on n’a pas besoin de plus.

Par exemple ici, en 2006, pendant le soulèvement de la ville (la « Commune d’Oaxaca »), dans les assemblées de l’APPO (Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca, organe délibératif du mouvement insurrectionnel de 2006), il y avait les organisations sociales et leurs représentants, il y avait aussi les quartiers populaires de la ville et leurs représentants, mais si un président municipal d’une communauté us et coutume venait c’était encore autre chose car c’était clairement un niveau de représentativité plus important. Ce n’est pas une entité affinitaire comme le sont les organisations sociales, les groupes militants, qui ont la même idéologie. Eux ils représentaient vraiment une communauté entière.

Il y a eu des communautés — qui correspondent dans ce cas à des municipalités —, où la totalité des « autorités » venaient participer aux assemblées de l’APPO. Il en venait de tout le pays, même des communautés qui sont à plus de douze heures de transport d’ici. Tout le monde est venu. Il n’y a pas eu de meilleure représentativité des peuples de l’État d’Oaxaca que celle des assemblées de 2006. Je ne dis pas toute la représentativité parce qu’il en manque toujours, mais la plus forte qu’il y ait jamais eu. Et le gouvernement n’en a même pas parlé. Jamais on n’était arrivé à cela, que viennent les représentants des municipalités d’us et coutumes, comme des autorités des municipalités sous le régime des partis politiques. Et je parle de la représentativité de la base aussi : des représentants des bidonvilles, des barricades, des organisations sociales, des collectifs, des écoles. Je ne sais pas si de l’extérieur on s’en rendait compte mais l’APPO, son esprit, sa manière de fonctionner, prenait clairement exemple sur les assemblées communautaires indigènes, l’institution communautaire, jusqu’à la manière de conduire les débats, où il devait y avoir une table formelle qui inclue la plus ample représentativité, quand bien même seulement deux personnes parlent au final, il fallait qu’ils soient tous là présents, enfin comme dans les communautés. C’est ce qui s’est toujours tenté. Certains, comme nous, soutenaient explicitement que c’est comme cela que ça devrait être, d’autres implicitement parce que c’est ce qu’ils ont toujours fait dans les communautés.

Dans l’éducation, un des moteurs du mouvement était le syndicat enseignant d’Oaxaca, la Section 22, c’est pareil, là aussi on s’organisait selon les principes de l’institution assembléiste des villages. Les professeurs, maîtres d’école aussi sont majoritairement indigènes, ils viennent des villages, et donc en entrant dans l’institution scolaire, ils la transforment... et donc il y a une assemblée de tous leurs représentants, de toutes leurs écoles, de tout l’État, où ils prennent les décisions pour leur mouvement. Ce n’est pas les dirigeants qui les prennent.

Suite de l’entretien

Source : LundiMatin

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

SPIP | Octopuce.fr | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0